Reportage : Les bouchers ambulants   
11/06/2007

Le secteur des petits mĂ©tiers ne cesse de s’imposer dans notre pays. Les acteurs de ce milieu rivalisent d’ingĂ©niositĂ© pour innover. Le boom d’une activitĂ© nouvelle Ă©tant Ă©phĂ©mère, il faut faire preuve d’esprit de crĂ©ativitĂ© pour occuper le terrain. Exister est seulement Ă  ce prix. C’est ainsi que les bouchers ambulants, par la force de leur organisation ont fini par se faire une place dans le tissu informel.



Le Mauritanien aime la viande. Aussi loin que l’on remonte le cours de l’histoire, l’on se rendra compte que c’est un peuple qui a toujours fait honneur Ă  cette matière. Si dans les villages et campements, Ă©gorger un mouton ne pose pas de problèmes, car on trouvera toujours quelqu’un de dĂ©vouĂ© pour le faire, ce n’est pas le cas Ă  Nouakchott oĂą l’opĂ©ration nĂ©cessite une vĂ©ritable prestation de service sanctionnĂ©e de rĂ©tribution en nature ou en espèces sonnantes et trĂ©buchantes. La solidaritĂ© des populations rurales s’arrĂŞte aux portes de Nouakchott. Vu que les citoyens mauritaniens sont portĂ©s sur cette denrĂ©e alimentaire, il n’est pas Ă©tonnant que les «égorgeurs» pullulent dans Nouakchott. Il faut savoir qu’il existe bien sĂ»r des professionnels du mĂ©tier qui sont Ă©tablis dans les principaux marchĂ©s de la capitale. Ils vendent de la viande provenant d’abattoirs agrĂ©es de l’Etat. A cĂ´tĂ© de ceux-ci, il existe une autre forme de bouchers qui squattent aux abords immĂ©diats des marchĂ©s ou carrĂ©ment entrent dans les concessions une bassine sous le bras et vous proposant des quartiers de viande. Ces derniers n’ayant eu aucun contact avec un quelconque vĂ©tĂ©rinaire ou agent du service d’hygiène publique parviennent Ă  tempĂ©rer les craintes des clients grâce Ă  la queue de mouton ou de chèvre qu’ils prennent soin de laisser en Ă©vidence. Mais comme les habitudes s’installent vite dans notre sociĂ©tĂ©, il ne faut point ĂŞtre sorcier pour tirer profit de cette manne, pour peu que l’on ait de l’inspiration. Aussi, certaines personnes spĂ©cialisĂ©es dans l’art d’égorger et surtout de dĂ©pecer les bĂŞtes ont compris tout le profit qu’elles pouvaient tirer de cette situation. Ces hommes se sont installĂ©s Ă  proximitĂ© des foirails et des abattoirs officiels. Lorsqu’une personne se prĂ©sente pour faire l’acquisition d’une bĂŞte, ils proposent leurs services. Si au dĂ©but cela se faisait dans l’anarchie et les rixes, ces gens ont fini par s’organiser et ont donnĂ© naissance Ă  une nouvelle corporation : celle des bouchers ambulants.

Des signes nouveaux
Ils sont reconnaissables depuis quelques temps Ă  un uniforme en tissu Ă©pais constituĂ© d’une chemise et d’un pantalon qu’ils arborent presque tous. MĂŞme si la couleur est variable, la coupe est la mĂŞme et le tissu est commun Ă  tous. Ils portent tous un coutelas Ă  la ceinture ou dans la poche du pantalon. Le passant qui longe le carrefour de Madrid allant vers Arafat, les trouvera Ă  l’angle du carrefour. A leur approche, l’on peut ĂŞtre intriguĂ© devant leurs mines patibulaires et surtout Ă  tous ces longs couteaux, mais en les approchant, l’on se rendra compte que c’est un milieu fait certes de rudesse mais aussi de vraies histoires humaines. Ici, on n’a pas trop le temps ou mĂŞme l’envie d’avoir des Ă©tats d’âmes. Il faut apprendre Ă  ĂŞtre vigilant pour repĂ©rer rapidement le client et jouer des coudes pour ĂŞtre le premier interlocuteur .C’est Ă  ce prix lĂ  seulement que l’on assure sa survie assure Ali Ould Birane, un jeune ressortissant de BarkĂ©ol : Â«Notre mĂ©tier est dur car il n’y a aucune garantie. En arrivant le matin, notre objectif est de gagner suffisamment d’argent pour manger d’abord et le reste suit. Dieu merci, nous nous en sortons.» Malek, un adolescent qui Ă©tait jusque lĂ  silencieux, lui coupe la parole : Â«Tu ne peux pas dire ça ! C’est faux, moi, je ne peux pas dire que je m’en sors alors qu’à ce moment oĂą nous parlons, je n’ai rien mangĂ© de la journĂ©e, tu pourrais m’acheter une miche de pain toi?» Silence. Il Ă©tait quatre heures de l’après-midi. Ali de poursuivre : Â« Il ne s’agit pas de savoir si on a mangĂ© ou non. Ce qu’il y a c’est que nous avons un mĂ©tier et nous devons remercier Dieu, c’est mieux que voler.» A regarder la mine des uns et des autres, l’on devine que les avis sont clairement divergents. Ali explique : Â« Au dĂ©but, nous Ă©tions Ă  l’abattoir de Marbatt, il y avait trop de concurrents c’est pour cela que nous sommes venus nous installer ici. Cela n’a pas toujours Ă©tĂ© facile car la police nous chassait systĂ©matiquement. Cela fait juste un an que nous sommes fixes ici. Il n’empĂŞche que la mairie nous oblige Ă  payer 5000 Um Ă  chaque fin de mois. De plus, certains policiers viennent aussi parfois nous rançonner.» L’homme se tait Ă  nouveau. A la question de savoir combien coĂ»te le prix d’une opĂ©ration de dĂ©peçage, quelqu’un lance : Â«500 Um pour chaque animal, en plus du cou de la bĂŞte, mais, actuellement, les gens ne veulent plus donner de la viande, ils vous donnent seulement de l’argent. C’est pour cela que nous en mangeons rarement». Au mĂŞme moment, une voiture vient de stopper Ă  quelques mètres et la bande s’égailla tels des oiseaux en quĂŞte d’une pitance.
Biri Ndiaye


Toute reprise totale où partielle de cet article doit inclure la source : www.journaltahalil.com
Réagir à cet article
Pseudo
E-mail
Commentaire
Entrer le code
La rédaction de Tahalil vous demande d'éviter tout abus de langage en vue de maintenir le sérieux et de garantir la crédibilité de vos interventions dans cette rubrique. Les commentaires des visiteurs ne reflčtent pas nécessairement le point de vue de Tahalil et de ses journalistes.
Les commentaires insultants ou diffamatoires seront censurés.

TAHALIL 2006-2022 Tous droits reservés