Le Centre International des Conférences de Nouakchott a abrité les samedi et dimanche derniers, les travaux du Forum organisé par la société civile mauritanienne sur les enjeux de la gouvernance dans l’après transition. Cette rencontre est organisée à l’initiative d’ONGs et d’associations mauritaniennes engagées dans la promotion du dialogue sur la gestion des affaires publiques en Afrique, le changement de la gestion des affaires publiques ainsi que dans la mobilisation des acteurs étatiques et non étatiques dans les initiatives pour une refondation effective de la gouvernance en Afrique.
Il s’agit d’une initiative citoyenne des organisations de la société civile qui revendiquent le rôle d’acteur principal dans la constitution d’agenda réaliste de la gouvernance de la période de l’après transition. Le Forum vise à définir les objectifs prioritaires des ONGs à travers ce processus de dialogue social. Plusieurs représentants des candidats à l’élection présidentielle du 11 mars et les représentants de l’association des maires de Mauritanie ont été invités à cette rencontre qui se veut une amorce de dialogue entre les ONGs et les autres acteurs. Il s’agira de penser mettre en oeuvre un agenda de la société civile pour la période après transition au cours de laquelle les organisations non gouvernementales doivent jouer pleinement leur rôle. Le Forum organisé avec les moyens propres de la société civile et la collaboration de l’Alliance pour la Refondation de la Gouvernance en Afrique et la Délégation de l’Union Européenne à Nouakchott a vu la participation de 80 délégués représentant entres autres, l’ICC, le FONADH, SOS ESCLAVES, le GRDR, le FAC, l’AFCF, l’AMDH , ESPOIR, la FEMANPH, l’Ordre des Médecins et Pharmaciens, la GTZ et l’ONE ).Voici le texte de la déclaration finale faite à l’issue de ce forum de haut niveau .
DECLARATION FINALE CONCERNANT LES ATTENTES DE LA SOCIETE CIVILE ENVERS LA CLASSE POLITIQUE ET SES ENGAGEMENTS PROPRES DANS LE PROCESSUS DE REFONDATION DE LA GOUVERNANCE EN MAURITANIE
Pourquoi ce Forum sur les enjeux de la gouvernance ?
La transition démocratique, entamée après les évènements du 3 août 2005, a suscité des espoirs majeurs. Les Journées Nationales de Concertation ont permis d’amorcer le dialogue entre l’Etat et la Société Civile et d’identifier une ébauche des réformes nécessaires pour s’attaquer aux multiples défis de développement, de la gouvernance et de la mondialisation auxquels est confrontée la Mauritanie.
Mais les ouvertures de la transition et les avancées réalisées restent fragiles, incomplètes et à consolider dans la durée. Le risque existe que les réformes ne se matérialisent pas dans l’après-transition, entre autres par un manque de volonté politique des nouveaux dirigeants ; par le poids des habitudes et des intérêts privés ; par la faiblesse de l’action citoyenne et des contre pouvoirs ; et par les contraintes humaines à différents niveaux.
Dans ce contexte, un groupe d’organisations de la société civile mauritaniennes (ICC , FAC , Fonadh , Coalition Mauritanienne Publiez ce que vous Payez) a pris l’initiative d’organiser un Forum sur les enjeux de la gouvernance dans l’après-transition. Le Forum a été conçu comme une initiative citoyenne revendiquant son droit à participer dans le processus de développement ; dans la gestion des affaires publiques et dans l’élaboration des agendas de réforme de la Gouvernance en Mauritanie. Dans cet esprit, le Forum visait trois objectifs :
Formuler un agenda prioritaire de refondation de la gouvernance de la perspective de la société civile ;
Entamer un dialogue avec les politiques sur les agendas de gouvernance et les stratégies de mise en oeuvre appropriées ;
Définir des mécanismes de suivi de l’implication de la société civile dans le processus de refondation de la gouvernance en Mauritanie -en dialogue avec le futur Gouvernement ; la société politique ; les collectivités locales et toutes les autres familles d’acteurs concernés.
Le Forum a réuni plus de 80 acteurs de la société civile, participant dans leur capacité de citoyen. Le dialogue a bénéficié de la présence de représentants des candidats à l’élection présidentielle ainsi que des partenaires techniques et financiers. Le Forum a également bénéficié de la participation active et de l’appui technique de l’Alliance pour la Refondation de la Gouvernance en Afrique, ACE-RECIT du Burkina Faso, ADAGE-Sarl et la fondation ECDPM. Il faut souligner que ce Forum a été financé sur les ressources propres de l’Alliance, de l’ICC et d’ECDPM (sans aucun appui financier du gouvernement ou des partenaires techniques et financiers).
Le diagnostic : une crise de gouvernance profonde
Les participants ont débattu en détail les multiples facettes de la crise de la gouvernance, telle qu’elle se manifeste dans le fonctionnement des structures étatiques et dans la société en général.
Un consensus très large s’est dégagé sur les points essentiels du diagnostic, qui recoupe et complète d’ailleurs en grande mesure les propositions faites lors des Journées Nationales de Concertation sur la gouvernance ; les mesures discutées lors des Assisses de la Société Civile ainsi que les engagements pris par le Gouvernement de la transition envers la communauté internationale. Une analyse plus détaillée du diagnostic élaboré par les participants au Forum sera offerte dans le rapport du séminaire.
Les manifestations principales du dysfonctionnement de la gouvernance en Mauritanie, tels qu’identifiées par les participants, sont les suivants :
Absence d’un Etat représentatif, fonctionnant sur base de valeurs républicaines, oeuvrant dans l’intérêt de tous les mauritaniens, dans le respect de droits humains (dans le sens large) et des principes de gouvernance telles que l’équité, la justice sociale, la participation démocratique, la transparence et la reddition de comptes. En conséquence, il y a une sclérose de l’administration ; une rupture entre les institutions de l’Etat et les diverses composantes de la société de la Mauritanie.
Absence d’espaces de dialogue efficaces entre l’Etat et la Société Civile permettant de s’accorder sur des règles de jeux (constitutionnelles) pour une gouvernance légitime ; de gérer la diversité ; de régler les fractures sociales et les conflits ; de formuler des politiques sociales inclusives et équitables (par exemple en matière d’éducation y compris vis-à -vis des personnes handicapées) ; et d’assurer une répartition transparente et équitable des ressources (surtout en faveurs des groupes vulnérables)
Absence d’une politique nationale cohérente de décentralisation, d’aménagement du territoire et de développement local (assortie d’une déconcentration et de transferts cohérents de compétences et de ressources).
Prédominance du culte du chef à tous les niveaux, favorisant l’instrumentalisation (du clan, des tribus, des partis), le clientélisme et la politisation excessive de la fonction publique.
Sous-valorisation systématique des ressources/compétences humaines.
Faiblesse de l’action citoyenne, de la capacité de participation, de plaidoyer et d’interpellation de la société civile et d’autres contre pouvoirs.
Les coopérations internationales n’ont pas toujours joué un rôle positif dans la promotion d’agendas de gouvernance réalistes, cohérents et appropriés par les différents acteurs.
L’agenda de la société civile en matière de gouvernance : 3 chantiers prioritaires
Les participants souhaitent interpeller la classe politique sur 3 chantiers prioritaires de refondation de la gouvernance:
Premier chantier : Promouvoir une culture des droits humains (dans le sens large)
Le respect des droits humains a été considéré comme le socle de la refondation de la gouvernance. Pour ce premier chantier, les propositions suivantes ont été faites :
Mise en place de mécanismes institutionnels adéquats de règlement des contentieux tels que le passif humanitaire et l’esclavage. Cela pourrait se faire, par exemple, par le biais de la Commission Nationale des droits de l’homme qu’il faudra toutefois rendre capable à traiter des dossiers antérieurs à sa mise en place (par une modification de l’article 5 de son statut).
Niveler les inégalités en mettant sur pied un schéma national d’aménagement du territoire ; une répartition équitable des investissements publics ; un accès égal à la justice et une politique sociale ciblée sur les classes plus vulnérables (et en particulier sur les personnes handicapées).
Introduction de la culture des droits humains et d’éducation civique dans le système éducatif et l’espace public.
Prise en compte de la diversité linguistique au niveau des médias publics, l’école et l’Administration.
Appui à la consolidation d’une presse indépendante et développement des média et radios de proximité.
Assurer l’application effective des traités internationaux ratifiés par la Mauritanie, entre autres par la mise en cohérence des lois nationales.
Approfondir la réforme de la justice, en particulier l’accès du citoyen à la justice par le biais d’un élargissement du droit de saisine.
Généraliser le droit d’accès à l’information sur les politiques publiques et sur l’élaboration et l’exécution des budgets, entre autre par l’adoption d’une loi sur l’accès à l’information publique.
Deuxième chantier : la refondation de l’Etat
Les défis de mise en oeuvre du deuxième chantier majeur de la gouvernance devraient aboutir sur des réformes profondes en matière de :
Instauration d’un Etat de droit par la mise en place d’institutions démocratiques et des ressources humaines compétentes.
Renforcement du contrôle citoyen sur les biens publics à travers l’élaboration participative des budgets, la publication d’audits et d’évaluations, ainsi que des mécanismes de contrôle et de suivi de l’action publique par la société civile.
Obligation de déclaration du patrimoine du Président, des membres du Gouvernement et de leurs familles.
Renforcer l’indépendance et les capacités d’action des structures de contrôle (Cour des Comptes ; Inspection Générale d’Etat).
Faciliter la saisine de la Cour Constitutionnelle par les citoyens.
Réforme de la police et du secteur de la sécurité.
Elever le niveau d’éducation et de formation des responsables politiques (députés, élus locaux).
Renforcement du Parlement et des partis politiques dans un esprit démocratique et de reddition de comptes.
Institutionnaliser un statut pour le fonctionnement démocratique de l’opposition, selon des modalités à préciser.
Promotion d’une politique de décentralisation et d’un nouveau découpage communal et électoral dans une perspective d’aménagement du territoire, d’équité et de citoyenneté.
Troisième chantier : renforcement de l’action citoyenne
Pour ce troisième chantier, les priorités essentielles sont les suivantes :
Adoption dans les plus brefs délais d’un nouveau cadre légal permettant à la société civile de participer pleinement dans la vie publique.
Promotion des espaces de concertation efficaces entre l’Etat et la société civile sur des enjeux concrets de développement et de gouvernance (au niveau central et local).
Les engagements propres de la société civile
La société civile mauritanienne est jeune. De ce fait, elle est confrontée à des défis de légitimité, de structuration et de performance organisationnelle. Elle se rend compte qu’elle doit également renforcer sa crédibilité et sa capacité d’action dans les processus de formulation et de mise en oeuvre des politiques publiques.
Dans ce contexte, les participants de la société civile s’engagent à :
Appliquer les principes de bonne gouvernance dans le fonctionnement de leurs organisations.
Créer un cadre de concertation fonctionnel et non-partisan pour les organisations de la société civile.
Organiser des systèmes de reddition de comptes envers les citoyens.
Participer de façon constructive dans les processus de dialogue avec l’Etat, la société politique et les partenaires au développement.
Mettre en place un mécanisme inclusif et transparent de suivi du Forum.
Nouakchott, le 4 Mars 2007
Signé par les participants au Forum dans leur capacité de citoyen.
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