La raison du plus faux    
18/04/2006

A en croire une sagesse populaire, assez subtile dans son expression, "la vérité ne se dit pas tandis que le mensonge est prohibé".
Aux termes d’une aussi sombre prescription, se dessine une morale dans laquelle, la ruse finit, toujours, par l’emporter.
C’est dans le but d’illustrer un tel état d’esprit, jugé conforme à la loi du désert, que Marion Sénones, la fameuse compagne d’Odette du Puigaudeau, avait, lors d’un séjour effectué en 1936, collectionné des fables maures mettant en exergue des personnages animaux, lesquels, à l’instar de Mhamed, le chacal "rusé et beau parleur, sait se tirer à son avantage des pires situations"



Mais Sénones a relevé, également, le cas du sieur Abderrahmane, l’hyène qui symbolise la lâcheté, le vol, le cynisme et qui pousse la bêtise jusqu’à parler à son ombre, lorsqu’elle sort au clair de la lune. Ne marche pas ainsi prés de moi, lui dit elle. "Va devant ou passe derrière ! Comment réussirions-nous à voler si nous arrivons toutes deux ensemble ? Forcément, on nous verra ! ".
Le drame, c’est que, si, en raison de sa sottise, l’hyène disparut finalement de la faune nationale, confirmant ainsi pour l’imaginaire collectif l’idée que celui ci se faisait d’elle, une opinion bien répandue voit, de nos jours, dans tout politicien, "un Abderahmane" apparent ou caché..
Eu égard à la forte persistance de cette mentalité, il faudrait une évolution des esprits susceptible de réduire l exagération intimement liée au populisme vulgaire et il en faut davantage pour détruire bien d’impostures produites par un certain discours politique moralisateur.
Il faut dire que l’universalité du phénomène n’est plus à démontrer. Les vives tensions qui marquent notre époque traduisent, globalement, une grave défiance vis à vis de l’ordre politique mondial.
Tout se passe, malheureusement, comme si l’écart entre l’affirmation des idéaux abstraits et la pratique des violations du Droit des gens vide, aux yeux d’une bonne partie de l’humanité, le généreux vocable "communauté internationale" de son alléchant contenu.
Mais il semble que, d’une manière générale, les acteurs politiques de la dite communauté ( les puissants Etats), lesquels soucieux de protéger leurs intérêts nationaux font recours à des répréhensibles faux-semblants, bénéficient d’une indulgence qui ne s’applique pas au débat démocratique censé engager "tous les membres de la communauté nationale" ( Les pauvres citoyens ).
Or, à moins que l’on se résigne à admettre avec l’auteur de "la République" que ce qui caractérise l’esprit démocratique c’est qu’il "se contente de vagues promesses sans chercher à savoir si celui qui les formule est capable de les tenir !", il faudrait bien de l’imagination pour réconcilier le discours politique avec "la vérité".
Puis que celle ci, nous avertit le dicton populaire, est amère à entendre la question se pose, au niveau politique, de savoir si le débat, en cours, peut supporter toute la vérité
D’ailleurs partant du fait qu’aucun argument raisonnable n’est susceptible d’emporter l’adhésion de celui qui ne voit que ce qu’il veut bien voir, un autre proverbe invite à une sorte de fatalisme en ordonnant de ne pas "montrer le ciel à qui ne le voit pas".
Au bout de cette logique, la raison du plus faux conduit, souvent à la malicieuse adhésion fictive. Si dans l’absolu, il est difficile de parvenir à un consensus sur la notion même de la vérité, il n’est pas, cependant, illusoire de rétablir, dans le débat politique, l’esprit de vérité lequel semble, de nos jours, gravement déficitaire.
Dans la perspective de réduire ce déficit, la qualité qui reflète le mieux une ambition politique digne d’être respectée serait "de parler vrai et d’agir juste".
Mais cette louable qualité, jadis symbolisée, aux yeux des militants de la Nahda Alwatanya, par Feu Bouyagui ould Abidine qui "disait la vérité même contre soi", se heurte à l’envahissant réalisme sournois auquel les politiciens sont, plutôt enclins..
L’ambition de conquérir le pouvoir politique consiste, avant tout, à obtenir "le soutien" ou l’adhésion du corps social qui permet d’assurer la nécessaire légitimité. Or, une telle priorité se solde par un verdict sans appel selon lequel "la fin justifie le moyen".
Il en découle une irrésistible tendance au faux en vertu de laquelle l’astuce à toujours, le dernier mot. Et dont la dénonciation s’inscrit parfaitement dans la désormais classique "critique de la raison politique".
C’est, pourrait-on dire à ce niveau que se situe la ligne de démarcation qui sépare les influents politiciens froids et calculateurs des idéalistes qui ont une fâcheuse tendance à se prendre pour le nombril du monde.
S’il est vrai que les rêves et les fantasmes produits par ces derniers sont nécessaires pour contraindre les promesses politiques à tenir compte de l’exigence de vérité, il n’en demeure pas moins vrai que l’histoire universelle de ces promesses s’identifie à celle des illusions perdues.
Dans l’auto célébration dont nous avons le secret, il y a une forte tendance à feindre d’ignorer que même nos scrupuleux "ancêtres politiques les Almoravides" qui avaient promis de "Propager la vérité, de réprimer l’injustice, et d’abolir les impôts illégaux" ont commis, au sommet de leur puissance conquérante, le pire des autodafés à l’encontre de la lumineuse espérance produite par Abû Hamid Al ghazali.
Au chapitre des inévitables divergences entre l’esprit critique et les pratiques politiques, tous les pouvoirs qui se sont succédés en Mauritanie ont eu à faire face, dans des contextes totalement différents, à l’activisme des audacieux contestataires. Sévèrement réprimés ou sagement récupérés selon les cas, ces activistes minoritaires, de tous bords, apportent, à coup sur, une précieuse contribution au changement des mentalités.
Il faudrait, cependant, avant que l’Histoire ne se souvienne de toutes les bonnes œuvres controversées de la Mauritanie d’aujourd’hui, souligner qu’à lui seul le débat contradictoire initié dés 1991 s’est avéré, en définitive, bien prometteur. En ce sens qu’il s’est érigé contre la culture du non dit, qu’il a reflété les orientations, même timides, de l’opinion publique et qu’il a permis de consigner des déclarations politiques d’une grande utilité pour les archives nationales.
Mais l’approfondissement de ce débat d’idées suppose la rupture avec un état d’esprit dominant auquel nous avons, à des rares exceptions, succombé.
Il est temps, en effet, de reconnaître que les acteurs de l’indispensable débat politique se sont copieusement et suffisamment insultés et que ce chemin les mène à l’impasse des passions dans laquelle échoue, souvent, la manifestation de la vérité.

Par Abdel Kader Ould Mohammed - Juriste, ancien secrétaire d’Etat


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