Souvenirs : revoir Ould Yengé 40 ans après…   
08/02/2015

Revenir 40 ans en arrière peut être un exercice intéressant. Dommage qu’il ne soit possible de le faire, que dans la tête… Je l’ai fait pourtant, en revenant un après-midi de fin de janvier 2015, à Ould Yengé que ma famille a quitté en 1975. Pour y aller de Nouakchott, nous avons...



...mon frère Aly et moi bifurqués du "Carrefour d’Aleg" vers Boghé puis Kaédi et Selibaby où nous sommes allés nous recueillir devant le cimetière où repose notre mère Fatimettou mint Khattri emportée très jeune, en 1974, par la maladie. Une première grande tragédie, qui sera -hélas- suivie par d’autres.
Il était prévu que nous revenions de Selibaby à Nouakchott. Mais par respect à la mémoire de notre mère, nous avions décidés  de revoir Ould Yengé d’où elle avait été évacuée vers Selibay dont le Major du dispensaire, était à l'époque, Mohamed Ould Sramagha,  un grand ami de notre père.
Quelque chose nous a donc tirés vers Ould Yengé où nous avons fait les premières années de notre enfance. Nous y sommes revenus un après-midi ensoleillé.
Le littéraire que je suis, s’y est revu à 8 ans, avec des images floues fournies par une mémoire à la recherche de mises à jour.
Il y a maintenant peu de bouses de vaches, plus de vaches peulhes blanches aux cornes longues, le béton a remplacé le banco, il n’y a plus de cases. Il y a maintenant les poteaux électriques et les pylônes du GSM -me disais je- sans me situer dans ce nouveau décor que je reconnaissais à peine.
Plus concret, de part sa formation d’ingénieur,  mon frère Aly me tire de mes pensées : «Il nous faut un repère, on va chercher le bureau du préfet, car on habitait non loin».
Nous ne tardâmes d’ailleurs pas à déboucher sur un quartier d’où nous apercevons les locaux en ruine de l’ancienne préfecture dont la vue, produisit en nous, un grand déclic.
Les souvenirs commencent alors à m’assaillir: le boabab , le ksar peulh fondé par les Mody Nalla la fin du XIXème siècle , les cavaliers soninkés qui venaient de Bouly et de Dafort,  nos plongeons dans «Tichilit Naya»,  dans les mares «Ekne» et «Asarsar» de l’oued «Lemsila»,  un affluent du Karakoro, tout cela me revient à l’esprit.
Également nos cueillettes des gommiers, des doumiers et des arbres "Dembou" ainsi que nos récoltes des fruits de mares, comme le cous-cous de la fleur «Ndayri» et la betterave sauvage, qu’on appelait «Todhba».
Des activités qu’on menait en période d’hivernage et au cours desquelles ils nous arrivait de passer la journée à courir derrière des lapins, des écureuils et des troupeaux de phacochères, très prisés par les «N’madis» que l’on  rencontrait avec leurs meutes de chiens .
Et pendant que je pensais à tout cela et aux fameux «Fulbe Gieri» que l’on rencontrait également dans les parages et qui jouaient, légèrement vêtus, une formidable musique avec un violon artisanal, une sorte de «Rbab», Aly, me tire encore de mes rêveries : «On va aller voir notre école».
Je le regarde sans comprendre à quoi il reflêchissait,  même s’il m’a paru très ému. «Voici notre école !» lance-t-il, avec son air de fonceur.
 On reconnait l’école où nous avions fait le CIA ou le CIF, le bureau de poste où officiait à l’époque Moussa Diarra, juste derrière le magasin de notre père qui jouxtait le domicile de Youba Sylla l’infirmier de Ould Yengé dont je me rappelle, à cause de la circoncision.
Puis on progresse vers les vestiges du camp des gardes qui n’existe plus. On le laisse à notre droite et on vire à gauche vers la maison du trésorier.
Nous garons devant la cour qui abritait la maison des Kane Yahya et juste à coté on voit celle de l’émérite vétérinaire Ba Demba Samba que nous surnommions "BDS" , où son fils, le Ministre Ba Ousmane a érigé une maison en béton. Nous nous y arrêtames pour notre séjour. Nous étions en fait à coté des ruines de notre maison qui nous a vus grandir. On l’a reconnu avec le puits qu’elle surplombait.
En face, il y a le terrain qui abritait la maison de Thierno Abdallahi Dia de la première promotion des rédacteurs d’administration  chargée de l’état civil , à coté du bureau du cadi Ould Hamma Khattar et juste devant, l’espace où les garnements que nous étions, jouions le soir au «Gew» (lutte traditionnelle) , un rythme endiablé qu’on obtenait en utilisant des ustensiles avec lesquels on tapait avec des bâtonnets et sur lequel on dansait en défiant un adversaire pour la lutte. J’étais l’un des petits maures au milieu des nombreux enfants Pular dont je parlais d’ailleurs bien, la langue.
Je me rappelle que sans me décourager je me faisais aplatir chaque soir étant maigrichon à l’époque comme Cheikh Tijane Dia (directeur du Journal «Le Rénovateur» ) qui était plus batteur de «Guew» que lutteur, contrairement à son grand frère l’ancien Lieutenant Dia Abderrahmane .
C’était une époque où, je ne savais pas  que j’étais maure et que Dia était pular .
C’est vrai, que j’entendais des expressions comme «chapato wona nedo» ou «lekwar mgaçir a’amar», mais je pense avec le recul, que c’était sans quelconque méchanceté, juste une façon de parler, car nous étions des vrais amis et surtout des frères.
Nos pères et mères se fréquentaient, se concertaient, s’aidaient et se respectaient.
Une image est restée à jamais gravée dans ma mémoire quand Feue Aissata Sall la mère de Cheikh Tijane Dia pleurait à chaudes larmes me serrant avec mes frères dans ses bras au décès de ma mère.
Aujourd’hui encore, je revois l’image de cette femme Torobé, majestueuse et sublime qui portait toujours un foulard sur la tète, de grandes boucles d’or aux oreilles, des robes amples et qui était assidue à la petite la mosquée que son très pieux mari a érigé dans sa cour.
Quand j’ai appris en 1987 que son fils Abderrahmane a été arrêté dans une tentative de putsch ethnique menée par des militaires Halpulaareen, je me suis dit que le fils de Thierno Abdellahi Dia ne peut, en aucun cas, être raciste.
Je l’ai rencontré après sa libération et il m’a raconté son enfer à Walata . Son récit a fait couler mes larmes.

Je revois également l’image de Aissata Kane, la mère de Ba Ousmane  , qui était tellement blanche sans que je ne trouve cela curieux ainsi que la Grande Royale Mame Penda Wane la mère de Samba, Abdoul et l’intrépide Birama .

Par la force du destin, j’ai été appelé par la suite,  à vivre des moments, avant mon baccalauréat dans plusieurs villes de Mauritanie (Tidjikja, Kobeni, Aioun, Tintane), et après celui-ci, à Timbedra, Akjoujt et Kiffa.
Je ne suis pas parvenu à garder de tous ces lieux, des souvenirs aussi marquants, que ceux laissés par Ould Yengé….
A suivre…
Isselmou Ould Salihi (IOMS)


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