Depuis son accession à l’indépendance, le 28 novembre 1960, la Mauritanie a mis en place un système d’exclusion de sa composante noire tendant à l’affirmation d’une identité exclusive arabe et la négation de tout soubassement africain à travers la mise en place d’une série de reformes politiques.
Le pouvoir militaire a procĂ©dĂ©, au dĂ©tour d’un conflit banal Ă l’origine, entre Ă©leveurs mauritaniens et agriculteurs sĂ©nĂ©galais en avril 1989, Ă des dĂ©portations massives de plusieurs dizaines de milliers de noirs mauritaniens vers le SĂ©nĂ©gal et le Mali. Entre 1989 et 1992, sous le rĂ©gime du Colonel Maawiya Ould Sid’Ahmed Taya, des milliers de civils et militaires noirs mauritaniens furent tuĂ©s selon un mode opĂ©ratoire prĂ©sentant toutes les caractĂ©ristiques d’un gĂ©nocide au sens retenu par les Nations Unies en 1948, dont une des conventions reconnait comme tel tout acte « commis dans l’intention de dĂ©truire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux». Le gĂ©nĂ©ral prĂ©sident Mohamed Ould Abdel Aziz a lancĂ© depuis 2011 une opĂ©ration dite d’ «enrĂ´lement des populations» visant officiellement Ă doter la Mauritanie d’un Ă©tat civil fiable et sĂ©curisĂ©, comme dans tous les pays. Cet enrĂ´lement s’est rĂ©vĂ©lĂ© dans son application ĂŞtre une opĂ©ration d’exclusion et de bannissement des noirs, suspectĂ©s d’être sĂ©nĂ©galais ou maliens, ou d’avoir acquis frauduleusement les Ă©tats civils en leur possession. Nombre d’entre eux qui se sont vu refuser l’enregistrement, deviennent donc apatrides dans leur (propre) pays, d’autres l’ont Ă©tĂ© au prix d’humiliations de toutes sortes. MĂŞme de hautes personnalitĂ©s civiles et militaires, ayant servi le pays pendant des dĂ©cennies, se sont dans un premier temps fait exclure de l’enrĂ´lement. Dans le mĂŞme temps, Ă©chappent Ă ces exactions, des Ă©trangers, originaires de pays arabes, installĂ©s parfois depuis peu en Mauritanie. Parmi eux, des Libanais, des MaghrĂ©bins, et … des Touareg maliens ou nigĂ©riens. Aujourd’hui, cette opĂ©ration se poursuit dans une relative opacitĂ© après de violentes manifestations encadrĂ©es par un mouvement de dĂ©fense des droits civiques dĂ©nommĂ© « Touche Pas Ă Ma NationalitĂ© » et une partie de l’opposition. La deuxième phase de cet enrĂ´lement rĂ©servĂ©e aux Ă©trangers vivant en Mauritanie a commencĂ©, brutalement imposĂ©e par les autoritĂ©s depuis mai 2012, sans en avoir prĂ©cisĂ© les modalitĂ©s, par la traque de ressortissants d’Afrique noire donc majoritairement des sĂ©nĂ©galais et des maliens. Des expulsions (comme en 1989) ont suivi vers le SĂ©nĂ©gal, puis des tractations avec certains pays ont donnĂ© un rĂ©pit Ă ces Ă©trangers auxquels l’Etat mauritanien impose de se munir de carte de sĂ©jour dans un dĂ©lai très court. La troisième phase rĂ©servĂ©e aux mauritaniens Ă©tablis Ă l’étranger met Ă nu les intentions et la ferme volontĂ© du rĂ©gime actuel de retirer la nationalitĂ© Ă la majoritĂ© des mauritaniens Ă©tablis en France et en Europe. Pour parvenir Ă cette fin, les autoritĂ©s de Nouakchott qui clament sous tous les cieux leur attachement Ă la souverainetĂ© nationale, exigent pourtant Ă leurs citoyens la prĂ©sentation d’une carte de sĂ©jour dĂ©livrĂ©e par le pays hĂ´te pour mĂ©riter de rester mauritaniens. Une immersion dans l’histoire de crĂ©ation rĂ©cente de notre pays nous invite pourtant Ă la tolĂ©rance, Ă la mesure et Ă l’acceptation de notre diversitĂ© pour construire la nation et entretenir des relations apaisĂ©es avec nos voisins. La frontière avec le SĂ©nĂ©gal, un enjeu humain d’abord Le nom de la Mauritanie n’apparait officiellement que le 27 dĂ©cembre 1899 par dĂ©cision ministĂ©rielle qui dĂ©limitait un territoire qui englobe les rĂ©gions s’étendant de la rive droite du fleuve SĂ©nĂ©gal et de la ligne entre Kayes et Tombouctou, jusqu’aux confins du Maroc et de l’AlgĂ©rie. Cette dĂ©cision ministĂ©rielle et le choix du nom ont Ă©tĂ© inspirĂ©s par Xavier Coppolani. En 1900, la première limite du Territoire fut fixĂ©e Ă travers un tracĂ© thĂ©orique dĂ©limitant les zones d’influences franco – espagnoles au Nord. Le 10 avril 1904, par arrĂŞtĂ©, tous les territoires situĂ©s sur la rive droite du fleuve SĂ©nĂ©gal sont rattachĂ©s aux protectorats des pays Maures. Le 25 fĂ©vrier 1905, un dĂ©cret prĂ©cise et fixe la frontière au milieu du fleuve SĂ©nĂ©gal puis le 8 dĂ©cembre 1933, un autre dĂ©cret repousse la frontière sur la limite du lit majeur du fleuve, c’est-Ă -dire sur la rive droite englobant le sud de la Mauritanie. En 1975 puis en 1989 surtout, l’internationalisation des eaux du fleuve dans le cadre de l’Organisation de Mise en Valeur du fleuve SĂ©nĂ©gal a permis d’éviter le pire entre les deux pays mais jusqu’à quand ? A chaque crise majeure, chaque partie brandit « son dĂ©cret », Ă ce jeu dangereux la Mauritanie donne plus l’impression de vouloir en dĂ©coudre militairement. Les deux pays ont tout intĂ©rĂŞt Ă trancher ce flou juridique au grand bonheur des populations riveraines. Enfin, le dĂ©cret du 5 juillet 1944 rattache la rĂ©gion du Hodh, jusqu’alors sous dĂ©pendance du Soudan (actuel Mali), Ă la Mauritanie. Ce rattachement revĂŞt un cachet sĂ©curitaire, l’administration cherchant Ă neutraliser le mouvement Hamalliste (Cheikh Hamahoullah) dans cette rĂ©gion. En lieu et place des Émirats (Adrar, Trarza, Brakna, Tagant) et des États du Sud (Guidimakha, Waalo, Fouta Tooro) se substitue et se superpose le futur État de Mauritanie. Jusqu’au 2 juin 1946, le nom de la Mauritanie continuera d’être associĂ©, jumelĂ© avec celui du SĂ©nĂ©gal sous l’appellation de « Circonscription Mauritanie – SĂ©nĂ©gal » et Saint Louis du SĂ©nĂ©gal restera capitale de la Mauritanie jusqu’à la veille de l’indĂ©pendance. On comprend dès lors que bon nombre de Mauritaniens soient nĂ©s au SĂ©nĂ©gal. Tel est le contexte historique et politique dans lequel a Ă©tĂ© enfantĂ©e la Mauritanie actuelle, regroupant Sooninko, Wolofs, Maures, Bambaras, Haratines et Haal Pulaaren qui vont devoir dĂ©sormais vivre sur un mĂŞme territoire unifiĂ© et placĂ©s sous une mĂŞme autoritĂ©. Il va s’en dire que pour prĂ©sider aux destinĂ©es de notre pays, il vaut mieux connaĂ®tre ce contexte et tenir compte de toutes les pièces du puzzle. Le prix Ă payer pour les fils de notre pays, maures comme noirs, sera Ă©norme.
Dès 1946 lors des premières élections législatives dans le cadre de l’Union Française, la question était déjà posée. En 1945, en prévision de ces élections, deux tendances s’étaient dessinées : Chez les maures « le représentant de la Mauritanie ne saurait être un noir » tandis que les notables noirs, inquiets, font appel à une candidature européenne (source : Sous – série : 2G45 : 134, Archives Nationales du Sénégal). Un territoire, deux administrations et un système éducatif différencié Paradoxalement, la fracture entre maures et noirs de la vallée du Fleuve était déjà « officialisée » par les arrêtés n°469 et 470 du 20 août 1936 qui organisaient séparément les commandements et administrations : une administration indirecte chez les « indigènes maures », avec des émirs dépendant désormais de l’administration coloniale ; et une administration directe chez les populations sédentaires noires, avec la création de cantons dont les chefs étaient auxiliaires de police judiciaire et percepteurs des impôts. Ce mode de gestion séparée est renforcé par la mise en place d’un système éducatif différencié. En effet l’administration coloniale, pour asseoir son autorité, affirme son intérêt pour l’école en vue d’une plus grande emprise sur les populations autochtones. Dans sa circulaire du 22 juin 1897, le Gouverneur Général E. Chaude écrit : « l’école est le moyen le plus sûr qu’une nation civilisatrice ait d’acquérir à ses idées les populations encore primitives». « C’est elle (l’école) qui sert le mieux les intérêts de la cause française » ajoutera le Gouverneur Général William Ponty dans une circulaire du 30 août 1910, comme pour confirmer les propos de son prédécesseur. Simplement, l’implantation de cette école en Mauritanie se fera, et pendant longtemps, dans le Sud : Kaédi en 1898, Boghé en 1912…. alors que les Médersas le seront seulement à partir de 1916 à Boutilimit, puis à Atar en 1936…., en raison notamment de l’hostilité affichée en pays Maures. C’est ce qui explique qu’à l’accession de notre pays à sa souveraineté le 28 novembre 1960, l’essentiel des cadres et des lettrés en langue française sont du Sud. Du non règlement de la question nationale à la reconnaissance du génocide Plus de cinquante deux ans de vie commune, d’oppression, d’injustices, de domination, de persistance de l’esclavage, de déportation, de luttes et …. un pays à reconstruire. Pourtant, à la veille de l’accession du pays à la souveraineté internationale des signaux clairs avaient été lancés de part et d’autre. Mais celui qui présidait aux destinées du pays, croyant en sa bonne étoile, s’est lancé comme si de rien n’était dans la construction « d’un Etat moderne, trait d’union entre l’Afrique Noire et le Maghreb » dans lequel devraient disparaitre tous les particularismes. Cet équilibre affiché sera foulé dès les premières années de l’indépendance à travers une série de politiques préparant l’ancrage de la Mauritanie à l’ensemble maghrébin et arabe. Les clefs de ce nouvel ensemble, fraichement créé, encore fragile, ont été confiées à Mokhtar Ould Daddah. Si celui-ci appelait à construire ensemble la nation mauritanienne, sa conduite des affaires sera très tôt considérée comme partisane :
- Une conduite tendancieuse des affaires de l’Etat visant à donner une image exclusivement arabe du pays à l’étranger. Cette diplomatie a tellement réussi que bon nombre de Noirs Mauritaniens sont régulièrement suspectés de mentir sur leur nationalité ; pour cause « la carte postale Mauritanie » est autre. Il n’est pas rare de voir des compatriotes mondialement connus par leurs talents, par honte ou par facilité, être catalogués originaires du Mali ou du Sénégal. - l’imposition de la langue l’arabe dans le système éducatif s’avèrera être un subtil moyen de sélection par l’école : en quelques années les résultats des examens de l’entrée en sixième et au baccalauréat, jusque là marqués par un fort taux de réussite d’élèves francophones, majoritairement Noirs, vont s’inverser en faveur des élèves arabophones. Comme langue de travail, le rôle de l’arabe va être déterminant dans la réussite aux examens et concours, notamment d’accès à la fonction publique. En tant qu’unique langue officielle à travers la politique d’« arabisation des ministères qui n’ont pas un caractère technique et qui sont en relation directe avec l’ensemble de la population comme la Justice et l’Intérieur », l’utilisation de l’arabe dans la sphère administrative se révèlera comme un puissant outil de domination et d’exclusion : l’Etat laisse entendre sa volonté de s’adresser à toute la population mauritanienne au moyen de la seule langue arabe. - la concentration de l’essentiel des pouvoirs économiques, politiques et militaires depuis le coup d’Etat de Juillet 1978 entre les mains d’une partie de la composante maure. Cette armée budgétivore, véritable fonction publique parallèle, qui dirige le pays depuis, a trouvé le moyen de se débarrasser de sa composante noire ou de l’écarter des centres de décisions. - l’entrée en vigueur brutale à partir de 1983 d’une réforme foncière mal préparée et dont le seul objectif est l’expropriation, eut pour conséquence l’accentuation de la pression sur les terres agricoles de la vallée du Fleuve Sénégal d’investisseurs privés maures, bénéficiant de largesses de bailleurs arabes, et plus récemment d’investisseurs étrangers. - Plus généralement, les frustrations et les injustices ressenties par les Noirs, nées des traitements différenciés qui leur sont réservés et autrement plus sévères que ceux rendus pour les maures. L’opinion publique noire a souvent du mal à comprendre que les auteurs du dernier coup d’Etat manqué en Mauritanie, (appelé « coup d’Etat de Hannana », en juin 2003, certainement le plus violent du genre), n’aient été condamnés qu’à des peines d’emprisonnement de quelques mois. Moins compréhensible encore la reconversion de deux des présumés auteurs qui se sont présentés à leur libération aux suffrages de nos compatriotes et réussi à se faire élire à la représentation nationale. Leur mandat court toujours. Alors que quatorze années plus tôt, en 1987, pour une tentative de coup d’Etat qui n’a jamais connu de début d’exécution, le régime d’alors, a, au terme d’une procédure expéditive, jugé, condamné et exécuté trois officiers Noirs. S’en est suivie une purge au sein de la grande muette qui a laissé dans le secret des tombes hâtivement creusées à Inal, Jreida, Akjoujt, Azlat, … des dizaines d’hommes qui s’étaient engagés au service de leur pays. Les effets cumulés de tous ces facteurs présageaient d’une explosion de conflits. Une partie des maures, embrigadés par les mouvances pan arabistes et ayant le sentiment de plus en plus renforcé, et le disent, d’être chez eux, le seul chez qui leur soit propre (ça rappelle quelque chose), où l’Etat leur garantit tout : sécurité, impunité. La majorité des Noirs vivent cette condition comme un non choix, une condamnation à cohabiter, avec le recensement discriminatoire (enrôlement) en cours, ils ont fini par se dire qu’ils ne sont que tolérés ? Leurs revendications ont toutes été réprimées dans le sang ; sans qu’à aucun moment le régime en place ne prenne le temps de réfléchir sur les motivations réelles de ces crises à répétition, et ne propose des solutions qui aillent dans le sens du maintien de l’unité nationale. Le calcul politique qui sous-tendait ces mesures, les conditions de leurs applications, la mauvaise gestion des conséquences de ces applications en termes de contestations cristalliseront toutes les frustrations et « pollueront » pour ainsi dire le climat politique de notre pays. La brèche ouverte depuis est devenue un fossé, si grand aujourd’hui qu’il fait courir à notre pays le risque de conflits à répétitions. L’exclusion peut-elle durer encore ? Combien de temps ? Les gouvernants, tous régimes confondus – exception faite des parenthèses Ould Haidalla et Sidi Ould Cheikh Abdallah - ont invariablement œuvré au maintien et au renforcement de l’option arabe irréversible de la Mauritanie. Une option que même l’opposition dans son écrasante majorité ne remet pas en cause, en dépit des conflits et les risques d’explosion auxquels elle a exposé notre pays en cinquante et une années de vie commune.
L’exacerbation de cette politique raciste, injuste et d’exclusion donnera naissance aux évènements de 1989 et suivants, avec des massacres massifs des populations noires du Sud. Des actes que l’on peine encore à qualifier avec les mots qui conviennent. La victoire a beaucoup de pères : Génocides reconnus Historiquement, ce sont les vainqueurs qui ont imposé leur volonté quand il s’est agi de qualifier les faits. Leur camp ayant eu le soutien des instances internationales, quand il ne les a pas créées, pour traduire les bourreaux : le Tribunal de Nuremberg pour qualifier le traitement réservé aux Juifs lors des deux grandes guerres de crime contre l’Humanité, ceux d’Arusha pour le génocide des Tutsi au Rwanda et de la Haye pour le génocide des Musulmans de Bosnie Herzégovine. La Cour Pénale Internationale pour Charles Taylor et récemment Laurent Gbagbo pour les crimes commis contre les peuples Sierra Léonais et Ivoirien respectifs. La défaite est hélas orpheline : Génocide voilé Ce qui s’est passé en Mauritanie entre 1989 et 1992 présente toutes les caractéristiques d’un génocide au sens retenu par les Nations Unies en 1948 dont une des conventions reconnait comme tel tout acte « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Abstraction faite du débat que peut soulever l’usage des concepts renvoyant au nombre de victimes, à l’ethnie, à la race, voire à la religion notamment chez certains scientifiques puristes, cette définition lève toute ambiguïté sur le caractère des massacres commis lors de la période référencée. Trois facteurs accablants sont à considérer ici, pris séparément ou mis ensemble. Premier facteur : l’intention (de détruire tout ou partie d’un groupe national). Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle y était, on est allé les chercher là ils se trouvaient : villages, lieux de travail (bureaux, écoles et marchés), au sein des forces armées et de sécurité. Deuxième facteur : le motif apparent pour désigner puis massacrer les cibles, était leur appartenance à une ethnie. A l’exclusion des exécutions au sein de l’armée, les pogroms le long de la vallée ont ciblé les peulhs. La population victime a donc délibérément été sélectionnée (tous ceux qui ont été massacrés avaient la particularité d’être Noirs). Troisième facteur : ces massacres ont été pensés, planifiés, et exécutés au nom d’une idéologie raciste dont l’objectif était la purification ethnique. Le maître d’œuvre en était le Colonel Ould Taya, conseillé par des idéologues civils se réclamant du Baathisme.
Il en découle que les crimes commis l’ont été sur la base d’une sélection, un tri. Une effroyable opération qui a précédé l’exécution collective des victimes. La sélection confère donc à ces crimes la condition nécessaire de leur qualification en génocide, tandis que le caractère collectif érige le mal en crime d’Etat. Faut-il encore un argument supplémentaire pour convaincre qu’il s’agit bien là d’un génocide. La réponse est assurément NON. A l’évidence, ce drame est bien issu d’une volonté systématique et planifiée d’extermination. La Mauritanie doit porter un regard apaisé sur son passé d’autant que certaines franges pan arabistes n’hésitent pas à accuser les exilés et déportés Mauritaniens au Sénégal d’avoir participé aux massacres de leurs compatriotes en 1989 dans ce pays, telle la réplique de l’Etat Turc accusant la France de génocide en Algérie en réponse au vote par le Parlement Français, le 22 décembre 2011, de la proposition de loi pénalisant la contestation du génocide Arménien. Pourquoi alors s’obstine-t-on à utiliser d’autres qualificatifs ? D’abord parce que les bourreaux sont encore en activité, dans les premiers cercles du pouvoir. Conscients de leur responsabilité certainement directe dans les forfaits commis, ils font tout pour retarder ou empêcher la manifestation de la vérité. Ensuite, la majorité des partis politiques ont préféré laisser les ONG sous-traiter la question, désertant ainsi cet épineux terrain rendu glissant par sa connexion avec la question nationale. Le débit des autres partis est faible, presqu’inaudible, en raison d’un réseau saturé par des dissensions des associations des victimes. Enfin les divisions au sein des associations de victimes elles mêmes, liées peut être aux traumatismes subis, sont un pain béni pour les présumés coupables, pourtant répertoriés, qui n’ont eu aucun mal à surfer sur ces divergences pour essayer de passer la solution de cette question par pertes et profits. Victimes et ayant droit s’accommoderont du discours édulcorant les crimes en « passif humanitaire ». En acceptant ainsi de suivre les autorités dans cette démarche, ils espéraient peut-être donner une chance à ces dernières de cheminer vers une véritable réconciliation, impliquant réparations et pardon. Mohamed Ould Abdel Aziz, qui fut aide de camp du président Ould Taya et commandant du Bataillon de Sécurité de la Présidence de la République (BASEP) de 1987 à 1991 puis commandant du bataillon de commandement et des services à l’Etat Major national d’août 1991 à juillet 1993 selon son cv, aurait été épargné pour accorder une chance supplémentaire à la chance de réconcilier la Mauritanie avec elle-même. Ce fut un coup de poker perdant. La « prière aux morts » qu’il a orchestrée en grande pompe, n’avait d’autres motivations que mystiques. La campagne qui l’a suivie, autour du pardon participait à une démarche de diversion, visant à faire passer les victimes pour des haineux, des rancuniers qui ne pouvaient pardonner. N’entendions-nous pas les chantres de cette campagne répéter à qui voulait l’entendre que « Allah, dans Son infinie bonté, accordait Son pardon à Ses créatures (fautives) qui le Lui demandaient ». Ce qu’ils omettaient de dire, c’est qu’Allah n’a jamais fait de mal à personne. Les victimes des exactions n’ont pas de contentieux avec Allah, mais bien avec des créatures comme elles qui se sont adonnées à des abominations, dont elles doivent répondre ici bas, avant de devoir en rendre compte devant notre Créateur et Ses Anges. Ils semblent être frappés d’amnésie, oubliant que certains de ces crimes ont été commis pendant le mois de Ramadan. Faute d’avoir pu l’empêcher de se produire, nous n’avons pas le droit de laisser les autorités ajouter au crime la bêtise de le minimiser. En effet, les expressions utilisées pour qualifier ces faits de « passif humanitaire », l’ont été, parfois sous la pression des bourreaux et de leurs amis au pouvoir. Comme si ce qui s’est passé n’était pas suffisamment grave pour mériter d’être qualifié autrement. Le « passif » (et l’ « actif »), usité en comptabilité ou en grammaire, ne peut ni ne doit en aucun cas être employé pour parler de cette abomination. On est en politique. En politique, comme en tout autre domaine, il est préférable d’utiliser les mots qui conviennent pour désigner les maux causés au risque de tomber dans le négationnisme. Les propos tenus récemment par le Général Meguett en constituent un début de commencement. Souvenons nous qu’Hitler, tirant la leçon de la non application des résolutions du traité de Sèvres, signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l’empire Ottoman, qui prévoit la mise en jugement des responsables du génocide arménien, aurait lancé en 1939 « Qui se souvient des massacres des Arméniens » à la veille de massacrer les handicapés, l’extermination des Juifs viendra deux ans plus tard. Rappelons aussi que le général père de la nation Turque, Moustapha Kemal avait pris soin de faire voter une amnistie générale des dits crimes le 31 mars 1929. En Mauritanie le colonel Maawiya Ould Sid’Ahmed Taya a fait voter une loi d’Amnistie de ses crimes, adoptée en 1993 par une Assemblée à ses ordres. La tentation de tracer un trait sur les faits était déjà là . Le temps ne doit donc pas avoir de prise sur notre détermination et notre volonté à œuvrer pour la reconnaissance de ces crimes en génocide et la traduction pendant qu’il encore temps de leurs commanditaires devant la Cour Pénale Internationale. Est-il possible d’éviter à notre pays un futur incertain? Les Mauritaniens peuvent-ils s’arrêter un instant pour s’accorder sur l’essentiel en vue de construire un destin commun ? Quel modèle pour la Mauritanie : Etat unitaire, Etat fédéral ? Ancrage dans le monde Arabe ou dans l’Afrique noire ? Trait d’union ? Quoi qu’il en soit, nul ne peut gouverner paisiblement notre pays en méconnaissance totale de son histoire ou au mépris de celle-ci, faite de recompositions, de brassages, de mélanges de sociétés si différentes que tout éloignait au début, mais qu’il faut désormais administrer harmonieusement selon un principe si simple de justice et d’égalité, non pas de principe, mais d’égalité effective. Pour cela l’armée au pouvoir depuis 1978, n’ayant pas vocation à faire de la politique et considérée comme comptable et responsable de ce génocide, n’est pas qualifiée à diriger la Mauritanie.
Ciré BA et Boubacar DIAGANA, Bruxelles le 27 avril 2013
|