Reportage: le vieux port, la mer, et les pĂ©cheurs du dimanche   
25/04/2007

Le «Wharf», ancien port de Nouakchott est situĂ© Ă  une dizaine de kilomètres du centre- ville. Jadis, porte d’entrĂ©e du pays, il se meurt doucement. De l’intense activitĂ© des temps passĂ©s, le vieux port ne garde que des vestiges incarnĂ©s par cinq grues fortement rouillĂ©es. Leurs cables demeurĂ©s longtemps inchangĂ©s ont fini par ceder et les crochets gisent piteusement sur le sol du quai.



Fini le ballet incessant des navires, zodiacs et des manutentionnaires. Le vieux port est devenu dĂ©finitivement le domaine des pecheurs. Toutefois malgrĂ© le caractère Ă©vident de l’inutilitĂ© du quai, ces derniers rencontrent toutes les peines du monde Ă  acceder aux lieux.

La chaleur est etouffante, l’air irrespirable. L’astre solaire darde des rayons brulants sur les cranes. Nous sommes au carrefour communĂ©ment appelĂ© "Tiviski" ou "Nancy" Ă  Arafat. Une demi douzaine d’hommes se tiennent sur le cotĂ© droit de la route qui mène au port. Après quelques minutes d’attente, une voiture s’immobilise. Le conducteur sort un bras et pointe les deux doigts en direction du port. Une vĂ©ritable ruĂ©e s’en suit. En un clin d’oeil, la voiture chargĂ©e d’hommes s’ébranle. A peine la caserne de la Base marine Ă©tait-elle en vue qu’une bouffĂ©e d’air frais venue du large fouette les visages et les passagers de soupirer en choeur:" Haaaah!". Quelqu’un lâche:" Je ne m’explique jamais ce phĂ©nomène. Comment peut-on vivre dans la mĂŞme ville et vivre un Ă©cart de tempĂ©rature aussi net. J’envie les habitants du quartier du wharf". Apres les installations industrielles des abords, nous arrivons au niveau des premières habitations. Une multitude de baraques ceinturent les logements officiels construits Ă  l’intention du personnel du wharf du temps de sa grandeur. A droite l’on distingue un lot de voitures d’un autre age en stationnement. Mon voisin m’explique que ces vieilles guimbardes dans lesquelles les passagers s’embarquent Ă  "l’arrĂŞt bus" sont le moyen de transport le plus utilisĂ© par les habitants du wharf .Cela l’est Ă©galement pour les hommes qui pĂŞchent sur le quai du vieux port. Ces derniers sont d’abord reconnaissables Ă  leurs habits cramoisis mais aussi par tout un attirail qui va du sac en bandoulière Ă  la canne Ă  pĂŞche qu’ils tiennent Ă  la main. ArrivĂ© au portail du wharf, un habituĂ© des lieux m’explique:" Il vaut mieux contourner l’entrĂ©e principale car les gendarmes sont difficiles. Parfois ils laissent passer les gens, d’autres fois ils les renvoient sans mĂ©nagements. Le passage dit se situe entre le mur de la SOMAGAZ et celui du wharf, Ă  l’extrĂŞme sud. Après quelques foulĂ©es, l’ocĂ©an surgit de derrière une dune et offre un spectacle de son et de lumiere. Les vagues viennent s’écraser sur le rivage dans un grondement impressionnant. Les reflĂŞts du soleil sur la surface des eaux se muent en millions de miroirs qui vous brouillent la vue! Il s’agit maintenant d’atteindre le pont qui mène au quai et de l’escalader. On constate tout de suite l’effet de l’usure du temps. En effet, sur la centaine de poutres mĂ©talliques qui soutiennent le quai, une bonne partie a Ă©tĂ© très largement attaquĂ©e par la rouille. Celles qui tiennent encore debout sont tout brunies surtout Ă  leurs bases. Certaines gisent au fond de l’eau et ne laissent apparaitre qu’une partie de leur extrĂ©mitĂ©. Lorsqu’on arrive vĂ©ritablement sur le quai, l’on dĂ©couvre un monde singulier, celui des pĂŞcheurs. Un vieux monsieur est assis sur le rebord du quai. Ses jambes pendent dans le vide. Il a disposĂ© autour de lui des objets hĂ©tĂ©roclites: Un vieux sac, une bouteille d’eau, des tranches de sardinelle qui servent d’appat, un couteau. Dans sa main, il tient une ligne, une autre est enroulĂ©e Ă  son orteil. De temps en temps il tire d’un coup sec sur l’une des lignes : ça mord. Plus loin, un groupe d’hommes sont agglutinĂ©s sur une petite aire. Ils moulinent furieusement sur leurs cannes Ă  pĂŞche. Il s’agit des pĂŞcheurs de thon. Il parait que c’est la saison. Tout Ă  fait Ă  la pointe du quai, devant l’immensitĂ© du grand bleu, des hommes sont assis lĂ  Ă©galement en groupes serrĂ©s et sont visiblement concentrĂ©s qui sur sa canne Ă  pĂŞche, qui sur sa ligne. C’est le carrĂ© des expĂ©rimentĂ©s. L’eau Ă  ce niveau est trĂ©s profonde. On peut y faire parfois de belles prises du genre daurades ,mĂ©rous et courbines.
Ce carrĂ© est fait de personnes de tout age et de toute conditions sociales. On y trouve de simples gens mais Ă©galement de hauts cadres.Alioune Camara un des anciens pĂŞcheurs du wharf confie:" J’ai commencĂ© Ă  pĂŞcher ici depuis les annĂ©es 70. A l’époque pour accĂ©der au quai, il fallait avoir une autorisation signĂ©e par le directeur du wharf. Avec la mise en service du Port de l’AmitiĂ©, le wharf a Ă©tĂ© progressivement dĂ©laissĂ©. Seuls quelques rares bateaux venaient accoster au quai, puis il n y en avait plus du tout mis Ă  part le navire gazier qui venait approvisionner les cuves de la SOMAGAZ. Depuis bientĂ´t deux ans, ce dernier ne mouille plus au quai. Ce que je ne comprends pas c’est pourquoi les gendarmes qui sont en poste viennent chasser les pĂŞcheurs du quai dès que l’envie leur en prend. Pour quelle raison le font-ils? L’homme s’était subitement Ă©nervĂ©. Il se tut.
Abdallahi que la scène semble interesser s’approche:" Vous savez, il faut que les gens sachent ce qui se passe ici. On ne sait pas quoi faire de cette situation. Il faut savoir que s’il existe des pĂŞcheurs du dimanche qui le font par loisir ou passion, il y en a qui ne vivent que de ça. Regardez ces hommes qui tendent leurs filets et ces autres qui pĂŞchent Ă  la ligne, ce sont de braves gens qui vivent du revenu de leur pĂŞche. Ils viennent ici aux premières heures du jour et ne rentrent que le soir. Certains dorment sur place. Ils ne font aucun mal. Pendant que certains sont entrain commettre des coups tordus en ville ou Ă  draguer les femmes ,eux se tuent Ă  la tache. C’est injuste qu’on les chasse!" Quant Ă  Mohamed Vall, un jeune soldat qui s’adonne Ă  la pratique pour arrondir ses fins de mois, il se plaint de la rarĂ©faction du poisson. "Mon pĂ©re qui a toujours pĂ©chĂ© ici m’a racontĂ© que du temps oĂą il pratiquait l’activitĂ© ici , il y avait tellement de poissons que lorsque l’on on jetait un hameçon nu dans l’eau, les poissons se jetaient dessus, si bien que l’on pouvait remplir un sac en une demi heure et rentrer chez soi. Aujourd’hui, le poisson se fait rare. Il ya seulement quelques annĂ©es, le mois d’avril Ă©tait une pĂ©riode faste, les daurades et le thon Ă©taient toujours au rendez-vous. Mais maintenant, on peut rester des jours durant sans voir l’ombre d’un bon poisson .On ne prend qu’une variĂ©tĂ© appelĂ©e "Sikett". C’est un poisson de très basse qualitĂ©. On s’en contente pour faire de la friture. . Les chalutiers Ă©trangers ont tout vidĂ©, jusqu’aux algues des profondeurs. C’est pourquoi, je pĂŞche le calamar pour tromper mon ennui. C’est un type de pĂŞche qui demande beaucoup de patience et je vends mes prises Ă  Ali, le revendeur."
Ce microcosme qui grouille sur le quai constitue un cĂ©nacle ou se construisent de vraies histoires humaines. Des amitiĂ©s y naissent, des liens indĂ©fectibles y voient le jour. Cest un monde que l’oeil du profane ne peut deceler au premier abord. Il faut intĂ©grer le milieu pour en comprendre le fonctionnement. Il faut Ă©galement beaucoup de patience pour apprivoiser la terminologie qui y est employĂ©e. Des expressions du genre"plomb n’gatta, plomb crochet , hameçon numĂ©ro 7,8,9,10,11,12,13; thiass 040,050,060,070,080, ne peuvent ĂŞtre apprises en quelques sĂ©ances. Il en est de mĂŞme pour les espèces de poisson. Il faut du temps pour faire le distingo entre le yoss, le thiath, le n’galgal, le thiof, le docteur, le koroth, le soroth etc.
Aussi, le nĂ©ophyte appelĂ© "ThiounĂ©" par les anciens devra bien accepter son bizutage qui est fait de railleries. Il faut Ă©galement s’armer d’un grand esprit de flexibilitĂ© pour apprendre Ă  gĂ©rer le petit espace de pĂŞche. Ainsi, s’il arrive que votre ligne s’emmĂŞle avec celle du voisin, il faut contenir son impatience et attendre que ce dernnier dĂ©mĂŞle l’écheveau. Si certains vous distillent Ă©pisodiquement des tas de trucs et astuces, d’autres s’amusent volontiers Ă  vous les cacher en espĂ©rant vous voir dans l’épreuve. Mais tout cela se fait dans la bonne humeur en gĂ©nĂ©ral.
Ainsi est rythmĂ© la vie sur le quai du wharf. Le vieux port continue Ă  rĂ©sister aux lames des vagues qui viennent se fracasser contre ses flancs usĂ©s, mais il tient encore debout et continue Ă  nourrir son monde. Ces hommes aux mains calleuses et aux visages halĂ©s par l’air marin continuent aussi Ă  faire confiance en la mer nourricière. Alors messieurs les gendarmes, courez apres les voleurs et laissez les travailleurs de la mer en paix.

Biri N’DIAYE


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