Il y a quelque chose d’obscène dans cette obstination butée qu’ont nos militaires de vouloir encore s’autoproclamer grands acteurs d’une petite histoire éternellement réécrite ; celle de la confiscation du pouvoir. Sur les sentiers de l’abîme, la rhétorique est la même, la sémantique globale identique, celle du large abandon de tout principe de tenue ou d’exigence morale, et les mêmes petits rôles resservis avec plus d’effets de manche, et déclarations d’intention : ils ont compris qu’un peuple, trop longtemps humilié n’est plus capable de révolte.
Ils font semblant de partir, mais ubiquitaires ne font que changer de masque à l’occasion de l’évolution des rapports dans les casernes. Ce qui change finalement ce sont le faciès et le nom du régent. L’armée est classiquement une institution qui cultive comme valeurs, l’ordre, la discipline, et l’organisation, or l’institution militaire en Mauritanie est gangrenée par le népotisme, la corruption, l’incompétence, une désorganisation et un manque d’efficacité légendaire. Sur le principe, une déviation de ses valeurs cardinales de loyauté, honnêteté, désintéressement et sens élevé du sacrifice vers un instrument d’appropriation de l’Etat, de soumission des institutions et humiliation des individus, est injustifiable, inacceptable. L’héritage légué par 30 années de dictature militaire est écœurant : déstructuration du système éducatif à l’occasion de multiples réformes suicidaires, pillage des maigres ressources de la collectivité nationale, trucage éhonté des élections, exacerbation des différences communautaires, impasses politiques, et résurgences de conflits identitaires meurtriers. Ce n’est pas la vacuité du discours politique, ce n’est pas le peu de respect des lois de ce pays qui sont consternants, non c’est la polarisation des élites, c’est la diabolisation de toute morale politique fondée sur les principes immuables d’équité, d’égalité, d’alternance pacifique. Or le respect des lois, est le principe ultime d’émergence d’un Etat viable. Cette marche irrésistible vers le déclin de l’entité nationale, a été largement favorisée par l’absence d’âme, à très peu d’exception prés, de la classe politique, et ses errements multiples. Une classe politique qui n’a jamais rien récusé quand il s’agit d’un hypothétique partage des dividendes de la prébende politique, qui a marginalisé les élites et proscrit le discours structurant. En Mauritanie l’essence du politique se résume en deux mots et une attitude, les principes qui sont bafoués et le réalisme de s’agenouiller devant les détenteurs du pouvoir. Seulement aujourd’hui, l’Etat étant parti en vrille depuis assez longtemps, il s’agit de défendre la société contre les militaires et les fous furieux de l’allégeance, et autres pléthoriques colporteurs ambulants de comités de soutien. C’est cela qui peut éviter l’explosion, de toutes ces frustrations enfouies, de cette révolte qui couve dans l’autre Mauritanie ; celle des exclus, celle des humiliés, celles des pères pauvres et nombreux qui rentrent le soir sans le quignon de pain habituel et qui n’osent plus regarder leurs enfants dans les yeux, et contribuer à l’émergence d’un nouvel ordre démocratique. Au-delà de la simple aspiration légitime au changement efficient, le mouvement démocratique comme réalité de lutte politique, fait aujourd’hui face aux incohérences des multiples et interminables transitions militaires aussi bien dans son concept que dans sa matérialisation. Ces transitions devaient consacrer le renforcement des institutions, avec l’émergence de valeurs démocratiques nouvelles. Or à quoi sommes nous parvenus après 30 années passées de transition en transition ? A rien. On est resté « planté là » ; toujours au degré zéro de la politique et du développement, avec en prime le retour et la légitimation du rapport à l’individu, la société, l’Etat, et le pouvoir, par la force et la violence. Le débat aujourd’hui, sur la désignation de l’autorité légitime est une étape fondatrice du mouvement démocrate ; dont l’essence doit être de lutter contre la tendance immuable de domination de nos juntes militaires qui sont comme la malchance : quand elle est là , c’est pour longtemps. Et pointe à l’horizon un remake des années de braise, avec les assignations à résidence, les arrestations arbitraires, les faux complots permanents, le retour de la justice militaire, et l’Etat sécuritaire. On ne peut plus aujourd’hui sacrifier les idéaux universels de liberté, de justice et de démocratie sur l’autel des ambitions personnelles, et autres innombrables coups de force, et il est largement venu le temps, et la nécessité d’organiser un contrôle parlementaire de l’organisation de l’armée , de ses finances, et des promotions en son sein sur des critères de mérite et de compétence verrouillés. Les coups d’Etat n’ont jamais été, un moyen efficace de résolution des tensions politiques, mais une intrusion encombrante et insupportable, un facteur majeur d’instabilité politique, de régression économique et sociale, et un obstacle irréductible au développement. Nos «généraux » ne semblent pas avoir saisi que les mœurs politiques, et les usages universels ne s’accommodent plus des dictatures jumelles de celles de l’Amérique latine des années 40, ils ne semblent pas non plus avoir médité cette légendaire citation de G. Clémenceau, à l’exactitude proverbiale : «Il suffit d’ajouter "militaire" à un mot pour lui faire perdre sa signification. Ainsi la justice militaire n’est pas la justice, la musique militaire n’est pas la musique». Il est naturellement évident que la démocratie militaire n’est certainement pas la démocratie. Or, c’est à cette dernière, que la majorité de ce peuple aspire légitimement.
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