Interview avec Jemil Ould Mansour   
03/04/2006

 Figure emblĂ©matique de l’Islamisme mauritanien, Jemil Ould Mansour Ă©tait en aoĂ»t 2005 Ă  Dakar oĂą il a reprĂ©sentĂ© le Parti de la Convergence DĂ©mocratique (PCD non reconnu) dont il est vice-prĂ©sident  Ă  la rencontre de l’opposition en exil avec les autoritĂ©s sĂ©nĂ©galaises dans le cadre d’une mission de mĂ©diation de l’organisation de l’Union Africaine.



J’ai rĂ©alisĂ© cette interview en aoĂ»t 2005 elle fut  publiĂ©e par  «Nouakchott Info » dont j’étais le rĂ©dacteur en chef .

Quelle evalutation faites-vous de la rencontre de Dakar et des perspectives qu’elle ouvrent pour notre pays ?
Jemil Ould Mansour
: Il me semble qu’à travers la rencontre de Dakar, les autorités sénégalaises ont voulu contacter certaines forces politiques avec lesquelles elles avaient des relations et elles perçoivent en ces contacts, une opportunité de soutenir positivement le projet de transition démocratiques en Mauritanie. Nous nous sommes réunis à Dakar, nous avons discuté des questions de l’ordre du jour et nous avons rencontré le président Sénégalais, Son Excellence Abdoullaye Wade . La rencontre a pris une orientation positive axée sur les priorités du moment sur lesquelles on s’accorde. Ces priorités avaient trait à une amnistie générale pour les prisonnières civils et militaires afin que tous les fils de la Mauritanie puissent participer au projet de transition ainsi que des garanties concernant une transition durant les deux années fixées par le CMJD le retour des déportés et l’ouverture des medias publics et la reconnaissance de tous les acteurs politiques. Concernant les affaires liées aux violations des droits de l’homme, la gabegie et les relations extérieurs de la Mauritanie, nous avons dit qu’il convient de susciter un débat entre mauritaniens au cours de la période transitoire pour parvenir à des solutions consensuelles à toutes ses questions de façon à garantir l’unité du pays, sa stabilité et sa sécurité et en même temps, la justice et les droits de tout un chacun. Nous avons dit que le tout, doit se dérouler dans un climat de paix sociale, de tolérance et de fraternité, loin de tout esprit de haine ou de revanche.

Y- a-t-il eu consensus sur les termes de la déclaration finale qui a sanctionné cette rencontre?
JOM :
Il y avait des avis divergents. Mais, c’est l’orientation centriste et positive qui insiste sur le constructif, durant la période transitoire et qui ne soulève pas ce qui est de nature à compliquer la situation, qui a enfin prévalu.

 Donc le mĂ©morandum prĂ©sentĂ© aux organisateurs Ă©tait consensuel ?
JOM :
Telles Ă©taient les conclusions de la rencontre.

Y avait- il obligation de consensus avant la publication d’une déclaration finale ?
JOM
: Les conclusions ont été intégrées dans un document qui a été remis aux initiateurs de la rencontre. C’est à dire au président Wade qui s’est présenté comme délégué de l’ Union Africaine dans cette affaire et qui tient ainsi à apporter son aide aux nouvelles autorités mauritaniennes pour garantir une saine transition démocratique. Je tiens à souligner qu’au niveau des réformistes musulmans nous n’avons pas besoin du Président Wade pour une intermédiation avec les autorités mauritaniennes. Tout ce qu’il y a c’est que les règles de la politesse et du contexte nous ont amené à répondre positivement et à venir exprimer notre point de vue et notre opinion. En fait, notre relation avec les nouvelles autorités est directe et la voie qui y mène est balisée.

 Des rĂ©formistes musulmans avec une grande assise nationale, un mouvement Ă©litiste, seclariste et laĂŻc , des nationalistes Ă©troits (si on veut rester dans le jargon du MND) et des militaires rebelles, aux attaches panarabistes, quelle intersection entre tout ce beau monde ?
JOM :
Au niveau du courant réformiste musulman, nous sommes une partie intégrante du Parti pour la convergence démocratique .Telle est notre option politique et notre vision politique découle de cette base. Nous sommes un parti de l’opposition nationale de l’intérieur. Il est vrai que les conditions sécuritaires et politiques que nous avions vécu, ces dernières années ont fait, que certains d’entre nous, vivent à l’étranger et c’est dans ce cadre que nous avons eu des relations politiques avec des groupes évoluant à l’étranger . Et nous avons découvert que nous partageons avec eux, des points communs. La rencontre de Dakar ne reflétait pas un cadre politique commun à ceux qui y ont participé. Chacun y était convié en tant que tel et était responsable de ce qu’il est. Et les participants se sont mis d’accord sur les axes d’une vision qui constitue un consensus des acteurs politiques tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Mauritanie.

 Les informations qui nous sont parvenues font Ă©tat de divergences en termes de prioritĂ©s entre les participants Ă  la rencontre. Certains trouvaient le règlement du passif humanitaire et le retour des dĂ©portĂ©s, primordiaux d’autres, soulevaient l’amnistie et des garanties durant la pĂ©riode transitoire.
JOM
: Il y avait des points de vue differents et dans un tel cas, il est normal qu’il y ait débat et que cela se termine par des conclusions. Enfin de compte, il y a eu convergence sur une vision centriste pour une participation positive à la transition démocratique, loin des dossiers qui pourraient compliquer la situation.

Les accusations de proximité avec les "cavaliers du changement" portées contre les islamistes ont trouvé à Dakar, du répondant. Déjà, au sein de cette organisation, il y a des islamistes, mais à Dakar vos points de vue étaient semble-t-il convergents.
JOM :
Tout ce que je peux dire, je l’ai déjà dit lors de l’affaire du Groupe de Koutiala, quand des noms liés à la mouvance islamiste avaient été cités. J’avais dit à l’époque et de façon claire que s’il est prouvé que les personnes citées avaient un lien avec les cavaliers du changement, qu’il s’agissait-là d’une initiative individuelle et non d’une initiative collective du courant réformiste musulman .
Je continue à le dire et c’est cela la position des réformistes musulmans .Cela ne veut pas dire qu’à une certaine étape on avait pas un objectif commun avec les cavaliers du changement. Les moyens politiques et les campagnes d’informations étaient nos moyens à nous , pour créer les conditions de la chute de Ould Taya, qui avait fermé toutes les perspectives et amené le pays à l’impasse. Les cavaliers du changement avaient leurs moyens militaires et leur propre style. Nous avons été conviés à une rencontre et nous savions qu’ils participaient et nous voulons réellement participer à la concorde nationale .Et si nous pouvons être écoutés par eux, ce sera pour les convaincre et leur expliquer que le pays amorce une nouvelle ère et qu’il leur revient, comme il revient à toutes les forces qui ont œuvré à la chute de Ould Taya de réagir positivement avec la nouvelle phase transitoire. Et nous serons honorés si nous pouvons influencer ou convaincre les cavaliers du changement et les autres groupes qualifiés de radicaux, militaires fussent-ils ou civils pour réagir positivement à cette phase que traverse notre pays. Et je pense qu’effectivement Mohamed Ould Cheikhna et Mohamed Ould Saleck ont exprimé une vision équilibrée. Il est vrai qu’ils ont exigé une amnistie générale pour que les dirigeants et les membres de leur organisation puissent bénéficier de la nouvelle situation politique et c’est un droit sur lequel il y a un consensus. Et leurs points de vue étaient empreints de modération que le changement soit enfin intervenu sur leurs mains ou sur celles d’autres. C’est ce donc je peux témoigner. Notre relation avec eux ne dépasse guère ce cadre. Je l’avais dit par le passé, je le redis aujourd’hui, je le répéterais et l’histoire en témoignera.

Dans un passé récent vous avez tenu à condamner les putschs dont celui du 8 juin 2003, mais il semble que votre position par rapport aux putschs ait connue une nette évolution..
JOM :
Je ne le pense pas. J’avais bien dit à l’époque dans une interview pour "Akhbar Nouakchott " (une édition censurée) que nous sommes contre les putschs par principe. C’était à un moment où nous étions pourchassés et persécutés et dans lequel on pouvait éprouver de la sympathie pour ceux qui ont organisé le putsch du 8 juin 2003. Pourtant nous avions dit que nous étions contre les putschs comme moyen d’accession ou de maintien au pouvoir. Mais nous pensons que Ould Taya en fermant toutes les perspectives de changement pacifique et politique a poussé ceux qui ont les moyens, à être contraints et de ne pas avoir de choix. Et puis il faut avoir le sens de la mesure. Un coup d’état doit être jugé à l’aune des déclarations d’intentions et aux mesures qui l’ont suivies. Si elles s’inscrivent dans le cadre de la préparation d’une vie démocratique saine, là, il mérite compréhension, acceptation et même dans certains cas, le soutien. Mais si un coup d’état vise à ramener le pouvoir militaire par des moyens militaires afin de détourner l’opération de démocratisation, là, la position doit être celle adoptée vis-à-vis du pouvoir déchu.. Nous avons œuvré à la chute du régime dictatorial et nous avons exprimé notre satisfaction face aux intentions du conseil militaire. Nous n’avons pas à douter. Au contraire, nous avons un préjugé favorable. Les mesures prises pouvaient prendre une tournure meilleure mais de façon générale elles restent fidèles à l’orientation fixée aux débuts. Nous voulons participer positivement à la transition et nous insistons auprès du conseil militaire de rester sur la voie tracée et de respecter la période transitoire de deux années. Nous considérons qu’il s’agit d’une durée raisonnable. Nous ne voulons pas de précipitation dans une affaire qui nécessite de la préparation .En toute sincérité, au niveau de l’opposition nous avons besoin de ce temps pour nous réorganiser, au moment où d’autres étaient prêts. Et autant nous réagirons positivement aux thèmes et décisions pour une transition démocratique et les reformes dans les domaines de la justice et de la gestion ; autant nous exprimerons nos reserves, vis-à-vis de toute mesure qui pourra être qualifiée de négative.

 Des dizaines d’islamistes dont des salafistes (une tendance islamiste radicale) sont toujours maintenus en dĂ©tention après la rĂ©cente mise en libertĂ© d’un groupe d’islamistes. Votre position face Ă  leur maintien en dĂ©tention ?
JOM
:Je voudrais préciser qu’en prison il y a toujours un groupe d’islamistes dont certains du courant réformateur qui avaient été arrêtés pour des raisons différentes de celles pour lesquelles le Cheikh Mohamed El Hacen Ould Dedew et ses compagnons l’ont été. En prison, il y a également des personnes considérées par certains, comme étant proches du courant salafiste tandsique d’autres détenus sont jugés par les services de sécurité comme ayant des attaches jihadistes. En réalité, tous les détenus doivent maintenant bénéficier d’une amnistie. Et je voudrais être plus clair en disant que s’il y a des jihadistes en Mauritanie -et ce n’est pas exclu- car il s’agit là, d’un phénomène répandu dans le monde arabo-musulman, les pays n’ont que deux voies pour y faire face : Le traitement ou la confrontation. Les arrestations, les emprisonnements ne font qu’accentuer le phénomène. C’est le traitement par le dialogue, la conviction, l’apaisement, le traitement idéologique et pédagogique qui constituent des moyens par lesquels nous pouvons jouer un rôle en diffusant les valeurs de tolérance, d’ouverture. Et je pense que cette voie est la meilleure.
Au niveau du courant réformiste musulman, nous sommes préparés mieux que quinconque pour participer à la gestion de ce dossier dans l’intérêt de la stabilité du pays. La relation positive née spontanément entre nous et les nouvelles autorités, un élan qui survient sur les ruines d’une dictature ainsi que notre position morale qui nous permet de rencontrer et de discuter avec tous ceux qui se placent sous la Khaima de l’Islam, malgré les divergences, nous permet d’apporter une contribution positive dans le traitement de ce phénomène pour que nous préservions notre pays de l’extrémisme et du radicalisme.

 Les jihadistes dont des Ă©lĂ©ments Ă©voluent dans les rangs du GSPC algĂ©rien n’ont pas Ă©tĂ© conviĂ©s Ă  la rencontre de Dakar. Pourquoi ont-ils Ă©tĂ© exclus du "Bal des Radicaux" ?
JOM
: Il s’agit d’une question qu’il faut adresser aux organisateurs de la rencontre et pas à nous. Je pense que ceux qui sont considérés jihadistes n’ont pas de préoccupations d’ordre politiques et ne veulent pas participer à ce genre de rencontres. C’est pour cela qu’ils ne sont pas invités dans ce champ qui ne les intéresse pas et dans lequel ils ne sont guère prêts à s’inscrire.
Propos recueillis par IOMS


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