Des aveugles au travail : L’exemple de l’Association des Aveugles de Mauritanie   
22/11/2007

Naître aveugle n’est pas en soi pas une bonne chose qui puisse arriver à une personne. Toutefois, la cécité n’est pas pour autant une fatalité qui détermine l’univers de la personne même si pour l’écrasante majorité de la société, la communauté des non voyants est associée à la mendicité et à la précarité. Pourtant, ce cliché réducteur est battu en brêche par des personnes bien que frappées de cécité n’en demeurent pas moins investies de la volonté de se prendre en charge mais surtout de s’instruire pour se lancer sur le marché du travail. C’est le crédo de l’Association des Aveugles de Mauritanie.



Dans le quartier Basra, au milieu de nulle part, une bâtisse des plus ordinaires se distingue des autres par la singularité des personnes qui la fréquentent. En effet, à l’observer de près, l’on remarque qu’ils marchent d’un pas mal assuré, d’autres tiennent à la main une canne bien différente de celles qu’utilisent les aveugles ordinaires. Ce sont des cannes blanches. Cette maison abrite l’Association des Aveugles de la Mauritanie. Un panneau accroché sur le haut du bâtiment l’indique. A l’intérieur du bâtiment, des hommes et des femmes s’activent en toute autonomie. Ils entrent dans des salles, en sortent, ouvrent des tiroirs, ferment des portes, exécutent des gestes, cette fois avec des gestes d’une assurance déconcertante. Ils sont dans leur univers et évoluent en toute sérénité. L’étranger qui pénètre ce lieu se sent transporté dans une autre dimension et demeure séduit par tant d’enthousiasme. Toutefois, l’association gagnerait à être mieux connue et surtout à être boostée. L’A.A.M a vu le jour en mars 1996 mais le récepissé a été acquis en 1998. Elle est née de la décision de l’Union Nationale de Handicapés d’éclater en associations pour que chacune se prenne en charge. C’était en 1996. C’est pour cela que l’A.A.M s’est constituée et s’est installée d’abord à El Mina avant d’arriver à Basra en novembre 2006.

Des idées et des actions

Quant au fonctionnement et aux réalisations de l’association, Abdoulye Sy, mal voyant, responsable de la permanence et de l’alphabétisation, Trésorier-adjoint avance:" Nous faisons de l’alphabétisation par la méthode braille avec laquelle, nous formons des gens à la pratique de métiers tels que le tissage de grillages, la fabrique de la craie et les préparons pour leur insertion dans la vie active." Le responsable de l’association, entre deux coups de fils auxquels il répond, de poursuivre " En collaboration avec l’Union Malienne des Aveugles, nous avons pu envoyer des gens au Mali pour les former à la technique de fabrication de la craie, à leur retour, World Vision, nous a aidé à passer une commande pour acquérir des moules. Ces derniers se sont avérés inadéquats. Depuis lors, ils sont là, inutiles et les personnes formées se tournent les pouces." L’association qui compte près de 300 adhérents selon ses membres une grande ambition pour toutes les personnes vivants avec le handicap de la cécité. Il s’agit pour eux de transformer la vie de tous ceux qui vivent dans le monde de l’ombre. Monsieur Sy se plaint des contraintes qui entravent leur action."Il existe plusieurs jeunes aveugles qui voudraient bien être alphabétisés, mais ils sont confrontés à des problèmes de transport. Si les autorités veulent bien mettre à leur disposition un véhicule ou leur octroyer des cartes de transport, leur nombre sera plus accru. De plus, on aurait souhaité que l’Etat prenne en charge l’alphabétisation car on ne peut pas faire du bénevolat de façon indéfinie." Dans une salle équipée d’un bureau, d’armoires et de tout le mobilier nécessaire à la marche de toute administration,un matériel pédagogique complet propre à la méthodologie du braille est là aussi. Il s’agit de tablettes de lecture, de papier fort, de poinçons et même de livres rédigés en braille. Ces outils sont offerts par A.V.H, une organisation française ainsi que des cannes blanches. L’alphabétisation est dispensée suivant deux catégories de personnes. Ceux qui sont nés aveugles et n’ayant donc jamais alphabétisés. Ce cas de figure constitue ceux dont l’apprentissage est plus fastidieux. Il existe également des apprenants qui avaient déjà fait une scolarité normale et qui se sont retrouvés non voyants ou mal voyants à la suite d’accident ou de maladie. Ces derniers ont déjà un bagage intellectuel acquis dont il s’agira d’adapter à la méthode du braille. D’autre part, avec le soutien de l’UNESCO, une cellule informatique a été formée. Quatre personnes ont commencé la formation mais, elles ont du arrêter à mi-chemin car le synthétiseur vocal programmé pour six mois s’est arrêté. Du coup, les formés n’ont pas fini la formation, et l’on n’a pas pu en former d’autres. Malgré ces insuffisances, l’association a à son actif un certain nombre de réalisations dont elle n’est pas peu fière. Ahmed Tidjani Diakité, membre de l’association révèle:"La Mission de Coopération Française a financé un projet pour la formation de 20 membres de notre association. Elle a duré deux mois. Ces personnes ont subi une formation en tissage de grillage. Comme la Mission était en vacances, on attend la fin de l’année pour la remise des diplômes. De plus, l’association a pu envoyer en Tunisie cinq personnes dont je faisais partie pour subir une formation de dix mois et nous sommes revenus avec des diplômes de standardistes. Quatre parmi nous ont pu faire des stages. Trois ont été recrutés officiellement au Centre Hospitalier National, l’Hôpital Cheikh Zayed, et à la Fédération Luthérienne Mondiale en qualité de standardistes. Le quatrième stagiaire est moi-même et je le suis à l’ASECNA. Il faut également savoir que nous avons formé des leaders. C’est à dire amener les gens à apprendre à monter des projets."

Femme, aveugle et entreprenante
Assise un peu en retrait, une femme, élégamment habillée, les yeux cachés derrière des lunettes noires comme la quasi totalité des membres de l’association, se tenait silencieuse. Elle écoutait les uns et les autres et opinait de la tête de temps en temps. Elle, c’est Sekina Ba, membre de l’AAM, elle est la Présidente du Comité des Femmes, formatrice en tissage de grillage et en fabrication de la craie, elle a été de ceux qui ont été envoyés en formation au Mali. Cette femme qui avait une vision normale et qui a étudié jusqu’en classe de terminale du lycée cristallise à elle seule tout le capital de contraintes que la cécité peut occasionner chez les personnes. Elle se souvient avec amertume mais aussi avec courage et réalisme de sa vie antérieure avant qu’un accident ne la plonge dans les ténèbres." Je suis aveugle mais je ne veux pas de pitié. Je ne mendierai jamais! C’est dommage que l’on ne puisse pas profiter du savoir que nous avons acquis en technique de fabrique de la craie. Quand je pense que le savoir-faire, les matières premières que sont le plâtre, l’huile et le pétrole sont là et qu’on ne puisse pas produire, j’ai la rage! Il ne nous manque que des moules adéquats." La femme s’animait au fur et à mesure qu’elle parlait " il faut nécessairement aider les jeunes non voyantes à s’alphabétiser car une aveugle doublée d’analphabète n’aura jamais de mari. Lorsqu’on a un travail, au moins, cela peut attirer les hommes." Ce cri du coeur de Sekina Ba ajouté à la joie de vivre d’Ahmed Tidjani Diakité ainsi que le calme olympien d’Abdoulaye Sy, constituent une leçon de courage et un refus de la fatalité qui doit inspirer tout handicapé. En définitive, le handicapé n’est pas forcément celui à qui il manque un membre ou un organe mais bien celui qui accepte de rester derrière. Les membres de l’A.A.M, méritent qu’on leur donne les moyens de travailler et de bénéficier des marchés pour écouler leurs grillages. C’est tout ce qu’ils demandent.
Biri N’Diaye

 


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