Pour éviter l’émission des jugements fondés sur des données abstraites et afin de contourner le traitement des cas fictifs, l’Imam Malik Ibnou Anas (m.179H/ 795 ap JC) déconseillait à ses étudiants la spéculation juridique et leur demandait, inlassablement, «si le problème qu’ils lui soumettaient s’était réellement posé», et quand on lui répondait qu’il s’agissait, tout simplement, d’une hypothèse ou même d’une probabilité, il se contentait de dire : «Attendez que le cas se pose».
Cette sagesse qui fut exprimée, il y’a douze siècles, par un grand maître fondateur d’une école juridique, laquelle a été, en vertu des lois de la République Islamique de Mauritanie, érigée en référence pour le Droit national, trouve, dans la confusion du débat suscité par l’inopportune question du vote blanc, toute sa perspicacité. De la confusion constitutionnelle. Il convient de signaler que le mimétisme juridique qui caractérise le Droit constitutionnel mauritanien est le produit d’une constante improvisation qui a, toujours été, dictée par des circonstances exceptionnelles. Il n’est, donc, guère étonnant qu’une logique politique fondée sur un état d’esprit, profondément marqué , par l’urgence aboutisse, à une confusion originelle qui affecte, considérablement, la lisibilité du Droit constitutionnel mauritanien.. L’exemple le plus frappant de cette confusion apparaît dés le préambule de la constitution du 20 juillet 1991qui consacre l’Islam en tant que «seule source de Droit». Cette formule aussi ambiguë qu’imprécise qui a été insérée pour ménager des légitimes susceptibilités, est souvent invoquée, dans le débat politique, en tant que fondement exclusif du Droit mauritanien. Or, malgré la pertinence des thèses doctrinales qui ont été développées, au sujet de la juxtaposition des règles d’une double inspiration religieuse et laïque, il faut bien se résigner à constater qu’une lecture littéraliste de la constitution soulève bien de difficultés d’interprétation. C’est dire que si l’on s’en tiendrait au salafisme constitutionnel et à son corollaire, l’inflexible Droit, l’interprétation littéraliste de l’actuelle loi fondamentale pourrait, facilement, nous conduire à un inextricable conflit de lois. Mais s’il est, aisément, compréhensible que le mimétisme juridique soumis à une constante improvisation aboutisse à un bricolage peu rassurant qui s’est traduit par une compilation de nombreuses règles juridiques incohérentes, il est bien difficile d’admettre que la confusion du Droit soit l’alibi qui permettrait de faire dire à la loi ce qu’elle ne dit pas.
Du silence de la loi. S’il est vrai que la constitution indique, clairement, que le président de la république est «élu à la majorité absolue des suffrages exprimés», il n’en demeure pas moins vrai qu’en aucun cas, celle-ci n’envisage l’organisation de nouvelles élections dans le cas où une telle majorité ne se réalise pas au second tour. A lui seul, ce silence ne peut être interprété qu’en faveur d’une évolution positive du processus électoral visé par l’article 26 de la constitution. L’interprétation de la loi ne saurait, notamment, conduire à une situation de blocage qui serait, elle même, incompatible avec la finalité du Droit. Certes, il appartient au juge constitutionnel d’apprécier, souverainement, le cas d’une éventuelle élection présidentielle dans laquelle, aucun des deux candidats qui auraient participé au second tour n’a pu obtenir la majorité absolue. Mais en vertu de ce pouvoir d’interprétation, il faut bien qu’il se fonde sur des éléments positifs pouvant éclairer sa décision. Parmi ces éléments, il y’a entre autres, le fait que l’article 26, repris hâtivement par une ordonnance toute fraîche, n’insiste pas sur le terme ’’majorité absolue’’ pour ce qui est du second tour. La disposition constitutionnelle qui se garde, d’ailleurs, d’ajouter le qualificatif «exprimés» à suffrages se contente, à ce niveau, de préciser que « Seuls peuvent s’y présenter les deux candidats qui, restés en compétition, ont recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour ». Il en résulte que le vote blanc est tout simplement ignoré et qu’il n’est pas pris en considération dans le décompte des voix au second tour. Aucun argument conséquent ne peut empêcher le juge constitutionnel, auquel incombe la validation de l’élection, de voire dans cette parcimonie, un appel à son initiative constructive pour interpréter la loi dans l’unique sens qui permettrait à l’élection de produire ses effets. De ce point de vue, seules des considérations extralégales, d’ordre politique, pourraient, donner au vote blanc une portée.
La portée politique du vote blanc Dans le système électoral français qui constitue une source d’inspiration pour le Droit électoral mauritanien, le vote blanc n’est pas comptabilisé lors du dépouillement des voix. Cette modalité d’expression, marginale, est une forme civique d’abstention. En effet, celle-ci était, traditionnellement, liée à un militantisme de rejet, incarné par des courants d’extrême gauche, vis-à -vis de l’option démocratique. On peut bien se demander sur la portée politique d’un rejet par un vote dans le contexte de l’actuelle «transition démocratique» qui se déroule en Mauritanie. Ce vote pourrait impliquer deux significations aussi divergentes qu’imprévues. La première serait celle qui tiendrait à la volonté du peuple mauritanien de revenir à la situation antérieure au 3 août 2005, la seconde s’identifierait à une alternative à la Démocratie qui maintiendrait la Mauritanie sous un régime d’exception. Or, à en croire les engagements internationaux pris au nom de la Mauritanie, les deux hypothèses sont exclues.
|