L’avenir politique de la Mauritanie: Entre l’urgence d’un consensus et la vanité de la Démocratie conflictuelle.   
14/12/2006

L’idée d’un régime politique consensuel heurte les esprits bien pensants.  Une telle prétention qui poursuit l’objectif  quelque peu désuet de la  cohésion nationale est, en effet, souvent suspectée de traduire l’apologie  déguisée d’un certain despotisme oriental dont l’influence sur les  mentalités provoque un légitime effroi. Au demeurant, cette prétention  s’inscrit en faux contre la vocation  sacro-sainte de la Démocratie qui  implique un affrontement politique , somme toute  incontournable, entre une  majorité arthimétique qui a le droit de gouverner et une minorité  dont le  rôle est de s’opposer.



Néanmoins, dans l’ambiance passionnelle du cruel  affrontement qui semble  diviser la Mauritanie en deux blocs, il est, plus que jamais, irresponsable de se contenter de ce ’ politiquement correct’ qui se nourrit de la  démagogie et du non dit.
En  matière de démagogie, le scrutin qui vient de  s’achever a dévoilé une double contre vérité  qui affecte, considérablement, la classe politique du pays : Tandis que l’ancienne majorité  a été réduite à une pitoyable  modestie, l’assourdissante prétention majoritaire de l’ancienne opposition a été évacuée par un cinglant démenti..
Pour ce qui est du non dit, il résulte, en vertu de l’une de ces apparences  bien trompeuses, du fait que la classe politique, dans sa quasi-totalité, semble se contenter  d’une démocratie conflictuelle dont les protagonistes  ont, certes, été librement élus mais qui a, qu’on le veuille ou non,  aiguisé, dans de nombreux cas, les épouvantables contradictions tribales et
ethniques.
On lit, souvent, entre les lignes et en guise de timide objection  à cet  argument que ces contradictions ne  relèvent nullement de la fatalité et que dans une optique ’’d’alternance’’ ou de ’’changement’’, il est bien possible  et même impératif de les dépasser. Mais on a le secret sentiment que les  nouveaux idéalistes de l’ordre démocratique sont, quelque part, les
héritiers déboussolés d’une génération qui a perdu ses illusions. Ils nous  laissent, en tout cas, l’irrésistible impression que leur séduisant discours a été construit  en dehors du contexte spatial et temporel concerné.
Or, dans cette fragile démocratie  qui évolue  dans’’ le néant  absolu’’,  seule l’hallucination peut conduire à revendiquer la détention de la ’’la vérité des sables mouvants’’  les quels, comme disait Edward Abbey, «ne sont pas ceux que l’on croit et n’ont pas le pouvoir d’engloutir ». A  l’image de ces sables mouvants, la plupart des acteurs  de l’actuelle scène
politique reflètent, à travers le fossé  qui sépare leur discours de leur  comportement, la déroutante  ambivalence de la société mauritanienne.
Profondément marquée par une de ces pluralités les plus confuses, cette  société éprouve, à l’instar de toutes les sociétés humaines, un besoin  naturel de bien être dont la satisfaction dépendrait de la bonne exécution  d’un programme de gouvernement.
Dans ce domaine où la démocratie conflictuelle s’exerce aussi bien au niveau du discours qu’au niveau de l’action politique, il faut être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître que des réalisations ont été accomplies par les  nombreux gouvernements qui se sont succédés depuis l’indépendance du pays  mais il faut être, également, frappé d’une incurable cécité pour ne pas
avouer que le mépris de la chose publique continue, jusqu’à nos jours, de se traduire par des pratiques politiquement légitimées et socialement  encouragées.
C’est, d’ailleurs, en réaction à  ce comportement abusif qu’une partie de l’électorat unie par la misère du quotidien éprouve, de plus en plus, un  sentiment d’injustice.
Il va sans dire que les voix de cet électorat, essentiellement urbain,    dont  la frustration a été accentuée par la laideur des bidonvilles ainsi  que par l’extravagance de la nouvelle prospérité et qui  n’a cessé de se  développer, tout en se métamorphosant,  depuis les élections municipales de 1986, profitent  à n’importe quelle  opposition.
Dans la logique de la démocratie conflictuelle, tout porte à croire que  l’instabilité des futurs gouvernements, tenus de distribuer des coûteux  dividendes politiques à ceux qui les ont élus, sera un enjeu pour les  nombreux exclus qui ne manqueront pas d’ exploiter, à fond, les attentes  d’une opinion trop pressée
Une  exploitation d’autant plus aisée que  les qualités de compétence et de sincérité requises pour une réelle bonne gouvernance  ainsi, d’ailleurs, que les indices inquiétants d’une éventuelle mauvaise gestion se sont  repartis, suivant une curieuse symétrie, entre les deux camps qui s’affrontent par des intrigues d’un autre age  dans une compétition dont ’’les modalités  techniques’’ soulèvent  l’admiration des observateurs étrangers.
Mais cette fascination externe susceptible d’inciter  à l’auto- consolation  ne saurait dissimiler l’affreuse réalité des comportements versatiles et   celle des sombres manières qui  nourrissent la prétention du changement.
Il faut, donc, de l’imagination pour concevoir  une issue à même de conduire le pays au rivage du  cercle vicieux dans lequel il risque de s’engouffrer.
En effet,  il serait bien périlleux de classer le spectre d’une tragique et  coûteuse confrontation ’’démocratique’’  dans la catégorie des hypothèses  d’école  et il faudrait, sans tarder, jeter les bases d’un projet consensuel  pour contourner les    scénarios d’une  possible régression.
D’ores  et déjà, il faut que les deux pôles en concurrence admettent que la Mauritanie  ne peut pas être  dirigée, au sommet,  par sa moitié ni, à  fortiori, par une relative majorité. Il faut bien admettre, dans ce sens,  que l’idée d’une majorité arthimétique  implique un sens de la
citoyenneté  largement déficitaire dans ces contrées et que le vote tribalo- ethnique
continue d’être déterminant dans le choix des candidats. Or une  réelle  évolution démocratique, au sens convenu, ne peut valablement résulter de ce genre de rivalités archaïques.

Par rapport à cette contrainte structurelle, la tentation serait grande de viser la formation d’une majorité de domination. La tache est d’autant plus facile que la plus part des élus tiennent, sans le moindre scrupule moral ou  politique, à se situer dans le camps du prince du moment .Mais il serait bien hasardeux de négliger l’activisme,  forcément, intempérant de la
minorité qui se sentirait exclue.  Sur ce point, l’histoire, toute fraîche, nous apprend que les courants d’opinion qui se sont, soit dit en passant, révèles largement minoritaires, lors des toutes dernières élections,  possèdent une redoutable capacité de déstabilisation du pouvoir en place.
En raison de cette inquiétante perspective, il conviendrait, dans un esprit  de responsabilité, d’explorer l’une de ces voies qui conduisent au  consensus.
Celui-ci ne  saurait, cependant, s’identifier   à une simple concertation autour de formules standard et abstraites ni d’ailleurs d’un complexe gouvernement d’union nationale qui pourrait être condamné à la paralysie.
Le consensus devrait, plutôt, se traduire par une réelle volonté  politique d’accepter  un arbitre  capable de se  placer au dessus de la mêlée. A cet  égard, la fonction présidentielle, déjà amoindrie par la limitation du  mandat, gagnerait à être assumée par un sage consensuel qui, sans être un  président au rabais, serait tenu, en vertu des rapports de forces en  présence, de  ne pas entraver l’exécution de n’importe quel pertinent  programme présenté par un gouvernement qui dispose d’une simple majorité. 
Fort par le consensus et affaibli par la compétence liée du mandat  gouvernemental, le président se doit d’être un médiateur  dont le rôle  fondamental est de rassurer les deux pôles en compétition. En termes de justice, il gagnerait à fonctionner comme une sorte d’oreille ouvertement  tendue aux  tendances opposées de  l’opinion publique.
En tout état de cause, la Mauritanie menacée d’une possible libanisation,  avec la précarité en plus et la civilité des libanais en moins, éprouve le besoin d’un prince charmant qui sans, nécessairement, posséder l’autorité d’un Charles De Gaulle, le Charisme d’un Nasser ou d’un Mandela, aura une  sagesse similaire à celle d’un Mahathir Bin Mohamad lequel  a su, par
l’imagination et par la générosité, donner à la squelettique et plurielle Malaisie, la forme unitaire d’un dragon offensif.
Au risque de choquer les démocrates qui pensent, non sans une certaine  logique, que la réforme des institutions favorise, à elle seule, le progrès des nations, nous avons des raisons pour croire que le peuple mauritanien  dont «l’unique demeure se trouve à l’horizon» a bien besoin d’un  respectable et consensuel porteur de rêves qui saura, comme  ce vent évoqué
par  Odette du Puigaudeau, effacer «sur le sable fuyant les traces du  vainqueur en même temps que celles du vaincu» et qui après avoir  découvert, par lui même, que le pouvoir est source  d’ennuis et que  l’enjeu de cette bataille se situe ailleurs : dans le sens de la justice, dans le  développement, dans une équitable distribution des richesses nationales … se
contenterait de son statut de passager éphémère et , en ce moment là, «il ne peut que marcher pieds nus sur ce sable, comme les autres» .


 Abdel Kader Ould Mohamed
 Juriste, ancien secrétaire d’Etat


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