Note sur l’expérience démocratique en Mauritanie : Les défis stratégiques de la nouvelle démocratie ; par Mohamed Yehdhih Ould Breideleil   
18/06/2007

La Démocratie n’est pas la fin de l’histoire. C’est peut être même d’une certaine façon son point de départ, en ce sens que tous les espoirs sont permis, tous les sentiments confinés ou tus s’extériorisent au grand jour, toutes les revendications s’expriment ouvertement, tous les blocages et interdictions sont levés.
Les obstacles, les difficultés, les défis et même les dangers ne cessent pas du fait de l’instauration d’une démocratie ou de la proclamation des résultats d’élections libres et transparentes.



La démocratie est une simple méthode qui donne la possibilité au peuple de choisir librement ses dirigeants et de poser les problèmes autrement, une possibilité plus juste, plus franche, plus citoyenne, plus conforme à la raison.
Les responsabilités, les charges et les devoirs de l’Etat restent entiers et notamment face aux défis stratégiques qui se posent à tout Etat quel qu’il soit, démocratique ou despotique. Ces responsabilités sont élevées à une puissance x pour les petits Etats, non seulement à cause des urgences socio-économiques qui se bousculent, mais de la jungle de la société internationale où règnent les calculs, la cupidité, les ambitions et les rivalités plutôt que la justice et la charité. Et comme il n’existe pas de protection sociale des Etats malades, affaiblis ou faibles par nature, l’Etat responsable, tout en étant au four! et au moulin, tiré Ã  hue et à dia par l’amer quotidien domestique, ne peut dormir que du sommeil du lièvre – dormir d’un Å“il – pour s’assurer en permanence qu’il n’est pas en train d’être assiégé ou qu’un cheval de Troie, peint aux couleurs de la paix et de la justice, n’est pas installé au cÅ“ur de la Forteresse.
La conduite des affaires de l’Etat est dans une constante balance des vulnérabilités internes et des menaces extérieures. Les aléas du jeu sont d’ailleurs accrus lorsque les turbulences populaires ou l’incurie des gouvernants s’ajoutent à l’incertitude diplomatique.
Aucun Etat ne saurait rester passif, compter sur la bonté des voisins, la protection des amis, sans s’exposer à devenir l’objet de la rivalité des autres, à devenir lui-même un enjeu. En revanche, les petits Etats, dès lors qu’ils utilisent leur possibilité de manœuvre, si limitée soit-elle, c’est-à-dire lorsqu’ils sont auteurs de stratégies, ou sont facteurs d’aléas pour les autres, deviennent des acteurs du jeu international et leur politique vient en soutien à leurs intérêts et sert à les défendre contre les prétentions étrangères et les prépondérances économiques.
La manœuvre diplomatique doit s’insérer dans une stratégie générale et complexe au besoin. Pour un gouvernement qui entend éviter d’aggraver des risques ou d’en créer de nouveaux, elle devient un instrument de contrôle des aléas.
La maîtrise d’une crise ne consiste d’ailleurs pas nécessairement à le modérer, mais surtout à l’utiliser aux fins d’une stratégie, c’est-à-dire à avancer dans le sens de ses objectifs. Mais le stratège ne doit pas se tromper sur les finalités de la politique de ses concurrents.

I – L’APPROCHE STRATEGIQUE :

La stratégie, à l’origine, est un concept militaire. Le plus grand théoricien connu de la stratégie, Clausewitz, la définit ainsi : «la stratégie est la théorie relative à l’usage des engagements au service de la guerre… comme usage de l’engagement aux fins de la guerre, elle doit donc fixer à l’ensemble de l’acte de guerre un but qui correspond à l’objet de la guerre». Mais, le stratège allemand n’a jamais accepté de distinguer la guerre de la politique : « la guerre réelle n’est pas un effort aussi conséquent, aussi extrême dans son aspiration qu’elle devrait l’être d’après son concept, mais quelque chose d’hybride, une contradiction en soi ; comme telle, elle ne peut donc pas suivre ses propres lois, mais doit être considérée comme partie d’un tout qui diffère d’elle, et ce tout est la politique…
L’art de la guerre est politique à son niveau le plus élevé, mais une politique qui livre bataille au lieu de rédiger des notes Â».
Le concept de stratégie est devenu d’un usage courant en politique, et sans doute Clausewitz y a contribué plus que tout autre, et la politique sans stratégie n’est qu’inconsistance et veulerie, un tâtonnement dérisoire. Du reste le recours aux armes constitue, dans certaines conditions et sous la dictée de contraintes majeures, une des stratégies possibles. C’est pourquoi, depuis longtemps, cette recommandation équivoque a été faite aux dirigeants des Etats : « Si tu veux la paix, prépare la guerre Â», complétée, dans l’ère contemporaine, par ces constatations : « le vide militaire est plus dangereux que le plein Â» et « l’effet de la faiblesse n’est pas moins redoutable pour la paix que l’excès de force Â».
Si la volonté de se servir de la force est tenue pour absente, les forces les plus puissantes peuvent perdre tout pouvoir de dissuader ou de persuader, c’est pourquoi la politique pacifique de tout Etat conscient ne doit pas être trop ostentatoire. L’exercice de la dissuasion fait partie de la diplomatie préventive et selon une formule de Frédéric II, « il vaut mieux prévenir que d’être prévenu Â». On sait qu’il savait de quoi il parlait.
On devrait, en principe, parler de stratégie dans trois cas de figure :
1) en cas de danger ou de menace potentielle,
2) en cas d’ambition, de volonté de, d’aspiration à, parvenir à certains objectifs essentiels, à certains niveaux qu’on estime légitimes ou nécessaires à moyen ou long terme.

3) en cas de souci, de nécessité de conservation d’une situation, d’un statu quo, sans but positif si l’on peut dire, mais un but négatif en ce sens qu’on ne veut rien acquérir, ni obtenir de nouveau, rien ajouter en plus, mais simplement maintenir un état de fait.
Clausewitz nous instruit sur la stratégie en ces termes : « en stratégie tout est très simple, ce qui ne veut pas dire très facile Â» -nous devons décoder : veut dire très difficile- et il explique : « en stratégie, toute action s’accomplit pour ainsi dire dans une sorte de crépuscule qui confère souvent aux choses comme un aspect nébuleux ou lunaire, une dimension exagérée, une allure grotesque… En fait les rapports matériels sont très simples. Ce qui est difficile, c’est de comprendre les forces morales qui entrent en jeu Â».
La stratégie est le domaine des masses, des espaces et des durées très grandes, tandis que c’est l’inverse pour la tactique.
Le concept de stratégie sous-entend généralement un objectif lointain ou difficile à atteindre. C’est une approche souvent détournée ou complexe qui met à contribution plusieurs éléments, plusieurs actions, combine plusieurs politiques ou initiatives en vue de parvenir à un objectif jugé essentiel, qu’une seule action, ou une action linéaire à fortiori, ne réaliserait pas ou parce que l’évolution naturelle normale, prévisible, ne permettrait pas d’atteindre dans un délai convenable.
Pour Clausewitz, il faut définir les entreprises principales avant tout et, si possible, faire prédominer une action principale. Dans tous les cas, il faut maintenir les entreprises secondaires aussi subordonnées que possible. Dans la vie des Etats, il s’avère malheureusement qu’il y a une multitude d’actions principales, toutes prioritaires.
Une fois la stratégie définie, toutes les actions deviennent subordonnées et ont pour finalité et but de contribuer à sa réussite. C’est elle d’ailleurs qui leur définit leurs buts tactiques, leurs étapes transitoires, leur graduation hiérarchique sur son échelle à elle et le rythme de battement de leurs cœurs spécifiques.
Cette approche de la stratégie s’enrichit d’une originalité : la logique paradoxale. Le domaine de la stratégie est régi par la logique paradoxale qui lui est propre, en contradiction avec la logique linéaire d’usage courant.
Cette logique est illustrée par le fameux adage romain : « si tu veux la paix prépare la guerre Â» et par l’interdiction à laquelle s’astreint parfois la stratégie de ne pas rechercher la solution optimale au bénéfice d’autres solutions plus ingénieuses, susceptibles d’être cachées ou de ne pas faire l’objet de contre – mesures, en privilégiant « la ligne de moindre prévisibilité Â».
L’approche stratégique s’applique à la politique intérieure, sans exiger forcément la logique paradoxale, mais celle-ci joue pleinement aux différents domaines de l’action extérieure de l’Etat : la diplomatie, la propagande, les opérations secrètes et l’exercice du pouvoir économique, sans parler de la situation d’un conflit en cours ou dans le contexte d’un risque de conflit.

 

II – LES DEFIS STRATEGIQUES :

Les défis stratégiques dont il est question sont en fait des buts d’une ou plusieurs stratégies à définir ou à élaborer et intéressent principalement la politique intérieure, dans ce qu’elle a d’essentiel pour la collectivité nationale. En cette étape, personne ne doit s’exonérer de proposer « une vision de notre futur qui pose les questions existentielles de notre avenir en tant que peuple Â», comme disait le penseur palestinien Edward Saïd parlant des Arabes.

Généralement, les Etats ont le devoir premier de défendre l’espace, les hommes et les âmes, c’est-à-dire l’être moral d’un peuple donné dans son originalité, sa spécificité sociologique et culturelle en tant que produit de l’histoire.

A – l’espace :
L’espace est le domaine géographique et juridique défini par l’exclusion de la compétence des autres. «Le pays est défendu, tant que les frontières le sont» dit Clausewitz.

1 – le Grand Sahara : Il fut de tout temps et pendant des siècles notre carapace protectrice. Le colonialisme n’a pu le pénétrer que parce que certains d’entre nous l’ont aidé à y entrer, mais il n’a jamais vraiment été maître de ce désert. Disons qu’il l’a dominé, théoriquement, comme protectorat et non comme colonie.

Impénétrable, hostile, impossible à maîtriser, il est resté le nôtre, notre « chez Â» familier, où nous nous sentons libres, à l’abri des intrus, et où l’ordre n’est vraiment maintenu que par nous, où la justice n’est rendue que par nous, où les peines – y compris la peine capitale – sont appliquées à l’insu du colonisateur. Les armes y circulaient, ou y étaient gardées en pleine sécurité, alors qu’elles étaient sévèrement prohibées par le colonisateur.

Le Grand Sahara nous protégeait, au Nord et à l’Est, comme le vide stratégique russe de plusieurs milliers de kilomètres à l’Est de l’Oural, protégeait ce pays vers la puissance chinoise qui ne faisait peser qu’une menace très marginale sur les frontières russes.

Mais les temps ont changé. La mécanique et notamment les véhicules 4 x 4 ont transformé cette sécurité en vulnérabilité. Par deux fois, en 1976 et en 1977, des colonnes de véhicules militaires, partant de Tindouf, sont arrivées sans être repérées jusqu’à Nouakchott et ont bombardé par surprise la capitale. Au cours de la même période de la guerre du Sahara, Bassiknou, Oualata, Chinguetti, Tichitt, Tidjikja, Ouadane, Néma, Zouérate ont été attaqués par des groupes de véhicules armés qui ont leurs bases à Tindouf. Sur un front stratégique aussi étendu, c’eût été demander à l’Armée Mauritanienne l’impossible : détecter quelques fourmis dans l’Aouker où, dit-on, les gazelles égaraient leurs faons.

En 2005, la caserne isolée de Lemghaity, dans le Hank, avait été attaquée par un commando ou une force motorisée venant, selon toute vraisemblance, du Sahara Algérien.

Les milliers de kilomètres inhospitaliers au Nord et à l’Est, le dépeuplement du centre et du Nord du Sahara, l’absence de centres habités, l’abandon total de ces zones au cours des trente dernières années, transformèrent le grand Désert qui était notre point de force en point de faiblesse. Il apparaît désormais pour ce qu’il est devenu à notre insu, et que nous découvrons aujourd’hui avec stupeur : un ventre mou, un territoire gigantesque pratiquement impossible à surveiller par les procédés habituels. On se demande si les dispositifs militaires classiques y sont adéquats et opératoires et s’il ne faut pas faire preuve d’imagination et appel aux traditions guerrières locales pour inventer un nouveau système de protection.
Tout au long de cette frontière, règne ou insécurité ou l’incertitude.

La paix armée -le cessez-le feu plus exactement- entre le Front Polisario et le Maroc est précaire et personne ne peut parier qu’elle ne puisse pas dégénérer à tout moment.

Le GSPC, dernièrement dénommé Al Qaïda au Maghreb, est toujours actif aux confins algéro-mauritano-maliens et rien ne prouve qu’il ne peut pas se livrer à de nouvelles interventions armées.

Les régions de l’Azaouad sont toujours troublées et leur allégeance au gouvernement malien est plus que douteuse. L’oubli de leurs sentiments et de leurs intérêts a réveillé les démons de la rébellion, l’année dernière, dans la région de Kidal, démontrant que le dernier accord avec le gouvernement malien n’est pas fiable et n’a rien réglé sur le fond des revendications de ces populations de l’Azaouad. La nouvelle rébellion qui s’est déclarée dernièrement chez leurs voisins et congénères de l’Est, dans le Sahara nigérien, n’est pas faite pour les calmer ou les décourager. Bien au contraire, elle est de nature à favoriser une entraide mutuelle pour des objectifs similaires ou communs et finalement à contribuer à embraser tout le Grand Sahara.

L’excès d’intérêt de puissances lointaines pour le Grand Sahara, qui considèrent que « l’espace est toujours précieux quand il est vide ou à peine peuplé Â», comme le rappelle Raymond Aron, est alors lui directement de caractère pyromane et provocateur.

Tous foyers allumés, séparément au concomitamment, par le Front Polisario, le GSPC ou les mouvements de l’Azouad, quels que soient leurs circonstances ou leurs motifs, recèlent par nature des dangers réels pour notre pays. Leur extension ou leur débordement, fortuit ou volontaire, sur notre territoire est pratiquement inévitable, dans les conditions actuelles, et constitue un vrai sujet d’inquiétude pour notre sécurité.

2 – Le Fleuve : Au Sud, le frontière naturelle que constitue le Fleuve a toujours été infranchissable et aucun envahisseur n’est jamais venu du Sud avant l’invasion coloniale, à partir du Sénégal.

Cette frontière fluviale était doublée ou triplée d’une barrière armée – tout un peuple en armes- et d’une barrière culturelle protectrice : la langue, les mÅ“urs ont empêché, avant la colonisation, les infiltrations douces et les mouvements migratoires vers le Nord.

Mais dans le contexte politique et économique mondial actuel, caractérisé par l’injustice et le pillage de l’Afrique, les vastes soubresauts de populations qui secouent tout le continent noir, du Limpopo à Rossbétio, font que la Mauritanie est une destination privilégiée, l’un des tout premiers palliers à franchir sans obstacles, soit pour y résider soit pour accéder à un tremplin vers les Iles Canaries et le nouvel El Dorado qu’est devenu pour les Africains l’Europe.

Des milliers d’Africains poussés par la pauvreté et l’incertitude du lendemain se pressent donc sur la frontière Sud soit pour prospecter leurs chances de travailler en Mauritanie soit pour la traverser vers le Nord.

Clausewitz a dit : « Les exemples d’un fleuve efficacement défendu sont assez rares dans l’histoire Â». Cette affirmation du grand stratège est assez préoccupante quand on sait qu’il pensait à des armées entières alors que le danger auquel fait face la Mauritanie est d’une toute autre nature, moins visible et moins susceptible de détection : des groupes restreints traversant nuit et jour, en pirogue ou à la nage, une frontière de plusieurs centaines de kilomètres de long, peu ou pas surveillée.

Les USA, faisant face à l’immigration mexicaine sur le Rio Grande, n’ont pas trouvé d’autre parade que de construire un mur de protection de 1.200 kilomètres. Les Européens qui sont, eux aussi, riches et nombreux voient l’immigration africaine comme un véritable cauchemar pour leur présent et leur avenir. Que dire d’un pays de 3 millions d’habitants dont le configuration humaine et culturelle est très sensible et l’équilibre fragile – on voudrait espérer qu’il soit présentement en convalescence, si on ne souffle pas trop sur les braises– et dont les citoyens ont déjà bien de la peine à se procurer un emploi. Le taux de chômage étant estimé à 35 %, tout apport supplémentaire de population signifierait inévitablement retirer aux mauritaniens la nourriture de la bouche. En tout état de cause sur ce problème et sur cette frontière on évolue, à défaut de mines, sur des Å“ufs et toute action, comme toute défaillance, est cernée de près par une foule d’intérêts, d’arrière-pensées et de sentiments dont on ne saurait dire l’effet destructeur s’ils sont exaltés. 

3 – Les Côtes Maritimes : C’est une nouvelle frontière découverte avec l’émergence de l’Etat. Dans le passé, avant la colonisation, la mer n’était rien pour les Sahariens, c’est seulement là où finissait la terre.

Elle ne renfermait pas de richesses convoitées par les habitants et si on sait qu’elle renfermait du poisson, ce n’était guère pour la rendre attrayante, ce produit étant pour la population – exceptés les quelques Imraguen – à la limite de l’impureté, en tout cas sérieusement méprisé et inspirant bien souvent le dégoût.

Ni l’ingéniosité, ni la curiosité, ni l’imitation n’ont conduit les populations à construire des embarcations. Sans doute l’absence de motivation a été encouragée par l’absence de matériaux de construction.

Les contacts avec les hommes de la Mer, les Européens, existèrent épisodiquement, depuis des siècles, soit quand ils venaient chercher la gomme arabique, en échange de leurs produits, soit quand leurs bateaux s’échouaient sur la côte saharienne et qu’ils venaient chercher refuge sous les tentes des nomades. Les naufragés qui venaient de temps en temps de la côte, épuisés, assoiffés, affamés et hagards n’ont jamais de toute façon inspiré autre chose que la compassion, tout au plus du mépris.

La mer, elle aussi, comme le Sahara, était perçue comme une protection naturelle. Elle n’a jamais nécessité de surveillance et n’a jamais été une source d’angoisse. La preuve irréfutable, c’est qu’elle n’a jamais charrié d’envahisseurs, ni d’agresseurs ; même le colonisateur a été incapable d’en tirer profit pour accoster directement et contrôler le territoire de ce qui allait devenir la Mauritanie .L’inhospitalité des côtes , l’absence de l’eau potable, l’inexistence d’agglomération côtières ou proche de la mer , l’éparpillement et la faiblesse de la densité de la population dans l’arrière–pays immédiat ont probablement joué et détourné les colonisateurs de tentatives qui auraient vite apparues vaines .

La mer n’a jamais été, en conséquence, qu’une infinité d’eau tutélaire et paisible et n’a jamais recelé de péril.

Comme pour le Sahara les choses ont bien changé .Au lieu de séparer du monde, la mer est devenue pratiquement le principal contact avec le monde extérieur. Les villes côtières sont devenues les villes les plus précieuses et les plus faciles d’accès. Elles sont aussi les plus vulnérables, non seulement à l’immigration mais aussi en cas de danger extérieur. La mer est désormais perçue comme une source de richesse et même de puissance : on est allé jusqu’à soutenir qu’il n’ y a pas de petit pays ayant une façade maritime.

Aucun pays ne se suffit plus de ses côtes immédiates et les eaux territoriales ont été étendues sur des centaines de kilomètres. La richesse en poisson, les gisements pétroliers et gaziers offshore et, demain, les nodules font qu’elle est devenue l’objet d’une âpre lutte entre les Etats, pour ce qu’elle représente et renferme, mais aussi parce qu’elle permet de contrôler le continent.

On ne s’étonnera pas dans ces conditions que les Etat puissants, non contents de s’emparer de nos richesses halieutiques, veulent, de plus, prendre le contrôle de notre espace maritime, de nos eaux territoriales et de nos côtes.

Tout Pouvoir, surtout démocratique, sera jugé avant tout sur sa capacité Ã  préserver les prérogatives inaliénables de souveraineté et à relever le défi dont parle le général De Gaulle « Un Etat qui n’assure pas la responsabilité de la défense nationale n’est plus un Etat Â»

B- les hommes :
Si le cadre géostratégique – le désert, la mer et le fleuve – sensé immuable, se transforme, c’est à dire que notre perception de ces données physiques change, et qu’il n’est lui –même pas figé mais relatif par rapport au cadre géostratégique plus vaste qui l’englobe , c’est que les hommes dans leurs besoins, leurs aspirations et leurs idéaux sont exempts d’absolu et sont davantage gouvernés par l’implacable loi du dynamisme de l’évolution et du changement permanent des choses et des phénomènes.

Si nous pouvons garder les termes de besoins, d’aspirations et d’idéaux, nous devons rechercher d’une part, dans le relatif, c’est dire dans le réel , ce qu’ils pourraient recouvrer en 2007 qui soit assez durable et assez général pour mériter d’être visé et d’autre part ce qui est réaliste , c’est-à-dire en adéquation avec notre stade d’évolution et nos capacités d’appréhension politiques pour être réalisable en l’espace d’une législature, tout autre horizon est fallacieux en démocratie .

1- La sécurité : le premier besoin des hommes, c’est leur sécurité, leur sécurité physique et celle de leurs biens. Les citoyens paisibles sont de plus en plus gagnés par l’inquiétude pour leur propre vie, dans leurs propres domiciles, dans leur sommeil et pour leurs biens. C’est une situation intolérable dans un pays qui n’est pas en guerre intérieure. La sécurité c’est aussi une certaine sécurité collective. Pour pouvoir être défendue la collectivité nationale doit être administrativement délimitée. Si l’état-civil n’est pas sécurisé et fait l’objet de trafic c’est qu’on est en pleine impertinence et installé dans l’irresponsabilité la plus caricaturale.

2- La justice : le déficit en la matière est énorme et l’aspiration est profonde. Il ne s’agit pas ici de la petite justice, au sens restreint, celle rendue par les magistrats .Celle-ci n’est d’abord pas un fondement en politique, ensuite elle fait partie d’un ensemble qui s’appelle l’administration qui, s’il venait à se redresser, se redresserait dans un même élan, enfin elle n’est pas prête objectivement à être équitable, puisqu’il faut à cette fin deux conditions :

a) des magistrats auto-soumis à une déontologie rigoureuse, tourmentés par les scrupules de la conscience professionnelle, acquis long et difficile à infuser dans un corps gangrené, et ayant une conscience tout court qui exige, elle aussi, une formation générale qu’ils n’ont pas acquise à l’origine, pour la plupart, et qui fait partie de ces choses qui, un certain âge passé, ne s’acquièrent plus ou n’entrent plus dans le comportement.

b) que les lois soient justes .Quand les lois omettent l’abus de pouvoir et les grands crimes commis contre la collectivité nationale , elles ne peuvent pas être justes .

La justice rendue par les magistrats sera juste le jour où les dirigeants et les riches y seront soumis .
La justice qui mérite d’être un objectif fondamental, c’est la grande justice, d’essence politique, qui n’est pas rendue en vertu de lois spécifiques mais assurée par l’Etat tout entier dans tous ses actes et par ses moindres organes et agents en vertu de principes plus élevés que les lois .

Cette justice qui est profondément ancrée dans notre culture et le subconscient du citoyen est mieux exprimée par la langue arabe quand nous évoquons Omar ibn Abel Aziz , Haroun Rachid et Salah Dine Al Ayoubi. Elle est symbolisée, localement, par « la paix d’Ahmed O. M’hammed Â»

Cette notion de justice dans notre entendement, se mêle à la notion moderne d’égalité, égalité des chances , égalité des droits effectifs : l’Etat impartial toujours du côté de la victime, du faible et du méritant. C’est une aspiration profonde, une valeur suprême que cette équité que les hommes veulent, acceptent et pour laquelle ils sont prêts à se sacrifier . Tocqueville a dit que les hommes veulent l’égalité dans la liberté mais que s’ils n’obtenaient par la liberté ils seraient prêts à mourir pour l’égalité, même dans la domination.

Il n’ y pas de justice avec des survivances de l’esclavage ou des citoyens de seconde zone. Il n’ y a pas de justice avec des citoyens au-dessus du droit à cause de leur richesse, de leur pouvoir ou de leur naissance.

3- La formation des hommes : un petit peuple dans le monde impitoyable d’aujourd’hui ne peut parier , pour sa survie, que sur la qualité, or la qualité c’est la formation des hommes . La formation des hommes ce n’est pas la production d’ingénieurs informaticiens, électro-mécaniciens, de médec! ins ou « fournir à l’économie des cadres compétents Â», ceci serait une incidence et une conséquence inévitables de la formation des hommes et de leur liberté à choisir leur orientation. La formation de l’homme ne se justifie pas en dehors de l’homme. S’il n’est pas l’unique référent de lui-même, c’est qu’on fait fausse route. Sans sa mesure et son fondement humanistes, la politique serait un exercice vain et insignifiant, une vraie chienlit.

La formation des hommes connote la formation des citoyens. Mais là encore, ce n’est pas pour leur inculquer des règles à suivre pour être de « bons citoyens Â». La morale n’est pas le problème de l’Etat. Le devoir de l’Etat c’est de leur donner l’instruction pour qu’ils acquièrent l’esprit critique, pour développer leur faculté de penser et de réfléchir, qu’ils développent leur autonomie de jugement. Cette capacité, seules y préparent la philosophie â€“ la philosophie est le lieu où la raison se manifeste comme puissance absolue, dit Hegel – les sciences humaines et la pensée politique.

Le système éducatif qui va préparer à cette formation n’est pas encore en place.

4 – Un projet social visant à donner des conditions matérielles d’existence décentes. Pour participer à une entreprise collective avec motivation, pour se sentir concernés, pour s’acquitter spontanément de leurs devoirs, en somme pour être des citoyens, les hommes ne doivent pas être perpétuellement privés, mais parfois bénéficiaires, d’un minimum de conditions matérielles, celles que permettent les moyens de leur pays : se nourrir, se vêtir, se loger, se soigner. Leur dignité commence là. Sans ce minimum, ils n’ont pas leur dignité. Voilà une entreprise admirable : donner aux citoyens leur dignité, leur indépendance personnelle par un revenu régulier, un emploi permanent. Les citoyens n’arrivent pas à comprendre, et encore moins à accepter, la contradiction : pays riche – citoyens pauvres. Cette absurdité doit cesser. Ou la rich! esse dont on leur parle est un leurre ou leur misère est sans justification. Une chose est certaine, le gaspillage et les détournements colossaux auraient pu améliorer leurs conditions.

A la base de l’amélioration des conditions de vie de la population, il y a des choix politiques et sociaux à faire. Le libéralisme n’améliorera pas de lui-même les conditions matérielles du peuple. Les « Ajustements structurels Â» du F.M.I. et de la Banque Mondiale continueront à broyer les couches déshéritées et la classe moyenne en produisant des chiffres cyniques qui prouvent que le capitalisme est le plus parfait possible, c’est-à-dire le plus injuste possible. Une société délitée, des familles dissoutes, des milliers de citoyens jetés à la misère, réduits à la mendicité ouverte ou déguisée, des malades s’entassant dans l’anti – chambre de la morgue, cela n’émeut pas le ! F.M.I et la Banque Mondiale. Ils protesteraient énergiquement et menaceraient de retirer leur caution si un poste d’emploi est créé dans la Fonction Publique, mais ils n’évoqueraient même pas des milliards détournés.

On a dit que le feu se nourrit du bois et dévore l’air. Ces institutions semblent se nourrir de la misère et dévorer les peuples faibles. Cette logique et ces dogmes du libéralisme sauvage ont leur limite.

D’autres alternatives sont rendues indispensables par la profondeur de la crise sociale, mais c’est à une condition épistémologique de taille, que l’économie ne soit pas considérée comme un monstre, une divinité nouvelle au dessus des hommes, mais un moyen à leur service.

S’il en est ainsi, les revenus de l’économie viseront à créer des emplois, à générer des revenus, à fournir des bourses d’études, à construire des logements, à rendre les prix des médicaments et les produits de première nécessité en adéquation avec les plus faibles revenus. John Galbraith – le plus distingué peut-être des économistes de la 2è moitié du 20eme- siècle – a dit que l’économie c’est d’abord l’application du bon sens aux réalités, la satisfaction des besoins humains personnels et collectifs et non pas des théories ésotériques oiseuses.

Ce ne serait peut–être pas faire preuve d’une épaisseur d’esprit excessive que de croire qu’un idéal social est nécessaire et qu’une ambition visant les réparations du passé, ses défaillances et ses injustices est indispensable.

5 – L’intégration maghrébine : F. List, à l’origine de l’intégration allemande, dit que le développement harmonieux n’est possible qu’à l’intérieur d’un cadre suffisamment étendu. Certains disent aujourd’hui que cet optimum dépasse les 100 millions d’habitants.

La Mauritanie ne réunit pas les conditions optimales de population, de puissance économique et de structures internes pour un développement autonome et ne fournit pas, à elle seule, le cadre suffisant pour un projet fiable objectivement. Or la préoccupation majeure de tout dirigeant responsable est d’assurer la pérennité de son peuple, de trouver le cadre approprié d’avenir, en l’occurrence la voie pour sortir la Mauritanie de sa misère, de son piétinement et de son indigence.

Le Maghreb s’écarte de cette disconvenance et offre, au contraire, ou se rapproche de la possibilité d’un cadre favorable pour un développement proportionné, par sa population, ses ressources diversifiées, son potentiel agricole et industriel et ses capacités techniques, scientifiques et intellectuelles. Si, de l’avis unanime des Maghrébins et des observateurs, le Maghreb est un projet à somme positive pour tous, ne lui demandons tout de même pas d’être l’enfant calabrais qui nage avant de savoir marcher. Même s’il faut l’envisager sous le sceau de l’urgence, il n’y a pas, à ce stade, entre ses membres de niveau suffisant d’identification politique pour une construction politique.

Dans l’étape actuelle, un ensemble où circulent librement les personnes et les biens serait un pas de géant. Le Maghreb doit être envisagé, modestement, comme unité économique ou marché commun. Dans cette perspective, le Maghreb peut commencer à deux ou trois.

C. Les âmes :
Si les Etats ont le devoir, pour mériter leur nom et leur légitimité, de défendre leur parcelle territoriale et l’existence physique de leurs habitants, ils ont tout autant l’obligation de défendre les âmes, l’être moral et social de leurs peuples, ce qui fait leur spécificité et leur originalité culturelles.

Un peuple est indépendant de l’espace géographique, il existe comme une affirmation d’identité et de cohésion, un ensemble constitué autour de valeurs morales et sociales. C’est en défendant son originalité qu’un peuple affirme son existence indépendante et participe le mieux au pluralisme générateur de progrès.

Les petits peuples du monde sous – développé sont menacés dans leur être par les déchets envahissants de la culture occidentale. Une déculturation rampante, soutenue avec acharnement par des puissants, risque de conduire à l’irréparable: l’aliénation et le déracinement.

Nous connaissons le sort des civilisations amérindiennes, précolombiennes. Ces brillantes civilisations, férocement combattues par les Européens, se sont finalement effondrées. Les hommes, privés de leur culture, perdirent toute contenance. Livrés à l’Eglise, qui les traita en enfants, ils avaient cessé de prendre goût à la vie et végétèrent misérablement. Ils n’assimilaient plus rien, se comportaient en robots et avaient perdu la mémoire immédiate. On connaît la célèbre et pitoyable anecdote : l’Eglise sonnait la cloche à mi-nuit pour les rappeler à leur devoir conjugal, car livrés à leur propre initiative même cela ne leur venait plus à l’esprit.

Cette âme, cet être moral à préserver n’est pas le passé. Il faut même, il faut surtout, se débarrasser des tares du passé, du sous – développement intellectuel, de l’obscurantisme et de l’idéologie traditionaliste qui barrent le chemin du progrès social et de la modernité intellectuelle, de la rationalité. Ce qu’il faut défendre c’est une confiance en soi-même, une flamme, une énergie, un ressort qui a permis de faire face aux épreuves, durant des siècles, et qui permet, seul, aujourd’hui et demain, de faire face à l’inconnu et qui est précisément notre outil, notre force, pour s’adapter au monde moderne qu’il faut s’approprier. Mais pas de greffe, il faut muer en hommes modernes. La mue vient de soi, c’est un renouvellement, un rajeunissement, une adaptation. La greffe est une prothèse, un aff! aiblissement par définition.

La conservation de l’âme et de la culture nationale passe par la conservation et la défense de la langue arabe. Que la langue arabe continue à être marginalisée et combattue au rythme actuel, avec la bénédiction de l’Etat, et notre sort est scellé : celui d’un peuple acculturé qui perdra tout repère dans la vie et toute espérance dans l’avenir. Il semble qu’il y ait, à propos de la langue arabe, des préjugés et des complexes qui relèvent d’un autre âge et qui sont difficiles à comprendre objectivement.

Il est maintenant admis, pourtant, par tous les éducateurs et tous les penseurs qu’un peuple ne peut s’épanouir et accéder au développement que dans sa propre langue. Les exemples du Japon, de la Chine, du Vietnam et de la Malaisie le prouvent admirablement. Alors, ou l’exemple de la Chine et de la Malaisie ou le modèle de la Guadeloupe et de Haïti. A nous de choisir. Le choix est, en vérité, tout théorique, parce qu’il n’est pas p! olitique, il est civilisationnel ou existentiel. Personne ne peut s’enhardir au point de piétiner l’accumulation des siècles et d’insulter les générations futures.

La seule alternative pour un Pouvoir nouveau, issu du peuple, c’est de donner des solutions aux problèmes essentiels en souffrance, c’est de réaliser ce que les régimes controversés ou d’exception n’ont pas su ou pas voulu accomplir, dans toutes les sphères de la vie collective, en conformité avec les aspirations de la majorité des citoyens.

 

Ces objectifs stratégiques ne comportent pas d’échelonnement chronologique, ni d’hiérarchie de valeur à proprement parler, comme ils ne sont pas concurrents ou contradictoires. Il faut plutôt croire qu’ils sont complémentaires, dans la mesure où ils visent à favoriser et à créer une entrée de plain–pied dans la convalescence et, par la suite, à atteindre une situation générale d’équilibre homéostatique, si l’on peut dire.

Plus l’ébranlement vers ces cibles se fait simultanément et énergiquement, plus les performances sont susceptibles d’être meilleures dans la mesure où une marche tous azimuts a plus de chances de créer l’enthousiasme et l’émulation, de créer un climat général de mobilisation, d’élever le moral de la population et des exécutants et de donner le sentiment qu’une ère nouvelle se lève.

Montesquieu a dit, à propos des défaites, qu’elles sont programmées : « l’allure principale entraîne avec elle tous les accidents particuliers Â». On est obligé de croire que, dans le cas contraire, l’allure principale entraîne avec elle tous les succès particuliers.

La force principale sur laquelle tous les espoirs sont fondés et qui va prendre la tête de l’offensive générale c’est l’Etat, l’Etat qui s’amende et se renforce en se fixant des objectifs qui l’élèvent et l’exaltent.

Il eût été absurde de poser comme but stratégique l’Etat à sauver et à perfectionner. Personne n’ignore les critiques et les railleries qui le visent quotidiennement. Mais on ne tombera pas dans ce piège à nigauds qui consiste à dire: redressons l’Etat d’abord, puis travaillons ensuite. L’Etat s’atrophie ou s’égare. Mais il n’est pas exagéré de dire que l’Etat est tributaire d’une simple vibration : un geste ou un mot de son chef supprime son atrophie ou son égarement. Il est un peu comme le train qui circule là–bas, entre Nouadhibou et Zouérate, avec tous ces vagons nombreux et lourds, ces locomotives complexes, il est tributaire d’un geste du conducteur.

C’est en posant des objectifs commandés par les besoins, les intérêts et les ambitions du pays qu’il a les meilleures chances de se moraliser, de se redresser, de se fortifier. Pour sa sauvegarde et son renforcement, nous pouvons compter sur cette sentence de Spinoza qui affirme que, pour les Etats, « le salut de l’Etat est la loi suprême».
La démocratie, pour être convaincante et pertinente et marquer, qualitativement la différence avec les méthodes décevantes des 47 dernières années, doit prouver, concrètement, qu’elle est le meilleur système. Un créneau régulièrement contourné, celui des problèmes de fond, que n’embrasse qu’une vision stratégique d’ensemble, peut faire sa fortune.
S’il advenait qu’elle suivît les traces des pratiques passées, elle y rencontrera le chemin familier de Sisyphe où nous roulons, depuis 47 ans, sur la pente raide, le rocher accablant qui retombe invariablement. 


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