Dans les prochains jours, j’aurais à publier le journal de l’univers kafkaïen dans lequel des dizaines de collègues et moi avions été plongés, sans autre forme de procès, le 8 Août 2004 .Mais avant de dresser à mes lecteurs cette chronologie ridicule des faits ayant, mine de rien, précipité la chute d’un régime déjà aux abois, je trouve utile de présenter les causes lointaines ayant présidé au déclenchement de l’un des incidents les plus honteux de l’histoire de notre armée.
Je ne pourrais pas, naturellement, brosser efficacement ce tableau tragi-comique sans mettre sous un halo de lumière les hérauts maléfiques, ainsi que les officiers qui avaient en vain - mais dignement quand même- essayé d’éviter le pire pour une armée exhalant déjà les relents de l’incurie et du dénuement.
Les bourgeons du mal Tout a commencé dans les années soixante- dix, quand s’ouvrit l’Ecole Militaire Interarmes d’Atar. Des jeunes de toutes les souches sociales ont jeté leur dévolu sur la nouvelle école. Qui par goût du service militaire, qui par dégoût des longues études, qui par… Selon une idée reçue les enfants d’Aouin El Atrouss sont légion par rapport aux autres contrées et ambitionnent d’arriver au pouvoir par les armes.( On comprendra ici que j’use d’euphémisme pour ne pas employer un certain terme assez ringard). Ces statistiques, vraies ou fausses ont en tout cas fait l’objet d’une indicible surenchère ;surtout de la part de certains mouvements ne portant pas dans le cœur le courant panarabiste où se recrute la majeure partie du groupe d’officiers indexé .
Le ballet des colonels Depuis lors, une kyrielle de Chefs d’Etats Major s’est succédée sans que l’on exploite de façon machiavélique, la rumeur qui, lentement mais sûrement faisait boule de neige. Feu colonel Ahmed ould Minnih, homme pieux, affable, intime ami à Maawiya s’il en fut, n’a eu la malencontreuse idée de passer à la «purge stalinienne » Que Dieu ait son âme. Après lui, le général Boukhreiss, homme de poigne (dit-on excessive) n’a jamais voulu partir dans le sens d’un complot artificiel. Sa vaste expérience et sa profonde connaissance de la Société semblait le convaincre de l’intangibilité de l’équilibre militaro- social. Ses détracteurs le feront partir contrairement à toute attente. Il n’aurait arboré sa tenue de général- confectionnée à l’emporte-pièce- que 72 heures à tout casser. Dans sa retraite, il court toujours pour voir sortir son statut de général précédemment sous les coudes de Maawiya . L’officier aurait mené une gestion somme toute controversée, mais sa «politique de contenance » a tout de même permis d’éviter l’hémorragie de cadres.
Le 8 Juin et le grand prétexte La journée du 8 Juin ayant vue une tentative sanglante de coup d’état a été marquée par la mort tragique du colonel (pour quoi pas général à titre posthume ?) Mohammed Lemine Ould N’diayane. Véritable colombe de mosquée, point enclin aux méthodes choquantes, son passage relativement court a été plutôt paisible. Dans son sillage funèbre, arrive le colonel El hady ould Es-Sedigh à la tête de l’Etat -Major . L’ artilleur au physique d’acier est d’une amabilité déconcertante. Toujours souriant, l’abord facile ; ayant un amour sans faille pour l’institution militaire, Il n’avait su faire du mal à ses subordonnés et ne saurait être le déstabilisateur tant rêvé par la mafia pyromane. En Octobre 2003 me convoquant dans son bureau, je le trouve entouré de son adjoint, alors, le colonel Abderrahmane Ould Boubacar et du chef du 2° Bureau, le colonnel Ethmane Ould Kaza .débiter Après m’avoir accueilli chaleureusement en station debout, il s’assoie et me porte un regard point inquisiteur. «Mon commandant. D’après certains renseignement reçus, vous parlez à des officiers mauritaniens et étrangers de la situation actuelle » Je lui rétorque « quelle situation ? La politique, je n’en fais pas ; le coup d’état, je ne suis pas putschiste .Dans les deux cas, avancez - moi les preuves si vous en aviez, mon colonel » Au cours de cette audition qui m’a permis de le mettre en garde contre « les mauvais renseignements qui visent à déstabiliser l’Armée et à lui faire perdre son poste tant convoité, son adjoint le colonel Aderrahmane est resté impassible. Le colonel ould Kaza ,l’officier supérieur le plus propre et plus pieux que nous ayons, fut visiblement vexé par l’ouverture à son insu d’un dossier qu’il savait fictif. D’un ton agacé il demandât au Chef d’ Etat- Major : « Laissez commandant Bakar tranquille » Ce colonel et le capitaine de vaisseau Ould Lekwar avaient totalement refusé de baigner dans une affaire aussi périlleuse que ridicule .Le colonel Mohamed Znagui Ould Sid’ Ahmed Ely, alors mon chef direct au 3°Bureau, avait également séché cette audience, non convaincu de son opportunité ( …) Le lendemain, le Chef d’Etat-Major me présentera ses excuses. Que ces bons colonels reçoivent ici mon admiration. Je ferai aussi mention du caractère ineffable et la dignité du capitaine de vaisseau Cheikh Ould Ahmed Ould Baya qui fournît un effort louable pour alléger le poids de notre captivité. Projeté dans l’œil du tourbillon, il regardera les choses ex cathedra. De toute façon, la dynamique est enclenchée depuis la tentative avortée dont les auteurs comptaient parmi eux plusieurs membres appartenant au groupe social diabolisé ; notamment le principal instigateur, Saleh ould Hanenna . Le prétexte est là ! Effectivement, un nombre non négligeable des jeunes d’Aioun a pris part au pronunciamiento du 8 Juin, mais ceux-ci ont pris le train en marche ; embarqués au dernier moment. Aussi bien que leurs collègues issus des 12 appartenances inventoriées au lendemain de la révolte.
Par qui le scandale arrive A toute grande œuvre un grand maître d’œuvre. En Avril 2OO4, le colonel El Arby remplace le colonel El Hady. La passation de commandement nous donnât droit à un spectacle ahurissant. Le colonel El Arby semblait avoir trop attendu dans le purgatoire de chef d’Etat- Major Particulier. Au cour de la revue des troupes le nouveau C.E.M.N courrait littéralement devant son collègue sortant. Le colonel grand et filiforme n’est resté dans la course, que grâce à ses pas de géant. Le pot concocté à la va- vite au P.C. fut une humiliation pour le colonel El hady qui n’avait pas connu le sommeil depuis le 8 juin 2003. Dans un style qu’on ne confondrait pas avec celui de De Gaulle, le colonel a prononcé son discours sans adresser une seule fois la parole à son prédécesseur. Pour réconforter son ancien chef froissé, le colonel Ould Boubakar (Chef adjoint) d’habitude peu prolixe, se donne la parole et se félicite des services rendus par le Chef d’Etat- major partant pour le placard. A peine, le nouveau chef a-t-il pris les consignes qu’une avalanche de malheurs s’abattit sur la petite armée en attente de l’homme providentiel. Au lieu de la coupe de miel, on avalât la potion amère. J’allais dire la ciguë. A tour de bras, le sapeur (l’officier de Génie militaire) mine , démine , neutralise,détruit, désamorce, piége ,explose. Bismi Llahi Er-rahman Er-rahim!!!. L’homme originaire de Chinguetti n’est apparemment pas un émule de Anvarre (Mji Anvarre iL Chinguetti). Suivant un certain récit, ce père noël musulman, aurait tout apporté à Chinguetti. IL y’ avait même du aïch bien cuit dans sa cargaison. Une cuisine, un cuistot Pour la recette Arbyenne, il fallait un cordon bleu. Le colonel Alioune ould Soueîlim, plus connu sous le nom de « Ould Houichi » monte au créneau. Il présidera le conseil d’enquête dont je parlerai incessamment dans la chronologie des faits, et aura à rédiger le compte rendu de punition avec un "très beau" motif n’existant que dans son imagination et celle de son nouveau complice. Les deux hommes qui se sont toujours bouffé la gueule, sont maintenant unis pour le pire jusqu’ à ce que le ridicule les sépare. Le colonel O.H ne me porte guère dans le cœur. Aucun incident n’a jamais manifestement vicié nos rapports pourtant . Eh bien ! C’est de la haine gratuite. Voici un acte plus gratuit que celui d’Amédé Fleurissoire dans « les caves du Vatican » Bonjour André Gide ! L’acte gratuit n’étant pas défendable dans l’absolu, cherchons des raisons ! L’homme ayant la carrure mais non la carrière de Charon,est surnommé le « chef d’orchestre », en raison de ses gestes amples et de sa manie de prendre tous les tons sans attendre. Considéré au sein des officiers de la 2°génération comme "excellent ", il est allergique aux jeunes officiers fiers et pouvant de surcroît, déceler les failles et les pataquès de l’officier omniscient.
A moi, colonel, deux mots
Alioune ! Affichant un esprit enjoué et ludique, je vous donnais l’impression de ne voir que du feu aux fantaisies que vous vous permettiez sur ma petite carrière ,au mépris de toute règle d’éthique. Hum ! Pour ne citer que cela :Quand je partais à Atar en mission, vous me flanquiez un autre officier pour me « filer »…En Mai 2OO4, vous me dites que mon stage de maintien de la Paix est annulé par un fax reçu sur le poste du chef d’Etat –Major. Or ce dernier n’avait pas une ligne-fax. Et à ce moment J’avais déjà reçu mes billets et ma réservation du collège des Nations- Unies à Turin. Comme quoi je n’étais pas si dupe que cela vous paraissait ! Un mois avant mon arrestation, vous m’aviez littéralement chassé de mon poste de chef de Section Emploi et Plans pour le confier à un officier moins ancien et pas nécessairement plus compétent. Bon appétit à vous et à El Arby ! Mes 17 frères d’arme et moi continuons le désert…Nous étions de toute façon dans « le désert des tartares » Non je dirai même plus comme Dupont : Dino Buzzati aura prévu l’ennui et la carrière sabbatique des officiers … jamais leur radiation illégale et en masse. Il est regrettable que les problèmes de conscience ne soient plus de ce monde … Brahim Ould Bakar Ould Sneiba
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