Séjour des étrangers en Mauritanie : Le goulot d’étranglement   
30/06/2016

«Ouf ! C’est époustouflant, c’est un vrai parcours du combattant ». Ces mots sortent de la bouche d’un migrant las de faire la navette pour réunir la paperasse exigée pour l’obtention de la carte de séjour. Au même moment, la course-poursuite continue au quotidian ...



...  entre police de l’émigration et étrangers « indésirables ». Comprenons ceux-là qui se trouvent en situation d’irrégularité vis-à-vis de la législation mauritanienne en la matière. Chasse à l’homme ou simple opération de contrôle de routine qui réunit trois corps de sécurité : police, groupement général de la sécurité routière et gendarmerie.  Sans compter la garde qui opère toutes les nuits.
La Mauritanie a instauré depuis mars 2012, une carte de séjour pour tous les étranges vivants sur son sol. Motif évoqué : sécurisation du territoire mais aussi besoin de savoir qui est qui et qui fait quoi en Mauritanie, ce pays d’une autre téranga (hospitalité). Depuis janvier 2013, les opérations de contrôle routinier ont démarré. D’abord à Nouadhibou, à 465 km de la capitale Nouakchott où des dizaines pour ne pas dire des centaines d’étrangers en situation irrégulière sont raflés, embarqués dans des bus et reconduits à la frontière Rosso via Nouakchott. Ensuite Nouakchott a pris le flambeau. Les étrangers notamment d’Afrique de l’Ouest très souvent, sont traqués et envoyés dans le commissariat de la compagnie de Bagdad devenu célèbre depuis bientôt trois ans à cause de ses détenus exclusivement composés d’étrangers noirs. Cette opération au faciès  ne laisse personne indifférent. Des Ong de défense des droits humains et certaines personnes éprises de  justice qui ne supportent pas ce traitement réservé aux interpellés et la façon de les interpeller, ont levé la voix pour dénoncer et condamner ce qu’elles considèrent comme un non respect des droits humains. Au sein des communautés d’Afrique de l’Ouest, c’est le désarroi. A qui la faute si la grenouille n’a pas de queue?


Un dossier  à fournir : le goulot d’étranglement
Dans une note produite par l’Agence Nationale de Recensement des Populations et des Titres Sécurisés (ANRPTS), il est clairement indiqué que le dossier de demande d’établissement de la carte de résident doit être composé d’une demande écrite, d’un passeport ou carte d’identité ayant une validité d’au moins 15 mois, un certificat de vaccination réglementaire pour les personnes nouvellement entrées en Mauritanie, un certificat médical récent attestant que le requérant n’est atteint d’aucune maladie contagieuse ou épidermique ou d’aucune infirmité le rendant inapte à travailler, une copie des documents d’identité des enfants mineurs vivant en Mauritanie, un extrait du casier judiciaire (renouvellement de la carte) et un certificat médical de moins de 3 mois. Il faut ajouter l’attestation de travail, le certificat de résidence pour certains cas et un document précisant l’adresse de résidence du demandeur. La note précise en outre qu’il faut séjourner 90 jours avant de songer à demander cette « précieuse » carte.  A Nouadhibou, selon nos sources, hormis les documents précités, il faut ajouter le certificat de mariage ou de célibat à se procurer au niveau du Cadi. Mais aussi pour les commerçant, un registre de commerce à obtenir auprès de la chambre de commerce et d’industrie de Nouakchott. Déplacement obligatoire sur Nouakchott.
Des milliers de demandeurs dont la plupart n’arrive pas à remplir ces conditions, se trouvent systématiquement dans l’irrégularité et par conséquent soumis au contrôle et reconduits à la frontière. Malgré le cri de cÅ“ur et des appels du pied des étrangers notamment subsahariens à l’endroit de leurs Etats voire même de la Mauritanie, et en dépit des sollicitations de certains d’entre eux, des solutions idoines en faveur de ces étrangers tardent à venir. Certains pays comme le Sénégal, le Mali, la Gambie ou encore les deux Guinées qui partagent avec la Mauritanie l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) qui a en son sein prévu la libre circulation des personnes et de leurs biens entre ces pays, ont vainement soulevé cet aspect sans jamais parvenir à convaincre leur interlocuteur. Parmi ces pays d’Afrique de l’Ouest, seule la Côte d’Ivoire bénéficie d’une liberté de mouvement de ses compatriotes en Mauritanie qui sont du coup exemptés de cette carte grâce à  un accord établi en 2014 entre les deux Etats. Du côté du Sénégal, le Président Macky Sall a pris un décret prorogeant la validité des pièces d’identité jusqu’en fin 2016. Cette mesure n’est valable qu’au Sénégal uniquement. Une source proche de son ambassade à Nouakchott précise qu’une note officielle a été produite pour solliciter la prise en compte des pièces d’identité en cours en attendant la mise en vigueur de la carte biométrique de la CEDEAO dont le parlement a adopté le 05 mars 2016 dernier. La suite, on ne la connaît pas ! Car, entre les deux pays, en dépit des liens historiques, il y a toujours des non dits. Des relations qui évoluent en dents de scie sans se soucier des deux peuples qui vivent en symbiose.


Corruption quand tu nous tiens
Toutefois, il faut préciser que le problème n’est pas seulement les tracasseries pour réunir les documents, mais assez souvent, les demandeurs doivent peiner pour déposer leurs dossiers à cause du dilatoire imposé par la police pour faciliter une corruption à symétrie variable. Au même moment et à longueur de journée, la chasse à l’homme continue dans les quartiers, les lieux de travail ou encore à domicile pour certains zélés. D’ailleurs, les malheureux étrangers interpellés doivent leur libération une fois au centre de Bagdad qu’après avoir déboursé un montant de 20.000 ouguiyas (50 euros) sinon, bonjour Rosso. C’est ce qui explique en partie, cet acharnement et cet engagement de la police contre les étrangers. « On nous chasse mais on ne quittera pas ce pays, c’est notre deuxième patrie et c’est Dieu qui l’a voulu, notre destin est là» lance un Sénégalais sous l’anonymat qui a plusieurs fois été reconduit à la frontière pour défaut de carte de séjour. Pour Mamadou Diamanka, guinéen établi en Mauritanie depuis une dizaine d’années, « le fait de nous rafler avec brutalité loin de respecter nos droits, ne nous déshonorera jamais. Je vivrai en Mauritanie autant d’années que Dieu en voudra » soutient-il. Ablaye Nidaye, surgit : « Nous voulons prendre des cartes mais on ne nous facilite pas, je ne comprends pas! Il y a quelque chose qu’on ne dit pas » se lamente-t-il. Pourtant des efforts ont été déployés dans les communautés pour sensibiliser les membres à aller se procurer la carte au risque d’être reconduit à la frontière. Des difficultés existent parce que tout simplement certains sont entrés illégalement en Mauritanie.
Des étrangers espéraient qu’une trêve sera observée durant le mois de ramadan ; que ces opérations de rafles d’étrangers allaient s’estomper à cause des conditions d’abstinence. Mais il n’en est rien. Des ouvriers de retour de leurs boulots sont interpellés à jeûne et conduits manu militari au centre de détention de Bagdad. Parfois, on assiste à des scènes dignes d’un film hollywoodien. Le cas du jeune malien Mody Boubou Coulibaly mort le 9 mai dernier des suites d’une course poursuite avec la gendarmerie reste gravé dans la mémoire des étrangers en Mauritanie.
Certains observateurs murmurent et laissent entendre que « c’est à cause surtout du sommet Arabe qui se tiendra du 25 au 26 juillet à Nouakchott que les autorités mauritaniennes  intensifient les rafles de subsahariens pour faire croire que nous sommes dans un pays arabe ». Difficile à croire. En tout état de cause, la situation des étrangers en Mauritanie laisse à désirer au moment où l’Union Européenne met sur la table 60 milliards d’euros pour solliciter et obtenir des Etats africains, une collaboration pour contraindre leurs citoyens à rester chez eux, en Afrique. Pauvre d’Afrique!
I.Badiane


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