Mamoudou Gueye, l’abbé Pierre de la Mauritanie, n’est plus   
21/02/2010

Vendredi soir, après avoir longuement bavardé avec Ibrahima SARR, je me suis rendu comme d’habitude au domicile de Hamidou Baba KANE situé à cinq minutes de marche. C’est au moment de prendre congé que ce dernier que j’appris la terrible nouvelle de la disparition



d’un de ses plus grands amis, qui était bien plus qu’un ami pour moi.

Mamoudou Gueye dit Docteur était de 1994 à 1996 mon grand frère et mon père à Toulouse, sa ville de résidence où Il est retourné à Allah SWT jeudi 18 février à 21h30.

Qu’Allah SWT lui accorde le repos éternel et donne à Françoise et son fils Aboubacry la force de supporter cette épreuve inéluctable de la vie.

Samedi matin, je culpabilisai d’avoir bien dormi la nuit malgré cette perte d’un être cher. Mais c’est seulement maintenant que j’ai compris le vrai motif de ce sentiment : je serai coupable si je ne témoigne pas sur la vie de cet homme exceptionnel et l’une des grandes personnalités de la diaspora africaine de la ville rose.

Un homme d’une bonté et d’une générosité hors du commun est parti. C’est un homme que je n’ai jamais vu triste et pourtant l’exclusion dont il avait été victime en France à cause de la non reconnaissance de ses diplômes en Santé obtenus au Maroc était une injustice qui devait pousser au renfrognement, à la révolte.

Vendredi matin, le lendemain de sa disparition dont je n’étais pas encore au courant, j’ai effectué la prière sur les morts, un rituel que je négligeai depuis des lustres, qu’Allah SWT nous pardonne. Je suis sûr que ce n’est pas un hasard. Mamoudou GUEYE m’étais très proche, je me suis retrouvé à prier pour lui sans savoir qu’il venait de quitter ce monde quelques heures avant. Je veux témoigner ici que c’est l’une des personnes qui a le plus contribué à faire reculer le Sida au sein de la communauté africaine de Toulouse.

Par son action de sensibilisation il a sauvé des centaines de vies. Il allait directement dans les cités, les grandes tours concentrant les arabes et les noirs africains pour dérouler ses démonstrations sur l’usage des préservatifs, ses sketchs tournant en dérision avec humour ceux qui ne voulaient rien savoir sur le VIH. Il se faisait accompagner par des artistes et des conteurs. C’était un africaniste, il croyait à l’efficacité de nos traditions orales pour toucher ces populations dont la plupart étaient souvent nostalgique de cette Afrique naguère prospère et très civilisée.

Quand j’ai vu l’appel du Ministre de la Santé pour le retour au pays de nos compétences médicales, ma première réaction fut de me dire « quel gâchis ! si des gens comme Mamoudou n’avaient pas été obligés de s’exiler, ils auraient considérablement stoppé l’avancée du SIDA dans les quartiers pauvres dès 1990».

Mamoudou était un brillant infirmier d’Etat, d’où son surnom de Docteur. Après une formation complémentaire au Maroc, il rejoint la France. Et là, il se heurte à un problème bien connu par tous les étudiant en médecine : impossibilité de travailler si vos diplômes de santé n’ont pas été passés en France.
Binta TRAORE, la fille du doyen Ladji, maintenant Docteur au Nigéria je crois, en sait quelque chose. Elle était à l’époque la trésorière de l’Association des Mauritaniens de Toulouse.

Après plusieurs années de galère, c’est une clinique à Toulouse qui finit par découvrir les talents de fin psychologue des relations malades/soignant de Mamoudou. C’était l’un des axes de sa formation au Maroc, cela collait parfaitement avec sa personnalité, son humanisme.
Il disait souvent qu’il faut tenir en premier lieu du « système de valeurs » de l’individu, une expression qui nous faisait rire tellement elle revenait sur ses lèvres à chaque fois qu’on discutait avec lui. Mamoudou a toujours été très proche des personnes fragiles, les pauvres, les sans-abri et les malades sont ses plus nombreux amis. Je l’appelai l’abbé Pierre. Il m’est arrivé de lui conseiller, pour sa sécurité, de ne pas accueillir ou héberger des gens qu’il ne connaissait absolument pas. Il me rappelait alors mon propre cas d’étudiant pommé et sans le sou et la joie que j’avais ressenti en rencontrant en plein hiver le premier mauritanien à Toulouse. C’était lui, on s’est croisé tout à fait par hasard et il m’adopta comme son fils. Que serait-il advenu du non boursier que j’étais si je n’avais pas cette assurance de trouver au moins une maison aux portes béantes 24h/24 dans cette grande ville dite « rose » mais pas toujours chaleureuse ?
Cérise sur le gâteau, j’avais en plus les clés de sa maison, celles de Ibrahima Ndiaye, un ex inspecteur de Police malgré lui. Ibrahima, Mamoudou et Hamidou étaient inséparables à Nouakchott dans les années 80.

Avec la disparition de Mamoudou, c’est la Mauritanie qui perd l’un de ses plus grands éducateurs sociaux. Il était pédagogue, intelligent, fin et s’adaptait à tous les milieux socioculturels. C’était le point focal des communautés africaines de Toulouse.

Sa vie est un exemple. Après sa longue traversée du désert, il a eu une situation très confortable, il gagnait quelque milliers d’euros par mois. De quoi se construire une maison, s’assurer un bon capital retraite et rentrer à Haeré Goléré, son village dans le Brakna.

Il nous reviendra par avion cette semaine, sans vie. Sans vie ? Non, cet homme a intensément vécu en redonnant aux pauvres tout ce qu’Allah SWT lui donnait par sa grâce.

Un grand hommage lui sera rendu par SOS DISCRIMINES qui fera de lui son premier membre fondateur. Ce n’est pas à titre symbolique, un grand lutteur contre l’exclusion des faibles vient de regagner sa dernière demeure.

Je m’engage à vulgariser ses scènettes contre le SIDA dans les kebbas et partout où le sida tue en se servant de l’ignorance ou de la peur de savoir. Mais aussi à faire connaître ses travaux de fin d’études qu’il montrait à ses visiteurs comme pour leur demander une explication de son rejet par cette France qui refuse de le laisser travailler pour vivre dignement. Il batailla ferme pour ne pas être un assisté social. Ce grand humaniste nous exposait, sans termes techniques inutiles, comment soigner par la parole, la tendresse et l’attention ceux qui n’ont plus aucun espoir de guérison.

Monsieur Le Ministre de la Santé, votre appel au retour de nos cadres été un peu tard pour Mamoudou, il ne rêvait que de servir son pays mais le système que nous combattons était programmé pour l’exclure. Ce système avait jugé ce halpulaar, comme tant d’autres comme lui, était compétent et comprenait un peu trop la trajectoire que les autorités de l’époque voulaient insuffler à la Mauritanie, il fallait les exiler, les bouter dehors.

Espérons que d’autres infirmiers, médecins, chirurgiens, pédiatres, psychologues… trouveront dans votre appel les mesures d’accompagnement nécessaires pour s’extraire d’un exil qu’ils n’ont pas toujours choisi.

Avant de finir, j’adresse aussi mes condoléances à
- Son frère Oumar Guèye et à toute sa famille et au village de Haeré Golléré,
- Ses amis Hamidou Baba KANE et l’ex inspecteur malgré lui Ibrahima Ndiaye
- Toute la diaspora mauritanienne et africaine de Toulouse, particulièrement l’ex soldat malgré lui de la marin Fari DIALLO, Abou Alpha BA et Seydou Ndongo, pour ne citer que ceux là car la liste est longue.
- Aux anciens étudiants mauritaniens au Maroc qui l’ont connu
- A ceux que j’ai oublié de citer, Mamoudou connaissait tout le monde

La meilleure façon de se souvenir de Mamoudou est d’écouter Compay SEGUNDO, ce roi de la musique cubaine faisait pleurer notre cher Docteur.

Compay interrogé un jour sur le secret de sa longévité – il dansait et chantait à plus de 90 ans – répondit à peu près ceci : « Quand on me prépare un poulet très délicieux, j’en raffole mais je n’en mange qu’un petit bout. C’est pour que le désir d’en remanger soit encore plus fort le lendemain. il faut toujours laisser quelque chose pour demain. »

Vous avez compris, sinon remplacez le poulet délicieux par la vie.

Cher Docteur,
Cher ami, cher grand frère et cher père,

Tu es parti sans laisser de voiture, ni villa mais tu as laissé quelque chose pour demain mon grand. On se souviendra longtemps de toi.

Bien qu’il t’arrivait de souffrir, je ne t’ai jamais vu triste.

Bien qu’il t’arrivait d’être blessé, je ne t’ai jamais vu en colère. JAMAIS.

Ça c’est la grande leçon de vie que tu as légué à ceux qui ont eu la chance de t’approcher. J’avais prévu d’aller à la mer aujourd’hui, je crois que tu es d’accord pour que je ne change rien à ce programme, toi qui croquait la vie à pleines dents. J’espère que tu n’as trop souffert des séquelles de ton accident.
Yo alaahu subhaanahu wa taala yurmo yaafo maamudu


Nouakchott, samedi 20 fevrier 14h

Ciré KANE
Ancien Président de l’Association des Mauritaniens de Toulouse
GSM : +222 729 55 95

Source : www cirekane.blogspot.com


Toute reprise totale où partielle de cet article doit inclure la source : www.journaltahalil.com
Réagir à cet article
Pseudo
E-mail
Commentaire
Entrer le code
La rédaction de Tahalil vous demande d'éviter tout abus de langage en vue de maintenir le sérieux et de garantir la crédibilité de vos interventions dans cette rubrique. Les commentaires des visiteurs ne reflètent pas nécessairement le point de vue de Tahalil et de ses journalistes.
Les commentaires insultants ou diffamatoires seront censurés.

TAHALIL 2006-2022 Tous droits reservés