Ce qui nous restera de lui (Hommage Ă  Nelson Mandela)   
12/12/2013

D’abord chasser quelques effluves inopportuns qui polluent la scène de deuil festif où les chants et les danses se perlent de larmes. D’un côté, les chefs des principales puissances occidentales – l’œil humide et la main sur ...



 ... le cĹ“ur-  se rĂ©pandant en louanges dithyrambiques, et portant aux nues Nelson Mandela.

On en oublierait presque, qu’il y a Ă  peine trente ans, la Grande Bretagne, l’Allemagne, les Etats Unis, la France et IsraĂ«l, pour d’évidents intĂ©rĂŞts Ă©conomiques, d’obscurs calculs gĂ©opolitiques, et une claire collusion sĂ©grĂ©gationniste, pour le dernier nommĂ©, traitaient la raciste Afrique du Sud en sĹ“ur cadette du « monde libre », la tenant comme l’ultime gardienne du rempart anticommuniste aux antipodes. Á leurs yeux,  l’ANC Ă©tait un nid de vipères communistes, et Nelson Mandela et ses camarades de sanguinaires terroristes . Le prĂ©sident Obama aurait Ă©tĂ© plus crĂ©dible si son Ă©mouvant hommage Ă  Madiba s’était suivi d’une parole d’excuse au peuple sud-africain pour le soutien des USA au rĂ©gime de l’Apartheid des Verwoerd, Vorster et autres Botha, et pour le triste rĂ´le de la CIA dans l’arrestation de Mandela, en 1963.
La stratégie de la canonisation récupératrice peut être plus efficace que la vieille politique de la canonnière. Le monde a évidemment changé, mais pas autant qu’on voudrait nous le faire croire.
De l’autre cĂ´tĂ©, le Sommet de l’ElysĂ©e sur la paix et la sĂ©curitĂ© en Afrique, qui rĂ©unit autour du prĂ©sident français une cinquantaine de chefs d’Etat africains. L’Union africaine dĂ©localisĂ©e sur les terres du maĂ®tre.  Parmi les Africains, d’anciens seigneurs de guerre, des potentats monstrueux, saigneurs de leurs peuples,  et les pires prĂ©dateurs de l’histoire moderne du continent. Tous figĂ©s dans une minute de silence, indĂ©cente et hypocrite, en hommage Ă  un homme qui, toute sa longue vie, a Ă©tĂ© l’antithèse de la rapacitĂ© des uns, de la soif dĂ©vorante de pouvoir des autres, de la servilitĂ© de tous face aux grandes puissances, Ă  quelques rares exceptions,.
Celui-là qui vient de mourir avait le courage au cœur, et l’humanité dans le sang.
C’était un homme comme la vie en produit rarement. Un être d’exception qui vécut en une époque d’exception. Il était, disait-il de lui-même, un homme ordinaire et sans courage, auquel les circonstances avait appris le courage et la persévérance.
Il a été un jeune militant pacifique dans une ANC qui, dès sa création, avait foi dans les valeurs éthiques de la non-violence et dans les vertus des principes de la démocratie, et qui mit longtemps à perdre ses illusions.
Adulte, il devint un dirigeant politique et un homme de guerre,  quand l’inhumanitĂ© de l’Apartheid et la barbarie du massacre de Sharpeville, ne laissèrent aux combattants de la libertĂ© que l’issue dĂ©sespĂ©rĂ©e de la violence. Il forgea et dirigea les premiers pas de la branche armĂ©e de l’ANC, l’Umkhonto we Sizwe (La lance de la Nation), et donna Ă  son peuple sa première arme d’auto-dĂ©fense.
Dans le dernier tiers de sa vie,  il fut un homme de paix, quand « l’intenabilitĂ© » du système raciste, la nĂ©cessitĂ© et l’opportunitĂ© rendirent possible le dialogue, l’égalitĂ© et la rĂ©conciliation. Un unificateur et un bâtisseur de nation, quand l’exacerbation des particularismes raciaux, ethniques et tribaux (Inkhata zoulou, ultra nationalistes afrikaners) firent peser les dangers d’un dĂ©sastre humain et d’un Ă©clatement du pays.
Et pourtant, tout au long du quasi-siècle que dura son existence, il resta le mĂŞme homme. Ni un thĂ©oricien ni un doctrinaire, mais un « Quelkaa  » dont le regard portait loin. MĂ» par le mĂŞme idĂ©al, l’énergie tendue vers les mĂŞmes objectifs, l’attention mobilisĂ©e pour les mĂŞmes causes : la libertĂ© et la dignitĂ© de son peuple et de tous les peuples,  la haine de l’injustice et de l’arbitraires, le refus de toute forme d’abaissement de l’homme.
Vingt-sept annĂ©es de prison, Ă  Robben Island - « l’universitĂ© Mandela » - et Ă  Pollsmoor, achèvent de forger sa volontĂ©, et mĂ»rissent sa rĂ©flexion sur la sociĂ©tĂ© sud-africaine  (les Afrikaners, en particulier) et sur l’avenir de son pays. En dĂ©pit des souffrances, des privations, des humiliations, de la solitude, jamais il ne laissa l’amertume inonder son cĹ“ur, ni ne permit Ă  l’envie de revanche d’habiter son esprit.
Mandela ne fut pas l’unique héros de la longue marche vers la liberté du peuple sud-africain, qui débuta plus de dix ans avant sa naissance, et dont les ultimes étapes, qui pourraient être douloureuses, restent encore à franchir. Une multitude d’hommes et de femmes le précédèrent, ou furent ses compagnons ou ses rivaux, dans le long et âpre combat contre l’Apartheid.
Pour injuste que cela soit, l’Histoire ne retient toujours que quelques noms parmi les innombrables hĂ©ros d’une Ă©popĂ©e. Mais ceux-lĂ  mĂ©ritent d’être connus : Albert Luthuli, Walter et Albertine Sisulu, Joe Slovo, Oliver Tambo, Amhed Kadharta, Gowan Mbeki, Lionel Bernstein, Elias Motsoaledi, Winnie Madikizela-Mandela, Denis Goldberg, Robert Sobukwe, Breyten Breytenbach, Desmond Tutu.  Et Steve Biko, mort sous la torture. Et Ruth First et Dulcie September, toutes deux assassinĂ©es par les services spĂ©ciaux sud-africains.
Qu’ils aient été de l’ANC ou d’organisations alliées ou rivales (Pan African Congress, Mouvement de la Conscience Noire), ou de simples compagnons de route, tous furent à des moments décisifs de l’histoire de leur pays, la voix et le bras de leur peuple.
Parmi ses compagnons, Mandela fut certainement celui en qui convergeaient avec le plus d’intensité ces dons multiples qui font les leaders exceptionnels : l’intelligence, le courage, la détermination, l’autorité naturelle, la faculté à discerner l’essentiel, et un sens « viscéral » de l’humanité.
Sa lĂ©gende commence vĂ©ritablement  lorsque s’ouvre, le 9 octobre 1963, il y a aujourd’hui cinquante ans, le procès de Rivonia. Les accusĂ©s, dont il faisait partie, Ă©taient des dirigeants de l’African National Congress (ANC) et d’organisations dĂ©mocratiques. Ils Ă©taient jugĂ©s pour sĂ©dition et trahison, et risquaient la peine de mort. Ils Ă©taient Noirs, Blancs et Indiens ; ils Ă©taient musulmans, juifs, chrĂ©tiens ou athĂ©es ; nationalistes, dĂ©mocrates ou communistes.  Leur rencontre, leur idĂ©al commun, et leurs actes annonçaient, trente ans avant l’heure, la Nation Arc-en-ciel qui Ă©clora des dĂ©combres de l’Apartheid. Et tous se reconnaissaient dans la splendide plaidoirie, « belle comme l’oxygène naissant » , de Nelson Mandela face Ă  leurs inquisiteurs : « Au cours de ma vie, je me suis consacrĂ© Ă  cette lutte des peuples africains. J’ai combattu contre la domination blanche et j’ai combattu contre la domination noire. J’ai chĂ©ri l’idĂ©al d’une sociĂ©tĂ© libre et dĂ©mocratique dans laquelle tout le monde vivrait ensemble en harmonie et avec des chances Ă©gales. C’est un idĂ©al pour lequel j’espère vivre et que j espère accomplir. Mais si nĂ©cessaire, c’est un idĂ©al pour lequel je suis prĂŞt Ă  mourir. »
Mandela n’était pas un homme sans failles ou lacunes, et nul doute que, comme nombre d’humains au dessus de l’ordinaire, il eut sa part d’ombre. Mais il eut toujours assez d’humilité, d’intelligence et de force de caractère pour se savoir faillible, et refuser le statut de messie, ou d’homme providentiel. Le plus étonnant, de ce point de vue, est qu’il est, si l’on peut dire, un modèle atypique : un leader né, un chef charismatique, mais qui ne suscite ni la crainte, ni l’idolâtrie, ni la soumission servile, mais qui fait éclore et s’épanouir l’affection, l’admiration et l’amour.
Le compromis historique qui a conduit Ă   la dĂ©composition de l’Apartheid et Ă  l’avènement d’une Afrique du Sud nouvelle laisse vives de graves iniquitĂ©s. Mais quelles que soient les critiques qu’on pourrait lui faire, et les immanquables revendications futures, sincères ou tendancieuses, au « droit d’inventaire », Nelson Mandela restera - et avec lui ses compagnons de lutte et les milliers de combattants de l’ombre et de victimes anonymes - celui qui aura rĂ©ussi Ă  transmuter le sombre plomb empoisonnĂ© de l’Apartheid en arc-en-ciel aux couleurs de l’humanitĂ©.
Ce qui nous restera de lui…
Ce n’est pas seulement le souvenir d’un « homme ordinaire » dans un pays et à une époque, tous deux amers, et qui exigeaient de lui qu’il transgresse et transcende l’ordinaire résigné des normes.
Ce n’est pas seulement l’image du combattant de la libertĂ©  et de la dignitĂ© des peuples et des hommes, sensible Ă  toutes les iniquitĂ©s, solidaire des luttes des autres peuples contre la domination coloniale, l’occupation. "Nous savons trop bien, disait-il, que notre libertĂ© n’est pas complète sans la libertĂ© des Palestiniens".
Ce n’est pas seulement la noble et fière attitude du leader  loyal, fidèle dans ses amitiĂ©s, qui, pour s’acquitter d’une dette morale ou remplir un devoir de solidaritĂ©,  jamais n’hĂ©sita Ă  dĂ©fier les États les plus puissants du monde, violant dĂ©libĂ©rĂ©ment leurs interdits qui frappaient des nations entières d’ostracisme, et les isolaient par des embargos, souvent arbitraires, et toujours meurtriers (Cuba, Irak, Venezuela, Libye).
Ce qui nous restera de lui, c’est aussi …
La grâce ineffable de son sourire qui, même par la médiation d’un écran de télévision, vous fait oublier, pendant un moment, votre petitesse et vos bassesses quotidiennes, et vous convainc qu’« il est beau et bon et légitime » d’être humain.
Cette merveilleuse aura qui, tout à la fois, l’habitait et l’entourait, et qui faisait de chacune de ses paroles et de chacun de ses gestes une musique pour l’âme et une danse pour le corps.
Ce regard de vieux lutin espiègle et sage, ces yeux profonds et rieurs, qui sondaient le monde et les hommes jusqu’au tréfonds d’eux, et en faisaient toujours surgir le meilleur d’eux.
Cet enthousiasme juvĂ©nile, enfin, cette spontanĂ©itĂ©, ces gestes inattendus et dĂ©routants, apanage des ĂŞtres d’exception : Einstein tirant la langue ; Mandela, l’ancĂŞtre, dansant en public, le visage irradiant le bonheur, sur des rythmes de Johnny Clegg ou sur le  Vuli Ndela de Brenda Fassie. Eeh, Madiba !
Mais si la mĂ©moire est une forme d’hommage, le plus beau que les gĂ©nĂ©rations d’aujourd’hui et de demain pourraient rendre Ă  ce que fut Nelson Mandela, c’est non d’uniquement se repaĂ®tre du souvenir des faits glorieux du passĂ©, mais de crĂ©er, par leurs propres actes,  des souvenirs nouveaux qui Ă©claireront les lendemains Ă -venir, et ouvriront les portes d’autres mondes de libertĂ© et de justice, de musique et de joie.
Nkosi sikilel iAfrica !
Abdoulaye Ciré BA
9 décembre 2013



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