Rapport du Bâtonnier sur la justice octobre 2011   
16/10/2011

Le trimestre écoulé a connu la confirmation du recul de la justice en Mauritanie. Quelques exemples permettent de confirmer cette tendance, en les publiant, en les dénonçant nous manifestons notre attachement à l’idéal de justice et nous répondons au devoir de vigilance...



...qui nous revient par nature.

Certes une collaboration fructueuse entre l’ordre des avocats et les autorités aurait été le cadre idéal pour poser et résoudre les problèmes de notre justice, nous en sommes convaincus, mais ce cadre complètement absent la voie de la vulgarisation reste la seule offerte, nous la saisissons avec fierté.

Ce n’est pas à défaut de le requérir que ce cadre de concertation n’a pas vu le jour, la plus éloquente manifestation est la série de courriers, demeurés sans effet, adressés au Président de la République pour demander une audience au conseil de l’ordre, traditionnelle du reste après chaque élection.

Par ailleurs nous sommes convaincus que la vulgarisation est l’un des moyens les plus efficaces pour contribuer à rendre public les violations et les irrégularités dans l’objectif et le seul objectif de faire barrage à ces pratiques.

I/ la subordination de la justice au pouvoir exécutif

L’exemple le plus éloquent est sans aucun doute la radiation d’un juge et la sanction de ses collègues pour avoir acquitté. Tout s’est passé dans ce dossier en violation des procédures aussi bien au niveau de la procédure de saisine où le ministre devait saisir le conseil supérieur de la magistrature et non la commission disciplinaire directement qu’au niveau de la procédure où celle ci devait commettre un rapporteur et se réunir au complet mais finit par choisir d’exclure arbitrairement les représentants des magistrats.

Le dossier objet de l’acquittement a été confié à d’autres juges mais sont-ils en mesure de juger correctement sachant qu’ils savent à priori qu’acquitter est une faute disciplinaire qui conduit à la radiation ? Sont-ils choisis pour "bien juger"? Pour juger conformément à la lecture du pouvoir exécutif, en d’autres termes pour condamner ?

Les conditions minimales primaires d’un procès équitable sont elles réunies ? Peut on logiquement confier le sort de Saidou Kane (qui n’a jamais comparu devant un juge d’instruction), le seul détenu dans ce dossier, à ces juges commis pour condamner et auxquels il « est interdit d’acquitter » ?

Ces juges qui ont déjà, en exécution des instructions du pouvoir exécutif, entamé les abus à son égard en procédant à sa détention arbitraire actuelle sans aucun mandat de dépôt délivré par la cour suprême et sans que celle-ci ne prononce le sursis à exécution de l’arrêt d’acquittement et en violation des articles 118 112 et 560

Ne doit-on pas nous mobiliser contre ce procès pour empêcher le forfait qui est en train de se préparer et qui symbolise la fin de l’indépendance de la justice ? Des juges sont sanctionnés pour avoir acquitté et des juges sont « commis pour condamner ».

Ce dossier est l’occasion non seulement de dénoncer l’implication du pouvoir exécutif dans le judiciaire mais aussi et surtout le moment de s’indigner de la faiblesse de nos magistrats qui ne réagissent pas face à leur humiliation. Aucun élan de solidarité avec leurs collègues objets des mesures disciplinaires arbitraires et aucune indignation suite à l’expulsion de leurs collègues élus à l’effet de défendre leurs intérêts auprès des structures disciplinaires. Aucune réaction face aux multiples piétinements dont ils sont victimes.

Ceci est d’autant plus grave que tout dernièrement le président de la chambre correctionnelle de la cour d’appel, président de surcroit de cette cour, a rendu son verdict publiquement puis finit par en modifier le contenu le lendemain suite à une intervention musclée des autorités, alors qu’entretemps le dossier a fait l’objet de pourvoi et ne relève plus de sa compétence.

Toujours sur instruction et les yeux fermés un juge muté à la cour suprême a accepté de connaitre, en pourvoi, de ses propres décisions et a procédé à leur annulation en les considérant mal fondées.

N’est ce pas là le comble du ridicule judiciaire?

Voilà les exemples qui inquiètent quant à l’indépendance de la justice et qu’il convient de dénoncer.

C’est aussi l’occasion de rappeler que la création de l’amicale et le syndicat des magistrats sont plus que jamais une urgence, nous lançons un appel pressant pour la mise en place de ce cadre idéal d’organisation qui permettra aux magistrats de défendre leurs intérêts et de se libérer.

II/ Les prisons

Les prisons que le ministre de la justice nous empêche de visiter en dépit de nos demandes et courriers depuis trois mois connaissent ces jours ci un sort dramatique.

- La prison du désert (salafistes)

Les conventions internationales exigent pour toute personne mise en détention un certain nombre de conditions et de traitement dont le premier est celui d’être internée dans un établissement officiel.

Or il se trouve que les prisonniers dits salafistes ont été transférés dans un lieu secret quelque part dans la nature. Les justifications apportées publiquement par le Président de la République lorsqu’il qualifiait leur sort de meilleur que celui de leur victimes ne sont pas convaincantes.

"Ils sont internés quelque part dans la nature, disait il, alors que leur victimes ont perdu la vie". Ces vies que nous déplorons ne justifient pas le traitement cruel infligé aux détenus.

Il doit être mis fin à cette situation illégale.

-La prison de Nouadhibou

la prison de Nouadhibou dépasse de 120% sa capacité si bien que pour dormir les prisonniers s’organisent en équipes d’alternance. La présence de beaucoup d’étrangers, vulnérables par nature et sans assistance, est fort inquiétante. Le calvaire de ces prisonniers se passe dans l’indifférence totale des autorités et particulièrement des autorités administratives et judiciaires de Nouadhibou.

- Prison pour enfants

La prison pour enfants n’existe plus. Tous les efforts entrepris ces dernières années dans l’objectif d’assurer la séparation des mineurs et des adultes en conformité avec les dispositions des conventions internationales sont tombés à l’eau.

Un enfant est mort tout dernièrement en prison.

- La prison de Dar Naim

L’administration est absente et ne gère pas l’intérieur de la prison où règne la terreur. 5 personnes au moins condamnées à une année de prison et le paiement de la diya ont purgé leur peine et, démunies, demeurent en prisons pour défaut de moyens depuis plusieurs années (depuis 13 ans certains d’entre eux attendent dans ce mouroir parce que, démunis, ils n’ont pas de quoi payer la diya), 13 ans, ceci est il concevable dans un état qui se respecte?

Des prisonniers à Dar Nait sont en détention préventive depuis quelques années, 3 ans pour certains.

Ceci est il concevable dans un Ă©tat qui se respecte?

Un prisonnier à Dar Naim a purgé sa peine de 3 ans mais demeure en prison car son dossier est perdu.

Ceci est il concevable dans une justice qui se respecte?

4 femmes sont en prison depuis 2 et 3 ans pour des peines complémentaires, flagellation…

III/ la prétendue lutte contre les détournements de deniers publics.

Comme nous avons eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises la justice ne gère pas ces dossiers. Le recours à la justice est le plus souvent pour mettre la forme à la décision politique de mettre en détention ou de libérer, les exemples ne manquent pas. Avec ce triste sort réservé à la justice nous pouvons considérer ces personnes comme des prisonniers politiques et considérer la lutte contre les détournements des deniers publics une forme de règlement de comptes.

La justice est incapable de leur offrir le droit à un procès, fut il inéquitable et sans garanties, si bien qu’on en arrive au dépassement des périodes réglementaires de détention préventive et du coup aux détentions arbitraires (Mohamed Lémine Ould Dadde l’ancien commissaire aux droits de l’homme qui est en détention arbitraire depuis le 27 septembre 2011 et dont on exige la libération immédiate et sans condition) ).

Les règles élémentaires du procès sont faussées dans un exemple où la cour se retire pour délibérer après avoir clôturé, à sa manière, les débats mais au lieu de sortir comme le lui impose la loi avec son verdict elle décide de rejuger (Ahmed ould Khattry). La cour a peut être oublié qu’après les débats elle doit, avec le disponible, répondre aux questions de la culpabilité ou non, des circonstances atténuantes ou aggravantes, et la peine à appliquer. Elle ne peut et ne doit sortir de son délibéré que pour rendre public son verdict.

Rien ne peut justifier la décision de rejuger surtout pas l’insuffisance de preuves comme si la cour se sent obligée de trouver les preuves. Les preuves sont à la charge de la partie qui a poursuivi et le défaut de preuves profite au prévenu.

Regardez l’exemple de ce fonctionnaire arrêté sans aucune mise en demeure jusqu’à ce jour alors qu’il est en prison depuis plus de deux ans, un autre a reçu sa mise en demeure, en prison, 4 jours après son arrestation alors que l’article 166 du code pénal qui régit la matière est clair faisant de la mise en demeure un préalable à toutes poursuites «préalablement à toutes poursuites les auteurs de délits susvisés auront été mis en demeure par l’agent de l’état chargé de l’enquête de rendre ou représenter les effets denrées marchandises … ».

Il arrive aux juges d’instructions de se substituer à l’administration à posteriori et délivrer des mises en demeures.

Dans le cadre de lutte contre les détournements de deniers publics les procédures sont bâclées et l’administration ne se fait aucun souci pour présenter des dossiers fiables, pas plus qu’elle n’affiche aucune exigence, souvent les personnes sont arrêtées et s’en suit une longue recherche de preuves à rassembler avec une présomption manifeste de culpabilité.

Certains dossiers, dont je détiens copie, renferment des témoignages de professionnels qui déclarent les inspecteurs «incompétents et sans aucune maitrise des systèmes informatiques sur la base desquels ils mènent leurs investigations».

Dans un autre dossier les inspecteurs qualifient eux même les données sur lesquelles ils travaillent «non fiables, anarchiques et mal tenues» ce qui ne les empêche pas pour autant de conclure, dans la hâte, au détournement de deniers publics et ce qui n’empêche pas la justice de se saisir du dossier avec des poursuites fondées exclusivement sur les dits rapports.

Quand l’honneur et la liberté des individus sont en jeu il doit, à chaque fois autant que faire se peut, s’agir de faits avérés et mis en évidence par un travail professionnel dans le strict respect des procédures. Le prochain rapport sur la justice posera, de la même manière, des problèmes qui ne peuvent plus attendre et pour lesquels nous n’avons pas pu obtenir des réponses.

Fait Ă  Nouakchott le 16 octobre 2011
Maître Ahmed Salem Bouhoubeyni
Bâtonnier de l’ordre national des avocats

 


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