Ould Moctar Nech: «Les mauritaniens ne savent pas travailler sous la menace…»   
20/11/2008

Mohamed Nacer Ould Moctar  Nech, actuellement expert consultant indépendant, est un ancien responsable de la coopération avec l’Union Européenne en tant que Coordinateur de l’aide européenne au titre des différents instruments ( 1997-1999) au sein de l’administration mauritanienne. A veille de la date fatidique du 20 novembre 2008, nous l’interrogeons sur l’UE,  la France et les problèmes politiques du pays.



Question : Comment envisagez vous  l’évolution du dossier  Mauritanien à la veille de la date ultime du 20 novembre entre l’UE, l’UA et le HCE ?

Réponse : D’abord, je vous dis d’emblée que je ne m’attends pas à une décision spectaculaire de la part de l’UE et des autres partenaires internationaux.
L’Europe, cependant,  tout comme l’Afrique et les USA maintiendra ses injonctions de principe dans le sens  de l’obtention d’une solution acceptable par tout le monde, sans pour autant mettre en danger le fragile équilibre structurel du pays maintenu jusqu’ici, justement par la contribution, entre autres, des pays européens et leurs alliés qui tiennent à ne pas donner des signaux prononcés plus que de mesure aux parties prenantes du conflit  et à rester loin des positions  extrêmes. Pourquoi d’ailleurs voulez vous qu’il en soit autrement, ne voyez vous pas que la scène politique s’achemine de plus en plus vers l’apaisement ? On ne change pas une stratégie qui marche, pour une politique à risques, ce  qui est le cas des mesures coercitives auxquelles  une partie de la classe politique mauritanienne  s’attend comme une  bouée de sauvetage.

 

Question : pourtant ce n’est pas ce qu’affirme le chargé d’affaires américain….

Réponse : Je n’ai pas pris connaissance de cette déclaration, mais à mon avis, là aussi on s’éloigne des discours guerriers, notamment depuis l’avènement d’une nouvelle administration politique aux Etats Unis. La politique du bâton aiguise les difficultés plus qu’elle ne solutionne les problèmes. Les américains ont d’ailleurs  objectivement plus à perdre qu’à gagner en maintenant  ce  type de discours, car les mauritaniens ne savent pas travailler sous la menace.

 

Question : Et l’attitude de Sarkozy, et tous ces communiqués des affaires
Etrangères ?

Réponse : une telle réaction est bien journalistique…Tout se construit autour de ce qu’on peut dire ou écrire à un moment donné ! Mais vous avez raison,  le rôle de la France reste central dans le dénouement de cette situation politique  pour des raisons évidentes.
Je pense que la France connaît bien les tenants et les aboutissants de la crise actuelle. Au demeurant, la France a plus d’une raison d’être satisfaite de sa diplomatie, du moins je l’imagine. La paix civile est sauve ; la scène politique s’active tant bien que mal, même si on peut regretter très fortement que le Président Sidi  ne soit pas encore  totalement libre de ses mouvements, mais  les choses s’améliorent quand même… Même si les principaux protagonistes ne se parlent pas encore directement, il ne leur est pas interdit de le faire. On peut donc s’attendre à ce qu’ils le fassent au titre d’une décrispation graduelle mais certaine  du domaine politique. Les diplomates de tous les pays amis de la Mauritanie se déplacent d’un bout  à l’autre de la région, sans escorte, sans protocoles,  n’est-on pas en droit de se féliciter d’un tel climat porteur en termes politique et autres dans l’optique de régler définitivement la crise.

 

Question : justement comment voyez vous une telle solution ?

Réponse : J’avoue n’avoir pas la prétention de détenir les éléments d’une solution à cette impasse juridique et politique. Il est vrai, comme je l’ai dit bien avant dans vos colonnes, que notre constitution reste inachevée… le pole présidentiel garde la part du lion dans la structure textuelle de la constitution. En Mauritanie, on a tendance à s’adresser directement au chef et à négliger les autres fondements  de souveraineté du pays…
Savez vous que durant toute la crise, bien avant les évènements du 6  août, pas un acteur politique  du pays, Premier Ministre, Présidents des chambres, n’a pensé à consulter le Conseil Constitutionnel  sur les aspects qui le concernent, notamment  la procédure de convocation du parlement ou le principe d’une perspective de cohabitation du Président avec un parlement où il ne dispose pas de majorité. Il  sera de ce fait indispensable de chercher des correctifs  dans le sens d’un rééquilibrage. Je pense également que le suffrage direct pour élire le Président de la république  est inutile tout autant que coûteux.
En fait, le collège qui élit les députés et les sénateurs est le même qui élit le président ; S’il y a donc un maillon dans la chaîne à économiser c’est bien celui de l’élection du premier magistrat… Il est bien dommage qu’on en soit arrivé là pour le constater, mais  la démocratie, il faut l’accepter,  se construit palier après palier.

 

Question : pensez-vous que le HCE est digne de gérer la transition… ?

Réponse : Le HCE ne peut diriger tout seul la transition ; il doit en être partie prenante, car jusqu’à  présent l’armée  a agi au nom d’un arbitrage des institutions. La nouvelle constitution devra lui assurer une place  formelle  dans l’édifice constitutionnel afin  d’éviter des non dits de part et d’autre, des non dits  préjudiciables à l’avenir de la démocratie dans notre pays.

 

Question :  Vous  êtes donc optimiste ?

Réponse : Oui, je suis optimiste, car je connais bien mes compatriotes et je suis sûr que les choses reviendront au cours normal dans très peu de temps. Je suis sûr que le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi Å“uvrera  également dans cette voie,  malgré tout,  et qu’il ne se laissera pas influencer au delà d’une certaine limite  par la classe politique qui se réclame de ses idées ou des es principes. Les partenaires de notre pays ne failliront pas à la sacro-sainte règle  de préserver de la continuité de l’Etat, et donc, du service public, car ils ont vu ou vécu ailleurs  les  dangers que recèlent les politiques étrangères lorsqu’elles  reposent uniquement sur les tensions.
Il faut par ailleurs préciser que  les priorités  de la Mauritanie ne sont pas  essentiellement politiques en ce qu’elles doivent dans l’urgence et coûte que coûte trouver une place de choix pour tel ou tel homme politique: elles sont,  avant tout, économiques, sociales, car les populations ont grand besoin de se nourrir, de se soigner et d’éduquer leurs enfants. Elles ont besoin de pouvoir dormir et de se réveiller en sécurité, dans la sérénité.
Les aspects politiques ne peuvent constamment être mis en avant de la scène politico-économique. On ne vit pas que de politique, c’est valable partout.

 


Propos recueillis par MAOB

 


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