Nouvelle ordonnance sur la presse : Entre liberté et responsabilité Par M’Bareck ould Beyrouk   
13/06/2006

La liberté de la presse est désormais régie par une ordonnance plus libérale. Adoptée en Conseil des ministres le 7 juin dernier, cette loi responsabilise le journaliste, supprime et remplace le dépôt légal par un système déclaratif.

 



La nouvelle loi sur la presse était fort attendue. Il y avait longtemps déjà que l’ancienne législation née le 25 juillet 1991, était mise en cause .Considérée comme liberticide, elle était vilipendée aussi bien par l’opposition politique d’avant le 3 août que par les associations de presse et une large partie de l’intelligentsia. L’article 11 en particulier était montré du doigt comme sésame ouvrant la voie à tous les bâillonnements.
De fait, même les libertés offertes par l’ancienne ordonnance sur la presse étaient confisquées par une administration habitée depuis très longtemps par le syndrome de la censure. Si la loi de 1991, indique clairement par exemple l’absence de toute autorisation préalable avant publication, le ministère de l’intérieur avait vite transformé le dépôt légal en autorisation de fait. Ainsi le récépissé, simple constat de dépôt n’était délivré, s’il l’était, que plusieurs heures, voire plusieurs jours après la parution. De plus l’article 11 de par son imprécision offrait au ministère de l’intérieur de larges prétextes pour la censure.
Il est d’ailleurs étonnant que tout au long de ces années, l’interprétation de ce texte de loi ait été laissée à la seule initiative du ministère de l’intérieur et que les juges n’aient jamais exercé le droit qui leur appartient de dire et de préciser le droit.
Il est dans ces conditions tout à fait naturel qu’après le changement du 3 août, nécessité se fasse sentir d’enterrer un texte, largement discrédité aux yeux des acteurs politiques et des professionnels de la communication.
La nouvelle ordonnance sur la liberté de presse entérinée le 8 juin par le CMJD a tiré les leçons du passé. Elle a clairement pour ambition de permettre à la liberté d’éclore tout en répondant aux nécessités d’ordre public ainsi qu’à l’incontournable respect dû à la personne. Elle donne aussi de nouvelles garanties pour l’exercice de la profession de journalistes.

Le principe de liberté
Dès ses premières lignes, la nouvelle ordonnance souligne le principe général : liberté de presse. L’article 2 est tout à fait explicite : « le droit à l’information et la liberté de la presse, corollaires de la liberté d’expression, sont des droits inaliénables du citoyen. »
Ici donc le droit des citoyens à être informés rejoint un autre droit constitutionnel, celui de la liberté d’expression.
Il s’en suit donc que la liberté de presse ne saurait être à priori entravée C’est pourquoi l’article 9 de l’ordonnance stipule clairement : « tout journal ou écrit périodique peut être publié sans autorisation préalable et sans dépôt de cautionnement. » Cette liberté s’étend bien sûr à toutes les formes d’expression de la pensée : « l’imprimerie et l’édition sont libres » (article 7)
Mais la nouvelle ordonnance ne reconnaît pas seulement la liberté de presse. Elle considère cette dernière comme concourant à une mission d’ordre public : l’information des citoyens. Elle a donc droit au soutien de l’Etat. « L’Etat a le devoir d’aider les organes de communication qui contribuent à la mise en œuvre du droit de tous à l’information » (article 31)
Ainsi au-delà de l’affirmation de la liberté est ici soulignée la nécessité de donner à cette liberté les moyens de s’épanouir. C’est pourquoi le législateur s’est penché également sur le vecteur de cette liberté, le journaliste.

Le vecteur de la liberté
Le journaliste mauritanien, on le sait, est une façade bien ravinée de la presse .Sous- formé, sous-payé, il ahane la majeure partie du temps derrière des informations introuvables et vit souvent de petits expédients, voire de corruptions mineures qui altèrent aussi bien sa façon de voir que son image devant le grand public. De plus, exercer la fonction de journaliste ne demande ici aucune formation, aucune culture, aucun talent. Il suffit simplement de remuer un petit récépissé d’une autorisation de journal improbable et le tour est joué : on s’auto proclame journaliste, voire directeur de publication.
La nouvelle ordonnance sur la liberté de presse se penche heureusement sur cet état. Elle définit d’abord la fonction de journaliste : « est considéré journaliste professionnel toute personne ayant pour activité principale rétribuée la collecte, le traitement et la diffusion d’informations ». Le terme « activité principale » est important comme l’est le participe « rétribuée ». Le journaliste professionnel doit donc être forcément salarié et ce n’est point un employé de banque, un instituteur ou un chauffeur d’organe médiatique qui devra à l’avenir arborer une carte de presse. D’ailleurs les modalités et les critères d’attribution de la carte de presse seront, comme la profession de journaliste, organisés par décret (article 6).
Le journaliste est aussi protégé au sein de l’entreprise qui l’emploie. Finie donc cette vieille habitude des organes privés consistant à ne point avoir de vrais salaires : « une convention collective de travail régit les rapports entre employeurs et employés des organes médiatiques » (article 6).
La nouvelle ordonnance protège également les journalistes en imposant implicitement aux organes médiatiques de devenir de vraies entreprises. Ainsi l’article 4 définit ainsi la presse en Mauritanie : elle « englobe tous les organes médiatiques dans lesquels sont employés ou collaborent des journalistes (article 4). Il est donc bien entendu que la presse même privée doit être le fait de véritables institutions. Cela devient même incontournable, car la déclaration de parution devant être faite au parquet avant publication de tout journal ou périodique devrait comporter entre autres indications les « statuts de l’institution qui publie le journal ou le périodique » (article 11).

La déclaration de publication et le dépôt légal
Il est évident que la liberté ne rime guère avec permissivité et que toute publication doit informer les autorités publiques de sa parution.
Ainsi tout journal ou périodique devrait déposer à sa naissance devant le parquet ou le tribunal compétent une « déclaration de parution »contenant les éléments suivants :
le titre du journal ou écrit périodique et son mode de publication
Le nom et l’adresse du directeur de publication
Statuts de l’institution qui publie le journal ou le périodique
L’indication de l’imprimerie où il doit être imprimé
Le tirage moyen prévu
La périodicité
Le nombre et les noms des journalistes, secrétaires de rédaction, photographes, maquettistes, pigistes, collaborateurs
Une déclaration sur l’honneur de la véracité des informations fournies.
Cette déclaration de publication a ceci de particulier qu’elle est déposée devant le Parquet et non le ministère de l’intérieur comme prévoyait l’ancienne ordonnance. Elle est également assez exhaustive et impose implicitement comme on l’a dit aux journaux de disposer d’un véritable personnel et de se transformer en véritables institutions.
En cas de non respect de cette clause, l’ordonnance prévoit des amendes pouvant aller jusqu’à 900.000 ouguiyas par numéro publié. Ce n’est pas peu.
Toute nouvelle livraison, devrait aussi faire l’objet d’un dépôt légal. 2 exemplaires devraient être livrés au parquet de la république et à la bibliothèque nationale si la publication parait à Nouakchott, ou auprès des procureurs des tribunaux dans les wilayas, sinon à défaut, auprès des maires.
Mais l’ordonnance prévoit ici une nouvelle libéralité : ce dépôt ne constitue nullement « une condition préalable à la parution ». Les journaux ne seront donc plus obligés de faire le pied de grue devant les portes d’une administration tatillonne, attendant un récépissé qui arrive tard et ne vient parfois pas. C’est là pour les journaux une des plus importantes innovations de la nouvelle ordonnance. Elle permet la célérité de l’information. Elle donne plus de liberté au journaliste qui sent moins au dessus de la tête, le couperet de la censure.

Le droit d’autrui
Le droit protège bien sûr la vie privée et l’honneur des citoyens. La presse ne pourrait avoir latitude à traîner sans preuve la réputation de chacun. L’ordonnance sur la liberté de presse a aussi comme mission de protéger, contre les empiétements des médias, les droits individuels, eux aussi garantis par la constitution.
Ainsi le droit de réponse est-il assuré et réglementé. Il concerne « toute personne nommée ou désignée dans le journal » et doit être publié « dans les trois premiers jours de sa réception » (article 17) sous peine de fortes amendes. Ce délai de trois jours est même ramené à 24 heures en période électorale.
L’ordonnance protège également les citoyens contre les diffamations et l’injure par voie de presse. L’article 37 donne à cet égard une large définition de la diffamation : « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ». Cette allégation est réputée diffamatoire même si elle est faite « sous forme dubitative ou si elle vise une personne non expressément nommée, mais dont « l’identification est rendue possible ».
L’injure est elle aussi clairement définie : « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ».
La vérité du fait diffamatoire peut être prouvée quand il s’agit de fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction ou d’administrations publiques. Par contre, elle ne saurait être entendue lorsque l’imputation concerne la vie privée, des faits remontant à plus de dix ans ou des actions prescrites ou amnistiées.
La diffamation et l’injure font partie des rares infractions à l’ordonnance punit non seulement par une amende mais aussi par l’emprisonnement. Celui-ci peut atteindre jusqu’à 6 mois si la diffamation ou l’injure ont un caractère racial, ethnique, régional ou religieux.

Infractions à l’ordre ou au respect dû à l’autorité publique
La nouvelle ordonnance comme d’ailleurs presque toutes les législations de presse prévoient des sanctions contre les atteintes à l’ordre public commises par voie de presse ou les injures et diffamations portées contre les autorités publiques et le personnel diplomatique étranger.
Ainsi l’offense au président de la République est punie d’une amende allant de 200.000 à 2 000 000 d’ouguiya. Cette protection s’étend aussi à la « la personne qui exerce tout ou partie des prérogatives du président de la République (article 35).
La provocation aux crimes et délits est bien sûr sévèrement réprimée (jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 5 millions d’amende).
Mais le plus marquant dans la nouvelle ordonnance c’est le droit accordé au ministère de l’intérieur et aux autorités locales « d’ordonner par arrêté motivé la saisie administrative de tout numéro de journal ou écrit périodique dont la publication porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à l’Islam, au crédit de l’Etat, à nuire à l’intérêt général, à compromettre l’ordre et la sécurité publics (article 35). Des dispositions qui rappellent celles édictées par le fameux article 11 de la vieille ordonnance. Mais ici, la différence est de taille, car l’arrêté du ministre de l’intérieur ou des autorités locales est susceptible de recours devant la Chambre administrative qui doit statuer dans un délai de 24 heures.

Responsabilité de la presse
Ainsi donc, la nouvelle ordonnance consacre non seulement le principe de liberté de presse, mais elle fait des tribunaux ,donc de la loi,la véritable autorité de tutelle des médias et les protége ainsi contre les empiétements possibles de l’exécutif.
Cette nouvelle ordonnance de la presse impose aux médias et aux journalistes une véritable reconversion. Il était d’ailleurs temps de clore cette trop longue période de dilettantisme, de tâtonnements et d’excès en tout genre qui nuisaient gravement à la respectabilité de la profession. Aujourd’hui est venu le temps du professionnalisme, de l’engagement véritable en faveur de la communication, de l’information sacrée et de la libre opinion.
Les chartes déontologiques sont légion qui imposent aux journalistes des credo et des déclarations sur l’honneur. Mais jamais une charte si elle n’est accompagnée d’un engagement général de la profession n’a réussi à assurer le respect des règles d’un métier. Ce qu’il faut à la presse, c’est d’abord l’émergence d’un esprit de responsabilité qui fait du journaliste le gardien vigilant des institutions démocratiques et le garant impartial d’une information juste et équilibrée. Et là il serait à mon avis fort pompeux et très idéaliste de brandir à tout bout de champ le fameux principe d’objectivité. Celle-ci est souvent du domaine de l’illusion, car il est pratiquement impossible pour un journaliste de se départir de son éducation, de ses convictions, de ses sentiments subjectifs, de son moi profond. L’objectivité reste bien sûr un but à atteindre, un état vers lequel on tend indéfiniment, mais la véritable exigence, celle d’aujourd’hui et de demain reste à mes yeux celle d’honnêteté, de bonne foi. La future autorité de régulation de la presse prévue par la nouvelle ordonnance saura, nous l’espérons, peser sur les consciences des journalistes et construire un espace médiatique libéré des pesanteurs du passé.
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