Les constitutions religieuses et sociales dans les villes caravanières (II eme partie)    
17/07/2007

La question des redevances de Tichitt était un aspect de la crise du consensus Tichittois après que les Masna eurent renoncé à une tradition respectée par leurs ancêtres et selon laquelle on ne devait pas faire appel aux guerriers nomades pour intervenir dans les problèmes internes de la ville. Il ne s’agirait pas d’une rupture profonde au sein de la communauté de Tichitt comme nous l’avons signalé . La diversité des composantes humaines de la ville arabe et Islamique ne l’a pas empêché de conserver ses caractéristiques et son rayonnement.



Dans la ville de Néma, non loin de Oualata, les groupes fondateurs sont les Chorfa, les Ideilba et les Bdoukal. Ils se partageaient l’espace urbain et avaient leur quartier, ce qui n’empêchait la solidarité entre eux ainsi que le partage du pouvoir. C’est à propos des questions religieuses
qu’apparaissent clairement les éléments du consensus. L’Institution de l’Imamat était et reste centrale dans la vie d’une société musulmane en raison de son lien direct avec le plan important site religieux et source qu’elle faisait partie des fonctions du Calife (au temps des califes bien guidés ou Rachidin) qui dirigeait la prière et prononçait la Khoutba les jours de fête. Outre le statut de cette fonction dans les sultanats ‘‘ islamiques’’ depuis les Umayyades jusqu’aux Mamelouk, les almoravides ont gardé une survivance du statut attaché à cette fonction dans la société saharienne ce qui a favorisé par la suite le maintien de son importance religieuse et politique dans les villes.
Les villes sahariennes ont connu des générations d’Imams célèbres par leur savoir, leur piété, leur avis juridiques et leur notoriété. Les assemblées désignaient les imams selon les usages et les équilibres au niveau des villes en plus des critères religieux. La lutte pour l’Imamat à Ouadane ou à Oualata par exemple n’était qu’un aspect de la dynamique sociale et de la concurrence au sein de l’élite savante et des fonctions dans la ville pour l’honneur et la
dignité attachées à cette fonction.

Quant à la fonction judiciaire elle était fortement liée aux rapports de forces verticaux ou horizontaux. Le Cadi avait généralement un pouvoir au niveau de la ville saharienne en raison de son rôle et de ses contacts avec les parties en plus de ses relations directes avec les pouvoirs politiques au niveau régional et sur le plan local.
Les fonctions pré-judiciaires sont souvent restées aux mains d’une même famille de Al Gasri à Néma ne correspondait pas à un recul du consensus traditionnel mais elle reflétait une situation de fait due à l’ancienneté des Lemhajib à Oualata et au partage volontaire de fonction à Néma.
Quant à la déviation qu’a connue la fonction judiciaire dans certaines campagnes et certains villages comme l’Azaouad et ses deux cités, Tombouctou et Araouan c’était qu’un aspect du déclin de ces contrées depuis l’invasion de l’armée saadienne en 1591.Cependant la Zaouiya de Kounta dirigée par Cheikh Sid El Moctar Al Kounti consolidait la tradition du consensus à travers son action et ses relations équilibrées avec les armes, les touareg et les noirs. L’organisation du pèlerinage est une autre manifestation du consensus traditionnel saharien. L’élite des Ulema, cadi et autres dignitaires a pu organiser de façon régulière le voyage malgré des difficultés et l’absence de pouvoir central.
Ainsi chaque ville organisait sa caravane de pèlerin annuellement. Il y avait la caravane de pèlerins de Oualata qui était la mieux organisée, la caravane de Tichitt, la caravane de Chinguitti, celle de Ouadane. Ces caravanes de pèlerins ne s’étaient regroupées en une seule qu’au 12 siècles après que Chinguitti était devenue une escale importante sur la route de pèlerins.
Cette ville était alors un lien de rassemblement des pèlerins de toute la Mauritanie au point qu’ ils étaient appelés pèlerins de Chinguitti. C’est ainsi que s’affirme l’identité des chinguittiens dont les pèlerins étaient par le passé mélangés au pèlerin du Tekrour. Mais les chinguittiens avaient leur langue, leur tradition vestimentaire qui les distinguaient de leur frère
du Tekrour. D’ailleurs il n’avaient accès ni aux Awqaf du Tekrour ni à ceux du Maghreb ce qui avait soulevé un problème sur l’identité de la société saharienne et ses rapports avec ses voisins du Nord et du Sud.
Nous retiendrons de cette question des Awqaf l’importance de l’effort populaire par lequel les habitants ont organisé leur vie religieuse, culturelle et sociale dans un cadre identitaire propre et ce malgré la faiblesse de la structure sociale traditionnelle et l’incapacité des pouvoirs
en terre d’Islam, la controverse au sujet du partage des Awqaf ne reflétait pas une rupture entre le sociétés traditionnelles mais un aspect que la vie politique avait connue à la fin de l’empire Ottoman en plus de la perte du consensus que la société traditionnelle avaient sécrété.
Nous retiendrons que la Société traditionnelle en Mauritanie tirait sa force du Consensus fondé sur l’Islam et sur la coutume saharienne. Les Ulemas avaient conservé ces deux tendances pour faire face aux contraintes du milieu.
La pression fiscale exercée par les guerriers nomades sur les villes alimentait une crise structurelle qui affectait le corps social au niveau des villes depuis l’origine. Mais cette crise n’a pas pu mettre fin aux institutions traditionnelles ni à ses réseaux commerciaux. C’est en fait la colonisation française qui a réussi à isoler le Sahara et le Soudan et à démanteler leur système commercial et leurs relations anciennes. Cette situation a affecté l’équilibre interne de la société mauritanienne, entre les guerriers et les Zouaya. Le Démantèlement des émirats et des chefferies guerrières a augmenté la pression sur les caravanes appartenant aux villes
et aux Zouaya de campagnes, provoquant ainsi une réelle détérioration des conditions de vie et une rupture de consensus sous la colonisation directe qui a défait les systèmes traditionnels et mis fin au rôle des assemblées. Les choses ont empiré avec le projet de «modernisation» décidé par l’Etat national qui fut accueilli dans les milieux traditionnels par de fortes réticences et, parfois, des résistances. C’est peut –être cela la cause de la contradiction entre Etat et Société en Mauritanie.
Quels sont les éléments de cette tension sous l’Etat contemporain et quelles sont les conséquences sur le pays et les hommes? Et comment restaurer le consensus?

HamahouAllah Ould Salem professeur d’Histoire à l’Université de Nouakchott

 


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