L’autre village, quel village ?   
03/10/2014

Quelle magnifique description, minutieuse et réaliste, d’un monde fascinant : la Mauritanie profonde, tournée vers ses traditions séculaires. Ici, l’attachement du pays à son passé ancestral se décline symboliquement au travers de la posture et du portrait de ce vieillard de plus de 80 ans, très enraciné dans la culture arabe et islamique.



 Il n’accepterait pour rien au monde de modifier quoi que ce soit dans les rites qu’il a Ă©pousĂ©s toute sa vie.
Son adoration pour la poésie arabe classique et son rapport aux cimetières et aux aïeux qui y dorment, y occupent une place prépondérante. Il leur voue une vénération mythique, qui donne un sens, un contenu, à sa propre existence. Il a hâte de les rejoindre, ses aïeux, de reposer parmi eux. Mais la décision ne lui appartient pas : il n’a qu’à attendre son tour qui ne saurait tarder pour avoir et regagner définitivement sa place dans l’autre village, celui des tombes. « Le destin de tous », pense-t-il à juste raison.
Il s’agit pour lui, comme pour tout son entourage, d’une errance permanente entre vie et mort, de vie authentiquement mythique, de scĂ©narii passagers…qui se jouent en plein dĂ©sert ; d’attentes et mouvements incertains qui se dĂ©roulent lentement, se rĂ©pĂ©tant en discontinu, comme des fantasmes.  C’est cet homme octogĂ©naire qui fait fonctionner la machine intellectuelle qui fait tourner tout ça en boucle : il le rumine, tout en mettant en ouvre son Ă©rudition pour l’illuminer.
 
Cette histoire, parfois un peu sombre,  fortement empreinte de foi religieuse, de fatalisme… est imaginĂ©e et racontĂ©e, dans ses moindres dĂ©tails et subtilitĂ©s, par un compatriote du vieillard, beaucoup plus jeune que lui, bien entendu, par un Ă©crivain qui a l’imagination fĂ©conde : Abdelvetah Ould Mohamed.
Comme à son habitude, l’auteur a choisi de s’exprimer en français. Il ajoute ainsi une couche supplémentaire à la toile au moyen de cette langue étrangère qu’il dompte admirablement, avec aisance et simplicité. Voilà qui lui donne un certain recul et, du même coup, imprime un cachet particulier à la narration qu’il nous livre sous le titre: « L’autre village ».
 
 Mais de quel village s’agit-il : le passĂ© immuable qui tourne autour de lui mĂŞme? le cimetière très symbolique de la mĂ©moire? l’orĂ©e de la mort oĂą, spirituellement, naviguent toujours les croyants sahĂ©lo-sahariens nourris aux mamelles du soufisme? l’au-delĂ , tout le temps, "en prĂ©paration" au moyen de prières, dans la mosquĂ©e et ailleurs? le dĂ©sert, sa duretĂ© et son austĂ©ritĂ© qui conditionnent tout?... Tout ça s’invite dans le rĂ©cit, s’y entremĂŞle et s’emboĂ®te, faisant la trame de cette histoire qui tourne en rond. Ce qui donne une portĂ©e philosophique Ă  la nouvelle, lui servant de fond de toile : l’auteur y tutoie habilement l’absurde.
Sa narration, malgrĂ© sa forme dĂ©clarative et son style descriptif, est en fait questionnement profond, interrogations sans rĂ©ponses. Elle Ă©voque en moi le souvenir de certaines de mes lectures philosophiques, dont je n’en garde plus qu’une perception vraiment vague. Elle m’incite Ă  y revenir, plus particulièrement, Ă  relire  le " Mythe de Sisyphe".
 
El Boukhary Mohamed Mouemel
Juillet 2014
 
 
Lien pour " L’autre village":
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