Le «Wharf», ancien port de Nouakchott est situé à une dizaine de kilomètres du centre- ville. Jadis, porte d’entrée du pays, il se meurt doucement. De l’intense activité des temps passés, le vieux port ne garde que des vestiges incarnés par cinq grues fortement rouillées. Leurs cables demeurés longtemps inchangés ont fini par ceder et les crochets gisent piteusement sur le sol du quai.
Fini le ballet incessant des navires, zodiacs et des manutentionnaires. Le vieux port est devenu définitivement le domaine des pecheurs. Toutefois malgré le caractère évident de l’inutilité du quai, ces derniers rencontrent toutes les peines du monde à acceder aux lieux.
La chaleur est etouffante, l’air irrespirable. L’astre solaire darde des rayons brulants sur les cranes. Nous sommes au carrefour communément appelé "Tiviski" ou "Nancy" à Arafat. Une demi douzaine d’hommes se tiennent sur le coté droit de la route qui mène au port. Après quelques minutes d’attente, une voiture s’immobilise. Le conducteur sort un bras et pointe les deux doigts en direction du port. Une véritable ruée s’en suit. En un clin d’oeil, la voiture chargée d’hommes s’ébranle. A peine la caserne de la Base marine était-elle en vue qu’une bouffée d’air frais venue du large fouette les visages et les passagers de soupirer en choeur:" Haaaah!". Quelqu’un lâche:" Je ne m’explique jamais ce phénomène. Comment peut-on vivre dans la même ville et vivre un écart de température aussi net. J’envie les habitants du quartier du wharf". Apres les installations industrielles des abords, nous arrivons au niveau des premières habitations. Une multitude de baraques ceinturent les logements officiels construits à l’intention du personnel du wharf du temps de sa grandeur. A droite l’on distingue un lot de voitures d’un autre age en stationnement. Mon voisin m’explique que ces vieilles guimbardes dans lesquelles les passagers s’embarquent à "l’arrêt bus" sont le moyen de transport le plus utilisé par les habitants du wharf .Cela l’est également pour les hommes qui pêchent sur le quai du vieux port. Ces derniers sont d’abord reconnaissables à leurs habits cramoisis mais aussi par tout un attirail qui va du sac en bandoulière à la canne à pêche qu’ils tiennent à la main. Arrivé au portail du wharf, un habitué des lieux m’explique:" Il vaut mieux contourner l’entrée principale car les gendarmes sont difficiles. Parfois ils laissent passer les gens, d’autres fois ils les renvoient sans ménagements. Le passage dit se situe entre le mur de la SOMAGAZ et celui du wharf, à l’extrême sud. Après quelques foulées, l’océan surgit de derrière une dune et offre un spectacle de son et de lumiere. Les vagues viennent s’écraser sur le rivage dans un grondement impressionnant. Les reflêts du soleil sur la surface des eaux se muent en millions de miroirs qui vous brouillent la vue! Il s’agit maintenant d’atteindre le pont qui mène au quai et de l’escalader. On constate tout de suite l’effet de l’usure du temps. En effet, sur la centaine de poutres métalliques qui soutiennent le quai, une bonne partie a été très largement attaquée par la rouille. Celles qui tiennent encore debout sont tout brunies surtout à leurs bases. Certaines gisent au fond de l’eau et ne laissent apparaitre qu’une partie de leur extrémité. Lorsqu’on arrive véritablement sur le quai, l’on découvre un monde singulier, celui des pêcheurs. Un vieux monsieur est assis sur le rebord du quai. Ses jambes pendent dans le vide. Il a disposé autour de lui des objets hétéroclites: Un vieux sac, une bouteille d’eau, des tranches de sardinelle qui servent d’appat, un couteau. Dans sa main, il tient une ligne, une autre est enroulée à son orteil. De temps en temps il tire d’un coup sec sur l’une des lignes : ça mord. Plus loin, un groupe d’hommes sont agglutinés sur une petite aire. Ils moulinent furieusement sur leurs cannes à pêche. Il s’agit des pêcheurs de thon. Il parait que c’est la saison. Tout à fait à la pointe du quai, devant l’immensité du grand bleu, des hommes sont assis là également en groupes serrés et sont visiblement concentrés qui sur sa canne à pêche, qui sur sa ligne. C’est le carré des expérimentés. L’eau à ce niveau est trés profonde. On peut y faire parfois de belles prises du genre daurades ,mérous et courbines. Ce carré est fait de personnes de tout age et de toute conditions sociales. On y trouve de simples gens mais également de hauts cadres.Alioune Camara un des anciens pêcheurs du wharf confie:" J’ai commencé à pêcher ici depuis les années 70. A l’époque pour accéder au quai, il fallait avoir une autorisation signée par le directeur du wharf. Avec la mise en service du Port de l’Amitié, le wharf a été progressivement délaissé. Seuls quelques rares bateaux venaient accoster au quai, puis il n y en avait plus du tout mis à part le navire gazier qui venait approvisionner les cuves de la SOMAGAZ. Depuis bientôt deux ans, ce dernier ne mouille plus au quai. Ce que je ne comprends pas c’est pourquoi les gendarmes qui sont en poste viennent chasser les pêcheurs du quai dès que l’envie leur en prend. Pour quelle raison le font-ils? L’homme s’était subitement énervé. Il se tut. Abdallahi que la scène semble interesser s’approche:" Vous savez, il faut que les gens sachent ce qui se passe ici. On ne sait pas quoi faire de cette situation. Il faut savoir que s’il existe des pêcheurs du dimanche qui le font par loisir ou passion, il y en a qui ne vivent que de ça. Regardez ces hommes qui tendent leurs filets et ces autres qui pêchent à la ligne, ce sont de braves gens qui vivent du revenu de leur pêche. Ils viennent ici aux premières heures du jour et ne rentrent que le soir. Certains dorment sur place. Ils ne font aucun mal. Pendant que certains sont entrain commettre des coups tordus en ville ou à draguer les femmes ,eux se tuent à la tache. C’est injuste qu’on les chasse!" Quant à Mohamed Vall, un jeune soldat qui s’adonne à la pratique pour arrondir ses fins de mois, il se plaint de la raréfaction du poisson. "Mon pére qui a toujours péché ici m’a raconté que du temps où il pratiquait l’activité ici , il y avait tellement de poissons que lorsque l’on on jetait un hameçon nu dans l’eau, les poissons se jetaient dessus, si bien que l’on pouvait remplir un sac en une demi heure et rentrer chez soi. Aujourd’hui, le poisson se fait rare. Il ya seulement quelques années, le mois d’avril était une période faste, les daurades et le thon étaient toujours au rendez-vous. Mais maintenant, on peut rester des jours durant sans voir l’ombre d’un bon poisson .On ne prend qu’une variété appelée "Sikett". C’est un poisson de très basse qualité. On s’en contente pour faire de la friture. . Les chalutiers étrangers ont tout vidé, jusqu’aux algues des profondeurs. C’est pourquoi, je pêche le calamar pour tromper mon ennui. C’est un type de pêche qui demande beaucoup de patience et je vends mes prises à Ali, le revendeur." Ce microcosme qui grouille sur le quai constitue un cénacle ou se construisent de vraies histoires humaines. Des amitiés y naissent, des liens indéfectibles y voient le jour. Cest un monde que l’oeil du profane ne peut deceler au premier abord. Il faut intégrer le milieu pour en comprendre le fonctionnement. Il faut également beaucoup de patience pour apprivoiser la terminologie qui y est employée. Des expressions du genre"plomb n’gatta, plomb crochet , hameçon numéro 7,8,9,10,11,12,13; thiass 040,050,060,070,080, ne peuvent être apprises en quelques séances. Il en est de même pour les espèces de poisson. Il faut du temps pour faire le distingo entre le yoss, le thiath, le n’galgal, le thiof, le docteur, le koroth, le soroth etc. Aussi, le néophyte appelé "Thiouné" par les anciens devra bien accepter son bizutage qui est fait de railleries. Il faut également s’armer d’un grand esprit de flexibilité pour apprendre à gérer le petit espace de pêche. Ainsi, s’il arrive que votre ligne s’emmêle avec celle du voisin, il faut contenir son impatience et attendre que ce dernnier démêle l’écheveau. Si certains vous distillent épisodiquement des tas de trucs et astuces, d’autres s’amusent volontiers à vous les cacher en espérant vous voir dans l’épreuve. Mais tout cela se fait dans la bonne humeur en général. Ainsi est rythmé la vie sur le quai du wharf. Le vieux port continue à résister aux lames des vagues qui viennent se fracasser contre ses flancs usés, mais il tient encore debout et continue à nourrir son monde. Ces hommes aux mains calleuses et aux visages halés par l’air marin continuent aussi à faire confiance en la mer nourricière. Alors messieurs les gendarmes, courez apres les voleurs et laissez les travailleurs de la mer en paix.
Biri N’DIAYE
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