L’apéro, la nouvelle mode à Nouakchott?   
13/06/2006
Proclamée conviviale et labellisée branchée, une nouvelle tradition d’apéritifs différents du «zrig» local ou de l’«ataya» fait une irruption fracassante dans nos habitudes. Les Nouakchottois se laissent peu à peu séduire par les appels de sirènes de saveurs importées et des parfums jusque là inconnus par le grand public: des sirops, des cafés et d’autres liqueurs «prohibées».



Naguère tradition estivale réservée aux coopérants et à une certaine élite locale ayant fait ses classes en Occident ou dans les pays arabes, l’apéro à base de sucs d’ailleurs se savoure désormais à longueur de journée et d’années par un large panel de jeunes gens mauritaniens. A l’heure de la consécration de la mondialisation des comportements et des habitudes, cette mode inventée par l’Orient, adoptée depuis par l’Occident fédère aujourd’hui à Nouakchott amis, collègues de travail, et même voisins de quartiers.
Au «Petit Café», à Pizza Lina, à la buvette du Centre Culturel Français ou à la Palmeraie… Ce sont les endroits à fréquenter. Ouverts depuis quelques années déjà, ces espaces débordent de clients, jusque sur les trottoirs. Dans ces temples de la cool «branchitude», vous avez le choix entre terrasses, rez-de-chaussée ou parvis. Sur les cartes, sur tous les tons, «on the rocks» ou en cocktails, les jus de fruits. Et les cafés alors ? Turc, capuccino, crémeux, et on ne sait quoi encore. Des noms parfois barbares juste de quoi bluffer, et flatter l’«égotrip» du pauvre mauritanien en quête désespérée de sensations nouvelles et d’évasions.
A un coin de ces établissements prétendument huppés, toujours une bande de jeunes filles déguisées avec un goût douteux, maquillées à mort, s’agitent autour d’un portable sonnant sans cesse, pour attirer l’attention d’un «métèque» au teint blafard de préférence. Point besoin de présentations, bientôt les euros vont faire le reste.
Dans l’un de ces lieux, l’apéro est souvent corsé. De toute évidence, cet endroit n’est pas trop indiqué pour les «têtes légères». «Ici, avec du citron vert, de la glace pilée et du sucre de canne, une eau-de-vie nommée cachaça, liqueur brésilienne de canne à sucre, cousine sud américaine semble-t-il du rhum antillais sert de base à l’apéro le plus tendance du moment chez la clientèle étrangère», selon le gérant.

L’apéro selon les classiques
Branché l’apéritif ? «Oui parce que c’est le symbole absolu de l’hospitalité, de la convivialité et des valeurs traditionnelles en Mauritanie» explique Eli, un inconditionnel du « ataya», thé à la mauritanienne. Curieux non ?
Pas tant que cela. En réalité, les mauritaniens se reçoivent 4 fois plus les uns et les autres et fréquentent 5 fois plus les cafétérias et les restaurants qu’il y a quinze ans. Le phénomène est en nette augmentation depuis 2002, avec la confirmation de la découverte de gisements de pétrole. Depuis lors, des étrangers et surtout les maghrébins ont investi le domaine des «shops» d’apéro, et de rafraîchissements.
Pourtant de tout temps, dans plusieurs maisons mauritaniennes, la préparation et la prise de thé ou de «zrig», permettaient de retrouver une convivialité, et du coup de resserrer d’autant plus les liens avec sa tribu, dans un cadre familial et familier.
Résultat : d’un moment de transition, en attendant le repas et à l’arrivée des invités pour passer à table, c’est un mode de vie à part entière que de prendre le «zrig». Cet apéro national est un must chez les «bidhane». Selon une légende ayant la vie dure: «ce breuvage creuse le ventre et aiguise l’appétit.»
Mais, aujourd’hui, nos sacro-saints «zrig» et «ataya» sont sérieusement concurrencés par le café soluble ou moulu décliné sous toutes les saveurs. Une tendance qui confirme l’adage antillais qui proclame: «du café noir ou du café au lait, ça reste toujours du café.»
Dans le même sillage, les jus de toutes sortes importés essentiellement d’Algérie, du Maroc et du Golfe persique, loin d’être ce qu’il y a de mieux, s’invitent également à la table des nouveaux autoproclamés «jet-setteurs» de Nouakchott.

Apéro moderne, dégustation et mode d’emploi
A en croire les paroles d’un importateur de boissons: «les commandes et les ventes de «digestifs» augmentent un peu l’été, avec notamment la montée de la température ambiante, mais on ne peut pas parler de pic de consommation»
Pour Mamadou Diallo, un jeune malien, serveur dans un cafétéria fréquenté de la Capitale: « les achats varient selon les origines de la clientèle. En général, les maghrébins sont davantage portés sur les cafés forts et les jus fruités, alors que les mauritaniens préfèrent les boissons gazeuses et les tisanes, tandis que les occidentaux ont un penchant pour le vin et aiment plus à découvrir les mixages de jus exotiques comme le «bissap».
En outre, «En Mauritanie, la consommation varie plus en fonction de l’humeur du consommateur, que de la saison» nous susurre un garçon de café. «Ce n’est pas une question de température extérieure mais d’envie signale Serge, grand amateur de bons sucs rencontré dans un hôtel de la place. Il se dit «connaisseur» et préconise, avant le repas de «privilégier la prise de boissons fraîches non gazeuses, juste une demi-heure avant de manger, histoire de dilater l’estomac». Trop amusant, le bonhomme cherche à impressionner et veut démontrer aux faibles d’esprit qui l’entourent qu’il s’y connaît en boissons. Il poussa ainsi le bouchon jusqu’à recommander à ses jeunes amis -qui apparemment boivent ses paroles- des astuces de bourgeois bohème. «Il faut utiliser des verres à pied et en forme de tulipe, plutôt que les verres en fond plat» leur dit-il. Il ajoute, d’autres conseils? Pour le thé ou le café, il faut éviter le trop plein de saccharose, le diabète guette. Et finit par conclure sentencieusement: «pitié, éviter les cacahuètes et les crackers : en grande quantité, le sel tue les arômes.»
Les jeunes nouakchottois en sont restés les mâchoires inférieures ballantes.
De plus, la mode suscitant des vocations et les vocations étant créées par le mode, c’est toute une économie qui surfe sur cette vague de consommation. Des buvettes en profitent et rivalisent d’ingéniosité. Aujourd’hui, la tendance du moment est aux «bi-goûts». Des duos comme fraise-mangue, pomme-vanille, bissap-pain de singe… Tout ce qui évoque les saveurs un peu régressives a le vent en poupe dans certains bars tenus par des nationaux. Hormis l’hôtel Novotel Tfeila, il est à regretter que les élixirs locaux des terroirs n’occupent que 5% des cartes des établissements de restauration.
En revanche, dans les hauts lieux gérés par les «naçranis», en embuscade, parfois en arrière plan, derrière un pilier ou dans un coin de mur, une bouteille et un verre guettaient un glaçon, une main lactescente s’approche… Ne briser surtout pas la glace !!!
Une goutte et c’est parti pour une tournée.
Surtout qu’on se rappelle bien évidemment que selon la légende, une eau de vie aurait rendu Van Gogh dingue à se couper une oreille. Que dire d’Edgar Allen Poe ou de Baudelaire? Qui s’y frotte qui pique !
Par El Hadj Cissé dit Popèye


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