Premiere partie:
Le «Tarikh al beydhane» qui signifie l’histoire de ce qu’on appelle communément la société maure renvoie à la fin d’une période historique qui s’achève en 1903 avec la colonisation française du territoire qui sera celui de l’actuelle république islamique de Mauritanie. Au-delà des frontières tracées par la colonisation, cette histoire concerne un espace naguère connu sous le vocable «Bilad Chinguitt». C’est l’espace dans lequel se sont déroulées les toutes premières opérations du mouvement almoravide et qui a connu, dés le XIVeme siècle, la substitution de la langue arabe aux dialectes berbères.
Cet espace est, également, considéré comme un ensemble humain qui a subi les mêmes influences historiques et dont le parler commun dérivé de l’arabe s’effectue par «le hassaniya» lequel constitue l’un des dialectes les plus proches de la langue arabe pure. Compte tenu de ce qui précède , l’histoire des Maures s’identifie à celle de l’espace qui comprend, outre la Mauritanie, d’autres régions voisines liées avec elle par une foule de facteurs tels que la parenté, la langue, les usages et coutumes. Cet espace mouvant dans lequel les chameliers sont, constamment, à la recherche de pâturages s’étend vers le nord jusqu’au Wad Noun marocain et jusqu’ aux confins du Touat algérien. A l’Est, l’espace des Maures qu’ils appellent, eux mêmes «Trab el Bidhane» par opposition à «Trab Assoudane», englobe la région de l’Azaouad (au Mali). Une telle délimitation nous permet de contourner les frontières politiques lesquelles impliquent des lectures historiques controversées, pour explorer un univers culturel plus à même de renseigner sur la vie des gens ainsi que sur les mutations sociales survenues dans le temps et dans l’espace. Le «pays des Maures» ainsi compris a été désigné par diverses appellations dont les plus connues sont «Bilad Al Moutalathimin», qui veut dire «le territoire des hommes enturbannés», ou encore «Bilad Chinguitt». Cette dernière appellation, assez ancrée dans l’imaginaire des Arabes de l’Orient, est intimement liée à la multiplication des pèlerinages organisés par les habitants des anciennes cités du Sahara. Le terme «Sahara» est, par ailleurs, souvent utilisé pour désigner ce vaste territoire peuplé, à travers les ages, par des grands nomades. Il est intéressant, à ce sujet, de remarquer que l’expression «Mauritanie» qui correspond à un concept romain bien connu dérive, elle même, du mot Amazigh «Atmour tnagh ou Tmour tenna» qui signifie «notre terre», cette appropriation, qui évoque un sentiment national, est probablement liée à la forte résistance que les célèbres tribus maures ont opposé aux Romains, aux Vandales et autres conquérants des anciennes terres amazigh. De nos jours, l’histoire des Maures ou «tarikh al bidhane» constitue un aspect fondamental de l’histoire de l’actuelle Mauritanie. Mais pour des raisons évidentes ce tarikh se limite à l’histoire des «Arabes du Grand Sahara» ou «les arabo-berbéres» (selon une terminologie assez courante) y compris le groupement haratine majoritairement originaire des peuples anciens lybico-berberes, notamment des Gara mantes ou «berbères noirs». Cette histoire n’englobe pas celle des habitants du pays issus d’autres collectivités «négro-africaines» (Soninkés, Hal pular, Wolofs.). Ces collectivités sont, cependant, fortement liés avec l’ensemble maure et ont, elles mêmes, fondé des entités étatiques d’un intérêt capital pour l’histoire de la sous région. D’ailleurs, les mouvements de grandes reformes qui se sont développés au sein de ces collectivités ont exercé une influence notoire sur toute l’étendue de « Bilad al Bidhane». Parmi les plus anciennes de ces entités étatiques «négro-africaines», l’empire du Ghana dont la seconde capitale «Koumbi Salah» se situe au sud-est de la Mauritanie (fondée par Saleh Al Idrissi, l’ancêtre des chérifs de Tichit) et qui a dominé, dans l’actuel Mali, jusqu’au XVème siècle a constitué l’une des étapes importantes du commerce transsaharien. Dans le même ordre d’idées, il conviendrait de citer l’avancée du conquérant peulh Tanguella et celle de son fils Colé qui ont envahi la haute vallée du fleuve Sénégal au niveau de laquelle ils ont soumis la SénéGambie et introduit le dialecte Pular provoquant ainsi une profonde mutation qui s’est soldée par l’assimilation de nombreuses tribus devenues, depuis lors, partie intégrante du peuple «Hal pular» (les gens dont le parler s’effectue par le Pular ou la Fulaniya).. Il importe de souligner que cette mutation similaire à celle qui s’est produite au niveau de la société maure a accompagné l’expansion des tribus arabes des Bani hassanes qui ont, dans les mêmes conditions imposé leur pouvoir et leur dialecte aux autochtones Sanhaja. Plus récemment, la plus influente de ces entités «négro- africaines» a incontestablement été l’Etat fondé par Al Haj Omar Al Fouty (m. 1864) lequel a, complètement, bouleversé les équilibres politiques, religieux et humains dans les vallées des fleuves du Sénégal et du Niger et qui a eu une influence, aussi bien positive que négative, dans divers domaines. Cette précision étant apportée, il convient de signaler que l’étude du tarikh précité parait d’autant plus indispensable que les approches existantes, en la matière, sont largement insuffisantes .Dans ce domaine, l’offre se limite à des travaux académiques trop spécialisés ou à des études dont l’historicité est bien douteuse. Dans certains cas, la méthodologie fait, cruellement, défaut aux études disponibles tandis que dans d’autres cas, celles-ci correspondent à une compilation maladroite des légendes et des mythes ou à une manipulation des faits, voire à un trafic des généalogies. En outre, ces études sont, souvent, discréditées par les invraisemblables hypothèses et par le manque d’honnêteté intellectuelle de leurs auteurs. Pour surmonter ce genre de lacunes courantes, il faudrait éviter les conclusions faciles et les déductions rapides en se concentrant sur les profonds bouleversements qui ont façonné la société maure. Dans cette perspective, il conviendrait de mettre l’accent sur des grands événements tels que les énormes mouvements migratoires, les principaux conflits, les changements structurels au niveaux social, politique, spirituel et économique qui ont été à l’origine de la formation de l’ensemble maure. Cette origine (Asl) se dessine, globalement, à travers les mutations fondamentales qui ont résulté de la conquête islamique, de l’Etat almoravide, de l’immigration arabe «hassane», du conflit entre les Sanhaja et le Bani Hassane. La pénétration coloniale est, également, un événement d’un grand intérêt dans l’étude de cette histoire mais contrairement aux mutations précédemment citées, cette pénétration n’a pas eu d’incidence notable sur l’organisation sociologique des Maures et ce, malgré l’atrocité des comportements que les envahisseurs français ont adopté vis à vis des autochtones. Il existe, en plus, d’autres événements qui n’ont pas eu d’incidence notable dans la vie des maures même si, par ailleurs, ils les ont conservé dans leur mémoire collective. C’est, notamment, le cas de la campagne du Roi Mansour Assa’di (Maroc) contre l’Etat Songai (1591) qui s’est soldée par la chute de Toumbouctou, capitale culturelle de cet empire noir et qui occupe une place prépondérante dans l’histoire culturelle des Maures. C’est aussi, la précédente campagne, moins connue et sans effets notoires, des mêmes saadites en 1584 qui a visé tout le littoral atlantique jusqu’à l’embouchure du fleuve Sénégal et dont l’aboutissement pacifique est dû à succès des négociations menées par le représentant des autochtones, Brahim Ben Redouan, l’ancêtre des Fal Gannar. Mais c’est, surtout, le cas de la «guerre de Char Babba» déclenchée par Nacer dine (d’origine lemtouna) qui s’est déroulée dans le sud ouest mauritanien à la fin du XVIIeme siècle et qui a été un événement d’une courte durée, d’ailleurs, limité à une zone bien précise. Cette guerre, dont l’étrangeté est d’être décrite, uniquement, par les vaincus, possède une valeur symbolique aux yeux des tribus Zwayas qui y ont participé, mais paradoxalement, dans la mémoire des vainqueurs, issus des tribus arabes., d’habitude enclins à la célébration de leurs exploits, cette guerre fait figure d’un non événement.
(A suivre)
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