Carrefour de la polyclinique : Le monde de la débrouille   
01/12/2007

Le secteur informel est la voie naturelle ouverte pour une population mauritanienne dont plus des deux tiers ne sont pas salariés. C’est un fait, seulement, il faut noter qu’on n’assiste pas forcément à une ruée vers les petits métiers. Ce constat se vérifie dans une large mesure un peu partout à Nouakchott, sauf au carrefour de la Polyclinique. Ce domaine impressionne par l’activité qui s’y opère. C’est le petit monde de la grande débrouille.



Il est dix sept heures, en cette journée de fin novembre. Malgré la saison, une forte chaleur s’abat encore sur les hommes. Nous sommes au carrefour de la Polyclinique. Le lieu offre un spectacle haut en couleurs. En effet, on peut difficilement demeurer indifférent à cet atmosphère bigarré et grouillante faite des interpellations des apprentis encaisseurs des cars de transport en commun, les coups d’avertisseurs des automobilistes pressés ainsi que des cris des piétons affolés. Tout cela sur fond de mouvements incessants. En général, si l’on se retrouve pour quelque raison que soit dans les parages, on n’a qu’une envie : quitter cet enfer au plus vite. Pourtant, à l’intérieur de ce pré carré, d’intenses activités sont menées par des hommes qui ont décidé d’investir l’espace pour gagner leur vie. C’est le cas d’un groupe de jeunes gens qui se sont installés à la pointe nord-ouest du carrefour. Ils exercent la même activité : cireurs de chaussures et occasionnellement, cordonniers. Le néophyte peut considérer ce boulot comme mineur et s’étonner de savoir comment l’on puisse vivre de cela. Alassane Athié, jeune homme de 26 ans, apporte des explications : Â«notre métier est intéressant certaines fois, d’autres fois non. Cela dépend des jours et des événements. Une bonne journée correspond à des gains de 1500 à 2000 Um. Les jours où cela ne marche pas bien, on peut se retrouver avec des recette de 300 Um ou rien. Le travail marche vraiment bien à l’approche des fêtes. Ces temps là, on peut facilement se retrouver avec 5000 Um dans la poche à la fin de la journée de travail.» Tout en livrant les détails de sa vie professionnelle, le jeune homme s’active sur une chaussure qu’il entreprend de recoudre tout en guettant du coin de l’œil les passants. Ils sont toujours à l’affût des clients. Ils se démènent certes comme de beaux diables mais, une vie de cireur de chaussures n’est pas de tout repos. En effet, entre, le fait de se pointer chaque matin sept jours sur sept au lieu de travail à huit heures et de ne rentrer qu’à dix neuf heures, de devoir dépenser chaque jour 100 Um pour le petit déjeuner, 200 Um pour le déjeuner, autant pour le dîner, et cela, qu’il vente ou qu’il pleuve, sans compter les bousculades des gens qu’il faut supporter, la partie est loin d’être gagnée.

Tous pour un, un pour tous
A quelques mètres de Alassane et de ses congénères, une kyrielle de parasols abrite des tables sur lesquelles sont disposés des accessoires de téléphones portables. Pour accéder au lieu, il faut s’armer de patience, car dans ces labyrinthes, on reçoit de temps en temps quelques coups de coudes entre les côtes. Il s’agit surtout de ne pas se plaindre pour éviter le courroux du donneur. Très bizarre ! Mais c’est comme ça. Debout devant sa table, El Id, un coupon en tissu à la main, époussette systématiquement son étal. Sur la table, l’on peut voir des chargeurs de téléphone, des étuis de protection, des batteries, ainsi que d’autres articles. Il confie : Â« On se débrouille comme on peut. Le travail marche de façon imprévisible. Parfois, on a des gains allant jusqu’à 3000 Um par jour mais certains jours, on gagne juste 500 Um et il faut assurer ses repas avec ça. De plus, les policiers de la municipalité détruisent ou confisquent nos tables. Parfois aussi, on ne peut travailler que quatre heures par jour car tout le reste du temps, nous sommes chassés. C’est très difficile. Â» Les collègues vendeurs, assis ou debout tout au tour, approuvent de la tête les propos d’ El Id. Un peu plus loin, Zeine , vendeur de chaussures a étalé sur une monticule de sable plusieurs douzaines de paires. Il se défend de vendre des articles d’occasion. Â«Mes chaussures sont neuves, je suis différent des cireurs de chaussures. Ici, c’est comme une boutique. Il ne me manque qu’un toit et des portes. Je ne me plains pas car je gagne très bien ma vie. Il m’arrive de faire des recettes de 15.000 Um par jour. Je n’ai aucun problème grâce à Dieu. Les seuls problèmes relèvent de la cherté de la vie. Tout coûte cher maintenant. Â» Au même endroit, des vendeurs de cure-dents, devisent tranquillement, en attendant les clients. Tout à fait sur le bord de la chaussée, des hommes crient à tue-tête ou s’aident de mégaphones, leur cri de guerre : « envoyer crédit !» Ils vous font un transfert de 1500 Um de crédit contre un billet de 1000 Um. Ça marche terriblement bien.
Sus à la soupe populaire !
De l’autre côté, sur la devanture de la polyclinique, c’est le secteur des vendeurs de fruits, mais surtout de tambouille. En effet, depuis très longtemps, des hommes tiennent à cet endroit des grands bols posés sur des fourneaux. A l’intérieur, surnagent des boyaux et morceaux de viande à la comestibilité très douteuse. A plusieurs reprises, ils ont été chassés des lieux mais ils sont toujours revenus s’installer à cet endroit. Il faut dire qu’ils ont des adeptes qui ne ratent pour rien au monde cette soupe à ciel ouvert. La dernière mesure qu’a prise la Polyclinique c’est de construire une grille devant l’établissement. A la lumière des activités des uns et des autres en ce lieu qu’en matière de travail, il n’y pas n’a pas de panacée. Lorsqu’on entreprend une activité, il suffit simplement d’y croire et persévérer, le résultat sera toujours au bout de l’effort. Les cordonniers nous ont appris depuis quelques temps maintenant à ne plus jeter hâtivement nos chaussures quand elles s’abîment. Par leur magie, ils parviennent parfois à retaper des chaussures qu’on aurait vite fait de jeter à la poubelle. Tout comme tous les gens des petits métiers, ils ont réussi à se rendre indispensables. Et c’est l’essentiel.
Biri N’Diaye


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