Les Mauritaniens ont tous l’âme commerçante. C’est avéré. Il y’a ceux qui s’y adonnent par métier, ceux-là tiennent boutique. Il y’a les itinérants qui négocient dans les salons des villas et sur les lieux de travail. Et puis, il y’a les ambulants. Ces derniers, on les retrouve surtout aux abords et dans les allées des marchés de Nouakchott.
Ils bravent le vent, le froid, le soleil, les flics et…les regards.
Il est 18 heures trente ce vendredi 27 février 2009. Un vent frais fouette les visages et enhardit les frileux sur l’opportunité de bien se terrer au chez soi. Mais au croisement des marchés 5ème et marché 6ème comme on les appelle communément, le temps n’est pas aux loisirs. Comme à son habitude, ça grouille fort de partout. On aurait pu penser que du fait du week-end, la place soit déserte, mais que non ! La rue bitumée qui sépare les deux marchés est envahie par une marée humaine. Ce qui frappe l’esprit et tout de suite, c’est le nombre impressionnant d’hommes debout, les bras chargés de mille et une choses hélant les clients et courant dans tous les sens. Difficile de ne pas cogiter sur cet univers où ne règne aucune logique. Seul le fortuit détermine ce monde. Chaque matin, ils se positionnent et comptent sur leur bonne étoile pour assurer quelques billets d’argent. Ce qui est sûr, c’est que ça n’est pas gagné d’avance. Un jeune homme d’une vingtaine d’année, les épaules disparaissants sous une pile de robes répondant au prénom de Sid’Ahmed édifie : « moi, je m’appelle Sid’Ahmed, je vivais en campagne, voilà deux ans que je suis venu à Nouakchott. Mes proches m’ont encouragé à faire cette activité vu que je n’avais pas de métier. Je peux dire que je vis de cela ainsi que tous ceux que vous voyez autour de moi. Le travail n’est pas difficile mais il ne rapporte pas beaucoup et je dois dire que la mairie et la police ne font rien pour nous comprendre, on court tout le temps pour les semer.» L’homme s’éloigne par la suite vers un groupe de femmes. Des clientes potentielles probablement! Devant le nombre important de marchands ambulants présents dans cette partie du marché, il est tout autant difficile de ne pas songer à la férocité de la concurrence.
Mais, où sont passés les clients ? Ils sont partout et proposent du tout. Le nombre est plus compact dans la bande qui va de la rue bitumée jusqu’au marché 6ème. Cela ressemble à un long fleuve sur le lit duquel se meut des poissons de plusieurs espèces. Ici et là , ce sont les marchands de montres, de lunettes, de chaussures, de parfums bon marché, de vêtements. Ce qui est singulier et qu’on ne peut occulter, c’est la profusion des articles. C’est notable. Comme s’il en pleuvait ! Il faut toutefois noter que c’est la pacotille qui tient le haut du pavé. Oui, les produits d’origine chinoise sont là et défient toute concurrence par leur bas prix. Toutefois, ça n’est pas la grande ruée. Sur l’allée passante du marché 6ème, ce passage où l’on peine à trouver un chemin, les marchands ambulants sont là , désappointés. Ils font le pied de grue pour certains depuis les premières heures de la journée mais, les affaires se font rares. Ils ont chacun opté pour un créneau qui va du plus inspiré au plus saugrenu. Ne vous y fiez pas, chaque article trouvera preneur. Cela va du tapis de prière au sachet de plastique ; des bijoux de pacotille aux étuis de téléphones portables. Amadou Babayel, traînant l’attirail du colporteur croulant sous le poids de son fardeau, s’arrête pour éclairer : « Il est de plus en plus dur de faire le métier de marchand ambulant maintenant. La crise a comme frappé les gens. Ils passent et repassent et n’achètent plus. Ils ne font que demander les prix. Personne n’achète plus comme avant. Comme si cela ne suffisait pas, les boutiquiers que vous voyez nous empoisonnent la vie. Ils nous interdisent de nous arrêter sur ce passage comme s’il leur appartenait. Moi, je vends des objets dont les plus chers sont ces chapelets à 400 ou à 350 Um. Comment voulez-vous que je prive d’aussi gros marchands de gagner de l’argent ? De toutes les façons, ce que je gagne me permet juste de vivre. Qu’ils pensent à Dieu et nous laissent vivre. »
Mais, ils sont partout ! Une chose est certaine, c’est que où que l’on se trouve dans le périmètre du marché, on les croise. Leurs regards cherchent systématiquement les vôtres. Il suffit que vous les regardiez pour qu’ils vous supplient littéralement d’acheter de leurs marchandises. C’est à se demander ce que ces hommes gagnent dans ce commerce tant les prix qu’ils proposent sont parfois dérisoires. Certains prennent des risques en s’approvisionnant en articles difficiles à écouler de par la conjoncture actuelle où, beaucoup ne se contentent plus que de l’essentiel, réservant les dépenses importantes aux grandes occasions. Harouna Touré, autre marchand ambulant déambule en cette fin d’après-midi dans cette partie du marché que les clients quittent progressivement et confie, un brin, philosophe : « Il ne faut pas se risquer à beaucoup investir dans ce commerce. Avec un fonds de 5.000 UM, je prends trois tapis de prière à 300 UM pour les revendre à 350 ou 400 UM ; des ceintures à 200 UM pour un bénéfice de 50 à 100 UM. Je vends aussi du crédit sur des cartes de 10.000 où je gagne 200 UM sur chaque envoi de 1000 UM. Avec mes bénéfices, je dois beaucoup serrer la ceinture pour faire des économies. » Après avoir levé un pan du voile sur sa laborieuse vie, l’homme s’est évanoui dans les ombres du crépuscule. Dur, dur, une vie de marchand ambulant. Biri N’diaye
|