El Mina : Quartier des paumĂ©s   
24/02/2008

A Nouakchott, pendant que des nouveaux quartiers surgissent de partout et que l’on procède au toilettage à grande eau de toute la cité, El Mina, une des premières excroissances de la jeune ville se meurt doucement. Vivier électoral dont on ne se dispute l’intérêt que lors des scrutins, le coin est vite oublié à l’issue des temps de vote.



Le quartier du sixième arrondissement et son concitoyen du cinquième, dĂ©nominations auxquelles ils rĂ©pondaient il y a quelques annĂ©es  sont les premiers  quartiers qui ont vu le jour après la vieille citĂ© du Ksar et les bâtisses administratifs de la Capitale. C’est pour fuir l’exiguĂŻtĂ© de ces domaines que les nouveaux habitants de Nouakchott, par vagues successives avaient investi les lieux. Jusqu’en 1975, on ne distinguait que des baraques sur cet emplacement dunaire. C’est bien après que ces quartiers ont connu un lotissement dans le sens du dĂ©coupage administratif de Nouakchott. Toujours est-il que depuis qu’El Mina notamment existe, il n’a jamais fait l’objet d’un projet de dĂ©veloppement quelconque. Parmi les rares infrastructures visibles du lieu, celles qui souffrent le plus du dĂ©laissement demeurent sans aucun doute les rues. En effet, El Mina fait partie des zones oĂą la rĂ©habilitation et l’entretien des routes bitumĂ©es ne sont jamais prĂ©vus dans les plans d’actions communaux. La couche de goudron recouvrant les rues a depuis longtemps disparu sous un linceul de sable. Les cratères des nids-de-poule demeurent les bourreaux des amortisseurs de voitures sur les bouts de bitume encore praticables. Par ailleurs, l’on note qu’autant l’image du bled semble inscrite dans une logique de dĂ©cadence implacable, autant ses habitants pour leur plus grande majoritĂ© demeurent paumĂ©s.
La jeunesse s’estime flouée
La population qui est Ă  70%  jeune se noie dans le dĂ©soeuvrement. Longtemps utilisĂ©e dans les joutes opposant les diffĂ©rents clans politiques, elle s’estime aujourd’hui flouĂ©e. C’est l’avis de Mohammadou Yall : «On ne sait pas ce qu’on a fait pour mĂ©riter cette situation. L’on s’occupe de tous les quartiers de la ville sauf ici. Tout est vieux et sale ! Vous savez,  les politiciens, ils n’ont pas de parole. Lors des Ă©lections passĂ©es, ils nous faisaient tous la cour. Chaque Ă©tat-major voulait profiter de nos voix. Ils nous donnaient de l’argent et promettaient beaucoup de choses pour les jeunes. Mais une fois qu’on les a Ă©lu, ils ne pensent plus qu’à eux-mĂŞmes et Ă  leurs proches. Mais c’est fini cette comĂ©die. On a tout compris.»  Cet Ă©tat de dĂ©gĂ©nĂ©rescence d’El Mina a tellement  affectĂ© le lieu que ses habitants ne trouvant pas de centres d’intĂ©rĂŞt, en sont rĂ©duits Ă  graviter autour des points oĂą règnent encore des activitĂ©s Ă©conomiques. C’est ainsi que le gros des rĂ©sidents assiègent le marchĂ© chaque matin Ă  la recherche de quelques ouguiyas tandis qu’une bonne partie se retrouve au terminus communĂ©ment appelĂ© « ArrĂŞt Bus. » en fait, cet espace, vestige du point final du tracĂ© de la dĂ©funte STPN (SociĂ©tĂ© de Transport Public National), garde toujours son importance symbolique vu que les minibus de transport en commun continuent toujours de s’y arrĂŞter. Sur place : le mĂŞme sentiment d’abattement chez une jeunesse dĂ©sabusĂ©e. Dans le carrĂ© oĂą les minicars en attente se comptaient par dizaines, l’aire est vide. Pas le moindre vĂ©hicule. AgglutinĂ©s autour d’un poteau Ă©lectrique, une bande de jeunes est occupĂ©e Ă  discutailler. Mamadou Niass, confie : «Tous ces gens que vous voyez travaillent dans le transport. C’est un  mĂ©lange de chauffeurs et d’encaisseurs. Moi-mĂŞme qui vous parle, je suis chauffeur. Mais vous savez, les temps sont si durs que nous ne pouvons plus conduire. Les patrons n’hĂ©sitent pas Ă  renvoyer les chauffeurs si le versement n’est pas complet. Ils recrutent des sans permis qui acceptent des salaires de misère. Nous vivons de petits dons de nos collègues ou au meilleur des cas s’ils nous permettent de faire un ou deux voyages par jour avec leurs cars. C’est ce qu’on appelle le «sirou»nous sommes des «siroumen» dans le groupe d’hommes, les visages sont sans expression. Les regards dĂ©gagent un mĂ©lange de mĂ©fiance et de duretĂ©. Bocar Wade, descendant d’un minibus avance : «on ne peut plus travailler comme avant, il y’a trop de voleurs. Les encaisseurs sont tous des voleurs, comment voulez-vous que l’on leur donne du travail. Tous ces gens sont des voleurs. Ils ont pourri le mĂ©tier. Faites gaffe si vous ne voulez pas qu’on vous fasse les poches. » La sortie du nouvel arrivant a suscitĂ© un tollĂ© gĂ©nĂ©ral. Les encaisseurs et les autres chauffeurs prĂ©sents ont visiblement peu goĂ»tĂ© aux remarques de Bocar Wade.  Quelques jeunes gens scandent : «Nous voulons avoir des permis pour conduire car on ne travaille plus maintenant. Les chauffeurs prĂ©fèrent travailler et encaisser seuls. S’il nous arrive de monter, c’est peut ĂŞtre une fois par mois. Le reste du temps, nous le passons ici Ă  discuter.» A cĂ´tĂ© de ces affirmations qui traduisent Ă©loquemment l’image d’une sociĂ©tĂ© Ă©voluant Ă  double vitesse, c’est le sentiment d’abandon de tout un quartier qui est mis Ă  jour. Il est très curieux de noter une prise en charge de l’image de la capitale Ă  travers la vaste campagne de nettoiement qui est en cours et, au mĂŞme moment, que l’on continue de laisser en rade d’autres zones.
Biri N’diaye


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