Interview : Docteur Cheikh Ould Hannena, prĂ©sident de SAWAB   
29/05/2006

«Les symboles de la mauvaise gestion ne peuvent pas être les vecteurs du changement souhaité».

Médecin de formation, le Docteur Cheikh Ould Hannena est le président du parti Sawab, un parti pionnier dans la revendication de l’alternance et de la limitation du nombre des mandats présidentiels.



A l’issue de la naissance d’une nouvelle Coalition des Forces du Changement qui regroupe en plus de Sawab, 10 autres partis, TAHALIL HEBDO, l’a rencontré. Entretien..

Tahalil Hebdo : Vous venez, avec d’autres partis, de créer une coalition regroupant 11 partis politiques pour barrer la route au retour de l’ancien régime et pour jeter les bases d’une action politique commune. Pourquoi une telle coalition ?

Dr Cheikh Ould Hannena : A Sawab, nous avions toujours appelé à un véritable Etat de droit, un Etat démocratique. Nous estimons qu’il est de l’intérêt des forces du changement de s’unir. Car les forces oeuvrant au retour de l’ancien système sont encore puissantes. D’abord, en raison des grandes ressources matérielles acquises illégalement, ensuite parce que le vrai changement n’a pas touché véritablement l’administration. Les symboles de la mauvaise gestion sont toujours en place. De même, le maintien des municipalités a été d’un grand encouragement pour les forces symbolisant l’ancien régime. Ces forces continuent à dire aux citoyens ordinaires que rien n’a changé pour elles.
En plus, il faut tenir compte de la structure tribaliste et régionaliste de notre société ainsi que la possibilité d’acheter des voix en raison de la pauvreté. C’est ainsi que nous avons estimé que les forces du changement doivent conjuguer leurs efforts pour barrer la route au retour du régime déchu et pour qu’il y ait une vraie alternance au pouvoir. L’alternance au pouvoir ne veut pas dire une alternance entre deux personnes issues d’un même système. L’alternance c’est le changement de système de gestion de l’Etat.

T.H. : A quoi servirait-il de s’unir pour barrer la route au retour de l’ancien régime, s’il n’y a pas accord de votre coalition sur la période transitoire et sur l’après période transitoire ?

C.O.H. : La coalition est à ses débuts. A Sawab, nous sommes prêts à faire toute sorte de concessions possibles pour sa réussite. Evidemment chacun sait qu’il est différent de l’autre pour la simple raison que chacun a son parti. Seulement au vu de l’intérêt général, il doit y avoir des concessions pour un programme concerté, afin de trouver des solutions aux questions essentielles. Les forces de changement doivent se faire des concessions. C’est le bon sens.

T.H. : Dans le cadre de cette coalition, où en êtes-vous avec la création d’une coordination, la désignation d’un président, de listes communes, le report de votes en cas de passage au second tour lors de la présidentielle d’un candidat membre de la coalition?

C.O.H. : La coalition vient d’être portée sur ses fonds baptismaux. Il n’y a pas eu encore d’accord sur les points que vous avez soulevés. L’ensemble des partis membres de la coalition est d’accord sur les principes. Il faut attendre encore quelques semaines pour répondre à cette question.

T.H. : Un groupe des 5 partis (dont Sawab l’APP et le FP) étaient pourtant d’accord sur les points soulevés

C.O.H : Ce que vous appelez le groupe des 5, n’est pas une coordination. Ce groupe a présenté à d’autres partis, sa conception préliminaire d’une action politique commune. Evidemment nous n’étions pas attachés à cet avant projet, soumis à la discussion à l’amendement, à l’enrichissement ou au rejet. L’essentiel était de réunir les forces du changement en une coalition face au danger que représente le retour de l’ancien système.

T.H. : La nouvelle coalition des forces du changement ne constitue-t-elle pas une nouvelle Coalition pour une Alternance Pacifique (CAP) ou mĂŞme un nouveau Front DĂ©mocratique Uni pour le Changement ?

C.O.H. : Il s’agit d’une coalition des forces du changement qui sera édifiée sur des bases transparentes et d’un programme commun. Mais l’essentiel est que, toutes les questions importantes pour le pays soient débattues et fassent l’objet d’un consensus.

T.H. : Qu’est-ce qui peut compromettre le succès de la phase transitoire que nous traversons aujourd’hui ?

C.O.H. : Sur les différents champs de la transition, nous estimons que concernant le processus politique, le CMJD a respecté ses engagements. Concernant la bonne gouvernance, il n’y a pas eu de mesures assez significatives.

T.H. : Qu’est ce qui vous fâche sur la gestion du dossier de la bonne gouvernance ?

C.O.H. : Il fallait que les responsables de la mauvaise gestion soient écartés des postes de responsabilité. Il fallait aussi choisir les nouveaux responsables conformément à des critères de compétence et d’engagement en faveur du changement. Les symboles de la mauvaise gestion ne peuvent pas être les vecteurs du changement souhaité.

T.H. : Pouvez vous nous donner des noms des personnes symbolisant la mauvaise gestion ?

C.O.H : Non, je préfère ne pas citer de noms.


T.H. : Nous avons de nombreux partis politiques. Certains ont un discours, une structure, d’autres n’ont ni l’un, ni l’autre. Comment se fait-il que les USA avec plus de 200 millions d’habitants ont deux partis politiques et la Mauritanie avec trois millions d’habitants dispose de 50 partis politiques ?

C.O.H. : C’est parce qu’il n’y avait pas de pluralisme en Mauritanie. C’est maintenant que les mauritaniens sont appelés à choisir en toute liberté. Avant le 03 août, le parti était un instrument personnel. Quand il y aura l’ancrage d’une vraie démocratie, les partis qui ne répondent pas aux normes vont disparaître.

T.H. Où en êtes-vous en ce qui concerne la concertation sur une clé de répartition du financement des partis politiques ?

C.O.H. : C’est le statu quo. Nous avions à la demande du ministère de l’intérieur fait nos propositions. Nous avions fait comme d’autres partis. Dans notre proposition, nous avons dit que compte tenu de l’absence de critères objectifs d’évaluation des partis politiques, le préfinancement dans la phase électorale doit être égal pour tous les partis .

T.H. : Et l’initiative du NDI ?

C.O.H. : Le NDI tente de trouver un compromis à travers des propositions concernant le financement de la campagne électorale sur la base de l’engagement des partis à avoir des sièges fonctionnels, à présenter des listes à un certain taux au niveau national.

T.H. : Avez-vous des inquiétudes par rapport au processus transitoire ?

C.O.H. : Nous devons tous avoir à l’esprit que la période transitoire est cruciale pour l’avenir de notre pays. C’est pourquoi nous avons tous intérêt à éviter tout ce qui peut perturber le processus de transition et à conjuguer nos efforts pour éviter l’éparpillement.

T.H. : Vous appréciez positivement la gestion du processus politique, vous avez exprimé vos réserves sur la bonne gouvernance. Quelle évaluation faite vous de la réforme de la justice ?

C.O.H. : La réforme de la justice malgré les bruits soulevés, a été marquée par des mesures positives. Le recrutement de profils de haut niveau prévu par les nouveaux textes et la création de centres de perfectionnement constituent des mesures positives parce que les magistrats doivent être compétents sur tous les plans.

T.H. Comment votre parti analyse-t-il la situation économique à un moment où l’on parle de crise de liquidités ?

C.O.H. : Nous déplorons la baisse de niveau de vie et du pouvoir d’achat des populations. Ce qui est contradictoire avec le constat que la valeur de la monnaie nationale s’est renforcée par rapport aux devises. Ce qui devait se traduire par une baisse des prix parce que nous consommons de «l’importé». Je ne comprends pas pourquoi les prix des produits importés connaissent des hausses perpétuelles.

T.H. : Les fonctionnaires veulent également des valorisations de salaires. C’est la tendance générale. Qu’est-ce qui garantit que leur rendement va lui aussi s’améliorer.

C.O.H. : Il faut revaloriser les salaires mais il faut instaurer le principe de la sanction et de la récompense.

T.H. : Le secteur de la santé – votre secteur, vous êtes médecin-, traverse une situation marquée par l’incompétence et le manque de dévouement, ainsi que la présence sur le marché des médicaments falsifiés. Qui en est responsable ?

C.O.H. : Je pense que les médecins fournissent un grand effort dans un contexte difficile. Ils vivent des situations difficiles. Le problème des médicaments ne concerne nullement les médecins. Il faut créer en Mauritanie un laboratoire d’analyse des médicaments pour que leur source puisse être déterminée.

T.H. : Pourtant tous les équipements d’un laboratoire d’analyses des médicaments sont en Mauritanie depuis quelques années mais ne sont pas utilisés.

C.O.H. : Il faut mettre en place ce labo. Il faut que l’Etat joue son rôle.


T.H. : Sur le plan humanitaire deux dossiers sont en suspens. Le passif humanitaire et la plainte déposée contre l’ancien président devant la justice belge. Qu’en dites vous ?

C.O.H. : Toute atteinte aux droits de l’homme est un problème de justice qui doit trouver une solution devant une justice indépendante et crédible, loin de la politisation. Concernant la plainte contre l’ancien président, j’estime que cette plainte aurait dû être déposée devant la justice mauritanienne.

T.H. : Sawab, lance-t-il le mot d’ordre pour le vote en faveur de la constitution le 25 juin prochain ?

C.O.H. : Nous voterons et appelons à voter en faveur de la constitution du 25 juin. Mais nous avons des réserves. Elles sont relatives aux pouvoirs concédés au président de la République. Nous pensons aussi que la limitation du nombre des mandats permet l’alternance au sein d’un même système. Et notre nouvelle constitution est atypique. Elle n’est ni semi-présidentielle ni parlementaire. Nous ne savons pas comment le futur président va traiter avec une éventuelle majorité parlementaire non présidentielle.

T.H. : Pourquoi alors appeler Ă  voter pour le projet de la constitution ?

C.O.H. : Nous votons la constitution compte tenu du caractère crucial de la phase que nous traversons. Il faut que la Mauritanie dépasse cette phase.

Propos recueillis par Isselmou Ould Moustapha


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