MĂ©moire nationale : La tombe inconnue   
16/05/2006

En février 1936, un détachement colonial de la Compagnie Automobile d’Atar a découvert, prés de Lemgheiti, un monument qui comportait, outre une chambre funéraire, plusieurs compartiments supposés «avoir pu représenter des lieux de prière et d’offrande». Le tout forme une sépulture antéislamique susceptible de nous renseigner sur ces civilisations bien mortelles qui n’ont laissé dans l’immense espace désertique de l’actuelle Mauritanie que d’insignifiantes traces.



Il se peut que le géant, honoré par les siens et qui repose, depuis des siècles, dans l’impressionnant silence du tombeau fut le symbole d’une ferveur patriotique dont bien de générations postérieures ne purent que rêver.
Ironie de l’histoire, c’est tout prés de cette tombe inconnue que nos paisibles soldats ont été victimes d’un lâche massacre dont la revendication, par le groupe «salafiste» pour la prédication et le combat, n’a jamais été démentie.
De nos jours, il suffit, malheureusement, de fouiller dans l’irrationnel des ambitions politiques pour se rendre compte que la mémoire, susceptible de perpétuer la Nation, semble tragiquement affectée.
Il est vrai, qu’en son temps, la barbarie précitée a soulevé une quasi unanime indignation et qu’à des rares exceptions les différentes mouvances de la classe politique, ont signifié, avec la dernière salive de leurs nombreux manifestants, l’expression d’un patriotisme des plus distingués.
Mais en dehors de cet élan circonstanciel, il est bien permis de se demander si eu égard à l’indispensable devoir national de mémoire, le discours politique reflète, en permanence, un réel consensus sur la culture patriotique.
En fait, la question aussi grave que cruelle qui se pose, aujourd’hui, est de savoir s’il y’a dans l’histoire, dans l’actualité, ou dans les projets relatifs à l’avenir commun du peuple mauritanien, un symbole, un évènement ou un homme du destin qui suscitent l’enthousiasme à un niveau rassurant.
Il n’est pas déplacé de préciser que ce triste constat ne vise nullement à apporter de l’eau au moulin de l’inutile auto flagellation ni, d’ailleurs, à appuyer les jugements négatifs du populisme vulgaire, lequel génère des généralisations, à la fois, injustes et excessives.
De science certaine, il est, en effet, admis que quand la politique cesse de produire l’espérance, elle devient une coquille vide dépourvue de l’intérêt qu’implique l’action.
A cet égard, l’optimisme qui consiste à faire songer au moment apaisé, dans lequel «de nouveaux équilibres doivent pouvoir s’établir», s’impose aux politiciens soucieux de servir la patrie.
Au demeurant, il y’a quelque chose de non identifié qui incite à l’engagement politique et que nous aimons tous dans ce pays immense par l’étendue de son territoire mais intime par la parenté qui lie sa minuscule population, désertique par les sables qui l’envahissent mais fertile par les richesses spirituelles et matérielles qu’il possède, pauvre par son affreux sous développement mais digne en vertu d’une certaine réputation, il est vrai, quelque peu ternie par d’ignobles pratiques.
C’est, néanmoins, sur ce point précis qu’il faudrait agir ensemble pour restaurer, au plan politique, un esprit de dignité susceptible de fixer des repères pour la mémoire nationale laquelle fait, à présent, figure d’une véritable tombe inconnue.
Le malheur de notre classe politique est qu’elle n’a pas su cultiver une perception, réellement unifiée, des valeurs fondamentales dignes d’être défendues. Cette carence structurelle constitue un obstacle à la sérénité des débats.
S’il arrive, de temps en temps, que nos ambitieux politiciens affichent un faux- semblant d’unanimité sur les grands desseins qui poursuivent la longue durée, c’est uniquement en raison des petits calculs liés à un moment bien éphémère.
A l’opposé de la plus part des élites des autres nations soudées autour d’un évènement majeur, heureux ou tragique, d’une personnalité charismatique qui symbolise l’unité nationale ou d’un dispositif institutionnel protecteur et bien ancré dans les mentalités, nous sommes, il faut l’admettre, les héritiers du désordre –la seyba- qui, des siècles durant, a régné dans notre environnement.
Si dans l’état actuel de l’évolution des idées politiques, il semble que notre passé nous divise et que nous sommes, pour autant, condamnés à construire un avenir commun, il faudrait bien trouver le moyen d’écrire une mémoire qui nous unit.
A cette fin, l’idéal serait de se fixer comme objectif prioritaire un réel consensus autour des fondements nationaux mais dans ce domaine, les passions n’ont pas encore été, malheureusement, assoupies.
Qu’il s’agisse du champs religieux, particulièrement, miné, de l’unité nationale susceptible d’être piégée ou de l’Etat de Droit lequel, en dépit d’une certaine évolution controversée, demeure, globalement, abstrait, les pratiques politiques reflètent, souvent, une caractéristique incapacité d’imagination laquelle laisse le champ libre aux deux versants d’un même fléau : L’extrémisme et la frilosité.
Il serait bien facile de se rejeter, aux figures, la responsabilité de l’immobilisme qui enchaîne le pays et d’en faire, notamment, la raison première d’un procès sensationnel du passé, mais pour que le jugement escompté puisse s’inscrire dans le destin de la nation, il faudrait qu’il se transforme en croyance commune. En la matière, les défaillances des pouvoirs qui se sont succédés n’exonèrent, nullement, la classe politique de ses responsabilités.
En effet, les drames qui ont, à travers tout le passé de l’Etat national, secoué notre fragile cohésion et qu’il faudrait, tôt ou tard évacuer, sont d’ordre politique, avant d’être culturels ou raciaux. Ils sont, en partie, la conséquence inéluctable de l’apologie de la haine et de la violence. Ils ont été, le plus souvent, une matérialisation d’un désastre idéologique qui a profondément paralysé notre pays. C’est de ce point de vue que le devoir de mémoire doit, absolument, être rédigé de manière consensuelle.
Pour qu’il soit national, ce devoir devrait, impérativement, cesser d’être la musique exclusive d’une troupe ou l’expression d’un exhibitionnisme sélectif de la souffrance qui altère négativement l’action politique.
Il revient à celle ci de contribuer, dans un esprit de responsabilité à fixer des repères communément admis et dignes d’une mémoire susceptible de nous unir. Cette mémoire unificatrice sera, en tout état de cause, nationale ou ne sera pas.

Par Abdel Kader Ould Mohamed
Juriste, ancien Secrétaire d’Etat


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