Ahmed Ould Cheikh directeur de publication de l’hebdomadaire mauritanien « Le Calame», le journal le plus censuré du pays sous l’ancien régime, commente la petite révolution qui
s’est opérée depuis le « putsch vertueux » du colonel Ely Ould Mohamed Vall, en août 2003. Une nouvelle loi sur l’exercice du journalisme, la régulation des médias et l’attribution de la carte de presse a été adoptée, au mois de juin 2006, quelques semaines après avoir été présentée au gouvernement par une commission nationale consultative, composée de journalistes et de juristes. Son journal, qui a connu plus d’une centaine d’actes de censure entre 1991 et 2005, s’est rendu célèbre par sa liberté de ton et son aptitude à la survie, dans un des pays les plus répressifs du continent..
Leblogmedias : Une nouvelle loi sur la presse vient d’être adoptée en Mauritanie. Que représente-t-elle pour vous ?
Ahmed Ould Cheikh: Elle est singulière à bien des égards. Contrairement à la précédente, particulièrement répressive et qui nous a été imposée par le pouvoir, cette loi a été préparée par les professionnels du secteur, réunis au sein d’une commission consultative mise en place par les nouvelles autorités, lesquelles ne sont jamais intervenues lors de sa rédaction.
Ensuite, elle constitue pour nous une révolution. D’abord parce qu’elle supprime le dépôt légal, qui se faisait au ministère de l’Intérieur, et qui était une obligation avant la diffusion des journaux. Ensuite, elle ne prévoit plus d’outils de censures ou de saisies, et supprime les peines de prison pour les délits de presse. Comme vous le voyez, c’est une loi particulièrement révolutionnaire. Du reste, beaucoup de nos confrères africains, comme Reporters sans frontières, ne se sont pas trompés en demandant qu’elle serve désormais de modèle pour une véritable liberté de presse en Afrique.
Leblogmedias: L’adoption de cette loi a pris du retard, dû, selon beaucoup de connaisseurs de la presse à Nouakchott, à l’obstruction du lobby nationaliste arabe au sein du ministère de la Communication. Celui-ci souhaitait maintenir, dans le cadre législatif, une forme de délit d’opinion. Après avoir gagné cette bataille, pensez-vous que ce lobby pourra représenter un obstacle à l’application de la réforme ?
A.O.C : Faute de preuves, je n’irai pas jusqu’à évoquer un lobby, quel qu’il soit, ni spéculer sur son rôle dans le retard dans l’adoption de la loi. Tout ce que je peux vous dire, c’est que l’adoption de la loi a connu du retard et que certains groupes — que je ne voudrais pas définir ici — n’ont pas intérêt à ce que la Mauritanie avance sur le chemin de la démocratie. Ils essayeront sans doute de multiplier les obstacles pour retarder l’adoption de la réforme, mais je crois qu’ils perdent leur temps. La Mauritanie est engagée sur une voie et il n’est plus possible de l’en détourner.
Leblogmedias: Désormais, les prédateurs de la liberté de la presse ne sont plus les responsables politiques, mais des clans tribaux ou affairistes. Pensez-vous que ces groupes représentent une réelle menace pour la liberté d’expression ? Quels sont les moyens les plus efficaces pour les affronter ?
A.O.C.: Nous avons déjà affronté des autorités politiques disposant de tous les pouvoirs. Je ne vois pas pourquoi on se dégonflerait devant d’autres. La seule menace qui pèse désormais sur la presse ne peut venir que d’elle-même. Elle doit s’organiser, se professionnaliser, s’unir, faire preuve de solidarité pour affronter ses nouveaux prédateurs.
Si elle continue comme avant, elle risque malheureusement de ne pas profiter de cette réforme et les « peshmergas », ces journalistes racketteurs «peshmergas», nom péjoratif donné par les journalistes mauritaniens aux publications irrégulières, dont le fonds de commerce est plus souvent le chantage que l’information, NDLR], auront encore de beaux jours devant eux.
Propos recueillis par Abdallah Hormatallah, journaliste, correspondant de Reporters sans frontières pour la Mauritanie.
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