De moi: « Feuille de menu: Je me suis amusé hier avec un ou deux commentaires faits par Amel Daddah, sur FB. Je l’ai fait d’abord comme un jeu, une sorte de petit exercice de style de ma part.
Puis, je me suis dit pourquoi ne pas publier le tout en l’agençant un tout petit peu, comme témoignage d’amitié et d’estime à son égard, en la « taquinant ». La cuisine a donné le menu suivant. J’ai envie de le servir à mes convives « facebookiens », en y changeant quasiment rien, à part la mise en page que requiert la présentation ». De Amel Daddah: « Panne de courant à Nouakchott plage, et l’obscurité fut... Hhhhhh que j’vous raconte un peu : en plus, étant donnée la physique du taux d’humidité dans l’air et la thermodynamique du vol du moustique, vous vous tenez sagement dans le purgatoire serré entre « je suis franchement dans la cour » et « pas question que je reste dans le salon, non mais… », et vous vous soumettez au flot de pensées éparses, genre « encore heureux que je n’ai pas payé cette fichue vignette... » Grands dieux… Et comme pour couronner le tout le ciel est légèrement nuageux au dessus de l’îlot K vous savez que, pour les dignes citoyens dudit îlot ( ), ce soir, ce sera ’super moon my ass’ lol ! Car vous sentez bien que celle-ci, de panne, sera une big one ; dans le rapport intime aux turpitudes de nouakchott plage le thermomètre électro-citoyen s’aiguise infiniment. Quand la panne de plus d’une heure s’installe jusque dans les foyers plus ou moins bourgeois, enfin ceux à chouchouter un peu quoi (la durée syndicale s’y étant à peu près fixée à 30 minutes chrono), quand le passage temps s’y annone à la vitesse de combustion de bougies made in China (marque Pagode ces jours-ci, si tant est que cela vous intéresse)… Au bout de quarante cinq minutes, comme pour vous conforter dans vos certitudes les plus profondes, démarrage en force d’un woodstock coranique sur le toit de la mosquée voisine (en panne elle aussi mais sur plus d’un plan - enfin ça c’est encore une autre histoire)… Bah… tant que les cafards n’auront pas trois ailes on tiendra, no passaran ! Enfin bref, pensée émue et très fraternelle à tous ceux qui vivent la panne de secteur sur des demi journées et autres nuits de cauchemar des villes, là à à à -bas dans les quartiers parias de notre très belle capitale… Ici chez les nantis une lumière famélique finit par revenir au bout d’une heure, agrémentée de chutes de tension scandées sur un rythme quasi techno, ndeyssane e7ne indeed !!! ». Amel Daddah De moi : « Moi aussi, je te parle, Amel... Une grande source d’inspiration, cette coupure d’électricité, pour la bonne cuisinière que tu es. Tu devais accrocher un emblème du cordon bleu de grand chef à cette occasion. - Hhhhhhhhhhhh . - Ne rigole pas, c’est sérieux. Je t’explique si tu veux : Aux couleurs et saveurs multiples, ton menu est riche en ingrédients, variés, dosés et bien préparés. Mohamed Ould Ahmed Youra en serait certainement jaloux, lui qui mélangeait l’arabe et le hassanya pour construire un mode d’expression artistique bien propre à lui, mais foncièrement fondu dans le moule de la poésie classique. De sa recette, sortaient de beaux textes : simples à comprendre, faciles à lire et agréables à écouter. Mais la source d’énergie, le bois de cuisson, les éléments décoratifs, les outils de saupoudrage de la préparation... tout utilisait des ressources qui astreignent le poète aux contraintes d’une « cuisine » classique trop bien connue: rimes, strophes, structure… Par contre, toi, par rapport à ce mode d’expression rigoureux, fonctionnant comme une machine bien huilée, tu te donnes plus de liberté et de choix : en plus des outils langagiers dont dispose Ould Ahmed Youra, tu utilises la langue de Voltaire et celle Shakespeare. S’y ajoutent pour préparer ta sauce délicieuse, des ingrédients dialectaux vivaces, comme le hassanya ou le wolof. Malaxés, tournoyés … ils sont mis en mouvement fonctionnel avec toutes les tournures riches, habituelles ou inédites, qu’autorise la prose et l’oralité subsaherienne. Voilà qui fait que, dans cette cuisine plurilinguistique, aux saveurs multiples, ton style est aromatisé comme ne l’a jamais été celui de ould Ahmed Youra : tu manies agréablement la dérision. Le produit est fortement salé au moyen de cet esprit rebelle que tu dégages. Et avec ton anticonformisme inné, le plat est pimenté, tout juste de quoi rendre le goût un peu piquant, plus vif, plus alerte. Et au final, le tout est généreusement agrémenté, quand tu sers tes convives en les invitant affectueusement à table: « Enfin bref, pensée émue et très fraternelle à tous ceux qui vivent la panne de secteur sur des demi journées et autres nuits de cauchemar des villes, là à à à -bas dans les quartiers parias de notre très belle capitale… ». Et moi comme convive, grâce à toi Amel, je me rends copte qu’un délestage peut parfois avoir quelque chose de bon : permettre, à ceux qui le savent de bien, de cuisiner les mots. Pour autant, je ne le souhaite pas. Peut-être parce que je suis un piètre chef ». El Boukhary Mohamed Mohamed Mouemel Pékin, Septembre 2014.
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