Médias et sécurité en Afrique de l’Ouest   
24/06/2019

Le forum sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme dans la zone UEMOA a clos ses portes, le vendredi 21 juin 2019 avec à la clé, l’appel de Ouagadougou pour une meilleure contribution des médias au combat contre la nébuleuse terroriste.



A l’issue de deux jours de travaux, des journalistes, des étudiants en journalisme et communication, des acteurs étatiques et de la sécurité des pays de l’Afrique de l’Ouest, du G5 Sahel et d’ailleurs, réunis dans la capitale burkinabè pour le forum sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme dans la zone UEMOA, ont tous reconnu que les médias ont un grand rôle à jouer dans le combat contre la nébuleuse terroriste. De ce fait, ils ont lancé l’appel de Ouagadougou qui recommande aux médias de créer des espaces d’informations, d’éducation et de sensibilisation sur le vivre-ensemble et de travailler à la spécialisation des journalistes-reporters au traitement de l’information sécuritaire. Les institutions sous-régionales, notamment l’UEMOA et le G5 Sahel, ont été appelées à renforcer les capacités d’actions des journalistes à travers des équipements et des formations. Elles se doivent également de développer des projets et programmes éducatifs dans les domaines de la paix et de la sécurité en collaboration avec le Groupement des éditeurs de presse publique d’Afrique de l’Ouest (GEPPAO), initiateur du forum. L’édiction d’une charte d’éthique commune en situation de crise sécuritaire, la mise en place et la valorisation d’un comité d’experts issus de ce forum avec rang consultatif pour les gouvernants figurent également dans l’Appel de Ouagagougou. Les participants ont, en outre, recommandé aux gouvernants de faciliter le travail des journa-listes en renforçant leurs capacités d’intervention sur le terrain, d’instaurer un climat de confiance entre les acteurs de la lutte et de va-loriser les médias nationaux. Pour la réalisation de toutes ces recommandations, un conseil scientifique placé sous la présidence du chef de l’Etat, Roch Kaboré et composé d’une quinzaine d’experts aux compétences riches et complémentaires a été mis en place. Il est chargé de reprendre le flambeau du forum et de travailler inlassa-blement pour trouver des solutions durables aux problèmes actuels. Ce comité assistera toutes les institutions sous-régionales et internationales qui militent pour la démocratie et la bonne gouvernance, la paix, la sécurité, les droits de l’homme, les libertés publiques, la li-berté de presse et le développement économique et social de l’Afrique de l’Ouest. Ce, afin que des solutions africaines soient trouvées aux problèmes africains par des africains.

Une contribution saluée

Toutes ces résolutions ont été prises à la suite de plusieurs communications et discussions sur des thématiques en lien avec le thème du forum : « Le rôle des médias dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest : entre contraintes sécuritaires et devoirs professionnels ». Ainsi, du rapport de la rencontre présenté par le secrétaire général du GEPPAO et le directeur général des Editions Sidwaya, Mahamadi Tiégna, il est ressorti que des experts et d’éminentes personnalités dont l’ancien Premier ministre du Mali, Soumeylou Boubèye Maïga, le directeur exécutif de Smart Africa, Hamadoun Touré, l’ancienne ministre des Affaires étrangères du Niger, Aichatou Mindaoudou, les journalistes Serge Daniel, correspondant de RFI au Mali et Isselmou Moustapha Salihi, fondateur du journal Tahalil en Mauritanie…ont planché sur les raisons et les conséquences du terrorisme dans la sous-région ainsi que les bonnes manières de traiter les informations y afférentes afin de ne pas faire le jeu des terroristes. Le président du GEPPAO, Venance Konan, par ailleurs directeur général de Fraternité Matin de la Côte d’Ivoire, s’est dit comblé par les résultats atteints. «Les travaux ont été très riches. Nous allons maintenant nous employer à appliquer les recommandations formulées», a-t-il informé. S’agissant de l’Appel de Ouagadougou, il dit espérer qu’il sera entendu, car selon lui, la question de l’insécurité concerne tout le monde et chacun doit jouer sa partition. Du côté du gouvernement burkinabè, le message est bien reçu, foi du ministre de la Communication et des Relations avec le Parlement, Remis Fulgance Dandjinou. Représentant le chef de l’Etat, celui-ci s’est réjoui de la pertinence des contributions apportées.
Il a aussi félicité le forum pour l’élaboration d’un projet d’éducation et de sensibilisation des acteurs des médias de la sous-région dans le sens d’une participation plus efficace à la lutte contre le terrorisme. «Ledit projet sera soumis à l’UEMOA pour son application. Le forum a donc été utile, car il a permis de poser les bases d’une action concertée portée par la sous-région. Nous avons espoir que cette contribution apportera ses fruits dans le quotidien des populations de la zone du G5-Sahel», a-t-il souhaité. En attendant cela, il a rassuré les médias de l’engagement du chef de l’Etat et des gouvernements des pays membres du G5 Sahel à leur apporter le soutien nécessaire dans leur contribution à la lutte contre le terrorisme.

Eliane SOME

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La bonne note des participants

A la fin du forum, plusieurs participants ont apprécié positivement les travaux et livré leur lecture du traitement de l’information relative aux actes terroristes.

Daouda Mané, directeur de la rédaction du journal sénégalais
«Le Soleil»: «Le forum a été très instructif».
«Le forum a été très instructif du point de vue des communications de haute facture qui l’ont meublé. Les uns et les autres ont beaucoup appris et utiliseront les idées reçues pour que l’Afrique de l’Ouest et même tout le continent en bénéficie. S’agissant du traitement des informations sur le terrorisme, c’est un exercice difficile pour le journaliste, parce que l’impératif du devoir d’informer se confronte à celui de préserver la sécurité publique par laquelle il est concerné. Car, sans paix, il aura du mal à exercer son métier. Il faut donc que les médias, les forces de défense et de sécurité et les gouvernants travaillent ensemble en toute confiance sans quoi, il n’y aura pas de résultats»

Valentin Mbougueng, conseiller spécial du DG de Fraternité Matin : «Nous avons parfois fait le jeu des terroristes».
«Dans le contexte de terrorisme, il faut absolument s’en tenir à l’éthique dans le traitement de l’information y afférente. Il faut avoir à l’idée la responsabilité, qui doit être la nôtre dans le traitement et la publication d’informations ultra sensibles pouvant mettre en péril les interventions des forces de sécurité. Nous devons trouver la bonne formule, savoir où mettre le curseur entre la liberté d’informer qui est l’essence du journaliste et le devoir de protéger l’Etat dans lequel nous sommes car s’il se désintègre, il n’y a plus de liberté de presse. C’est en cela, que le forum est une grande réussite. En témoigne, la mobilisation de medias venus de la zone UEMOA, du G5 Sahel et d’au-delà. Les recommandations vont permettre de poursuivre les réflexions et de trouver les moyens pour les journalistes de se spécialiser davantage, car au départ, nous avons péché par inexpérience. Nous ne savions pas comment traiter ces questions et nous avons parfois fait le jeu des terroristes sans le savoir»

Aichatou Mindaoudou, PDG du bureau d’études IPITI : «il faut privilégier l’intérêt général».
«Ce forum a été très pertinent et il vient à point nommé vu la situation qui prévaut dans notre sous-région. Il est important que chaque composante de la société réfléchisse à comment elle peut apporter sa contribution à la lutte contre le terrorisme. Dans leur travail, les journalistes doivent comprendre qu’il faut sacrifier les intérêts particuliers sur l’autel de l’intérêt général. En démocratie, la liberté d’expression est sacrée. Je ne suis pas de ceux qui voudraient qu’elle soit limitée n’importe comment. Mais, il y a des limites qui sont objectives. Si les journalistes adoptent une attitude qui fait que le pays se casse, où irons-nous vivre ? Le journaliste doit donc jouer son rôle mais quand cela est nécessaire. Il faut privilégier l’intérêt général afin de préserver la paix, la sécurité et la quiétude des populations».

Isselmou Moustapha Salihi, fondateur du journal mauritanien Tahalil : «Interviewer des victimes en état de choc alimente la psychose».
«Les services de sécurité sont dans le silence et le secret défense et ne rendent comptent qu’à leur hiérarchie. Nous, journalistes, par contre, rendons compte à l’opinion publique. Même si nous consacrons le droit du citoyen à l’information, la liberté d’expression et d’opinion nous sommes des citoyens avant tout. Nous devons donc respecter la loi qui protège le secret défense et la sécurité nationale. Aussi, il faut éviter de se faire manipuler par la propagande djihadiste ou terroriste, de publier par exemple les communiqués de revendication d’attaques, des images choquantes, des informations sur les mouvements des forces de défense et de sécurité, car l’ennemi peut l’exploiter. Il faut aussi éviter d’interviewer des victimes en état de choc, car cela contribue à la psychose et à la terreur. Mais par contre, il faut continuer à donner l’information, car ce ne sont pas les journalistes qui produisent les attaques ou les inventent. Le forum est de ce fait à saluer, car il a été une excellente opportunité pour échanger sur les visions, les perceptions, les expériences des uns et des autres. Les intervenants provenaient d’horizons divers avec des spécialités différentes. Les deux jours d’échanges intenses ont permis de comparer les approches suivies par différents pays, mais aussi d’analyser très scientifiquement les causes de la menace, sa manifestation et la façon de la gérer. J’espère que ce genre de forum se répètera»

Serge Daniel, correspondant de RFI au Mali : «il faut trouver le juste milieu»
«Ce forum n’a pas été inutile, car il a abouti à la mise en place d’un conseil scientifique. Il y aura donc une suite. Des journalistes sont venus de partout avec des expériences qu’ils ont partagées. C’est quelque chose de positif. La couverture des attentats terroristes est nouvelle pour les hommes de médias. Au cours du forum, journalistes, agents des forces de l’ordre et de défense et autorités ont vu comment ils peuvent collaborer dans cette situation. Un journaliste n’est pas un terroriste. Il informe. Ce qu’il faut faire en cas d’actes terroristes, c’est le strict minimum sans prendre parti pour les terroristes. C’est le juste milieu qu’il faut trouver surtout quand les opérations sont en cours. Il ne faut pas, dans ce cas, informer de la position des forces de défense et de sécurité».

Boureima Ouédraogo, directeur de publication du journal Le Reporter : «Les journalistes ne sont pas des pyromanes».
«Dans le contexte sécuritaire actuel, il est normal que nous, journalistes, changions nos pratiques de production et de traitement de l’information. Il appartient à tous les acteurs engagés de voir dans quelles mesures créer des passerelles nécessaires pour collaborer, afin que le droit du citoyen à l’information ne soit pas sacrifié sur l’autel des dispositifs sécuritaires. Les FDS, les pouvoirs publics en général ont tendance à croire que les médias constituent des freins à la lutte contre le terrorisme et l’insécurité. Ce qui est totalement faux. La question de fond est de savoir si les acteurs politiques, publics, les FDS ont cette capacité de s’adapter au contexte, en sachant que l’information demeure un droit même en situation de guerre, de lutte contre le terrorisme. Il va falloir voir dans quelles mesures trouver les moyens de donner l’information vraie aux médias. Discuter avec les organes de presse, car les journalistes ne sont pas des pyromanes. Ils savent faire la part des choses entre l’information stratégique qui peut aider les populations à se protéger et une information qui peut mettre à mal la cohésion et le vivre-ensemble, la sécurité nationale. Il y a un minimum de confiance qu’il faut faire aux hommes de médias par rapport à leur capacité de discernement. C’est en cela que ce forum, comme toutes les initiatives qui permettent de lancer la réflexion sur la contribution des médias à la lutte contre le terrorisme, est une bonne action. Tout dépend maintenant de ce qu’on fait après les réflexions».

Propos recueillis par Eliane SOME et Marc DOH

sidwaya.info


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