Washington prudent et pragmatique face aux rĂ©voltes arabes   
15/06/2011

Les Etats-Unis ont réagi avec prudence et pragmatisme aux révoltes dans le monde arabe, entre tentatives de maintenir la stabilité d’une région cruciale pour leurs intérêts et volonté de soutenir les aspirations démocratiques des populations. En septembre 2010...



...Barack Obama accueillait avec tous les honneurs son homologue égyptien Hosni Moubarak dans le cadre de la relance du processus de paix israélo-palestinien. Le 11 février suivant, il prenait sobrement acte de la démission de ce dernier après une contestation sans précédent: "le peuple d’Egypte a parlé". Depuis le début des mouvements populaires contre les régimes autoritaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord il y a six mois, l’administration Obama a semblé répondre au cas par cas à des événements sur lesquels elle n’avait que peu de prise et d’influence. "Ce ne sont pas les Etats-Unis qui ont mis les gens dans les rues à Tunis ou au Caire. Ce sont les gens eux-mêmes qui ont lancé ces mouvements", a concédé M. Obama le 19 mai dans un discours consacré aux événements dans la région, en appelant son pays à faire preuve d’"humilité". Illustrations de ces différences de traitement: face à des répressions sanglantes, la Maison Blanche a appelé le colonel Mouammar Kadhafi à quitter le pouvoir et s’est engagée dans une opération militaire pour soutenir les rebelles en Libye. En Syrie, elle a sommé le président Bachar al-Assad de "diriger la transition ou de se démettre" tandis que la famille régnante de Bahreïn s’est vue demander par M. Obama de "créer les conditions d’un dialogue fructueux" avec l’opposition. "Chaque pays est différent", répètent à l’envi les porte-parole de la Maison Blanche pour expliquer la différence de réaction de Washington à ces événements qui rebattent les cartes géopolitiques de la région après un long glacis. Les observateurs ont ainsi noté le silence de M. Obama sur l’Arabie Saoudite et d’autres monarchies pétrolières autoritaires comme le Koweït et les Emirats arabes unis lors de son discours-cadre. Les pays du Golfe fournissent aux Etats-Unis un septième de leurs importations en produits pétroliers. Parmi les autres intérêts que Washington tente de "sanctuariser" figure la sécurité de son allié Israël: le jour même de la chute de M. Moubarak, la Maison Blanche appelait Le Caire à respecter le traité de paix avec l’Etat hébreu. Les Etats-Unis poursuivent aussi leurs opérations contre Al-Qaïda dans la péninsule Arabique, malgré l’incertitude au Yémen entourant l’avenir du régime du président Ali Abdallah Saleh, lui aussi confronté à une violente révolte et en convalescence en Arabie Saoudite après un attentat. Plutôt que de s’attarder sur les alliances de Washington avec des régimes autoritaires, conclues au nom de la sécurité des Etats-Unis et dont certaines restent importantes afin de contrer l’influence iranienne, M. Obama a préféré le 19 mai évoquer les "opportunités" que recèlent les derniers développements, en particulier économiques. Il a promis un changement d’approche des Etats-Unis envers la région, et fait miroiter une aide économique aux pays s’engageant vers la démocratie, sur le modèle de l’assistance à la reconstruction de l’Europe de l’Est après la chute du Rideau de fer. Lors de ses tournées en Amérique latine en mars et en Europe en mai, le président américain avait établi des parallèles entre les événements en cours dans le monde arabe et le passage de pays comme le Brésil, le Chili ou la Pologne dans le camp des démocraties représentatives ces 30 dernières années. "Malgré toutes les difficultés à venir, nous voyons beaucoup de raisons d’espérer", avait affirmé le président le 19 mai.

 

De la Tunisie à la Syrie, six mois de révolte

 Un jeune vendeur ambulant protestant contre la saisie de sa marchandise par la police, s’immole par le feu Ă  Sidi Bouzid (centre-ouest), dĂ©clenchant un mouvement contre le chĂ´mage et la vie chère, qui donne le coup d’envoi aux rĂ©voltes dans les pays arabes.

JANVIER 2011
- 14: TUNISIE: Après 23 ans de pouvoir, le président Zine El Abidine Ben Ali fuit en Arabie Saoudite, sous la pression du soulèvement.
- 14: JORDANIE: Début des manifestations contre la vie chère et pour des réformes.
- Le 12 juin, le roi Abdallah II promet des réformes pour la formation d’un gouvernement basé sur une majorité parlementaire.
- 25: EGYPTE: Début des manifestations contre le régime du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, qui dégénèrent en émeutes: 846 morts en 18 jours (bilan officiel).
- 27: YEMEN: Des milliers de manifestants à Sanaa réclament le départ du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 33 ans. Les "Jeunes de la révolution" campent à partir du 21 février à Sanaa.
FEVRIER
- 11: EGYPTE: Moubarak quitte ses fonctions et remet le pouvoir à l’armée. Son procès et celui de ses deux fils est fixé au 3 août.
- 14: BAHREIN: début de la contestation dans ce petit royaume du Golfe gouverné par une dynastie sunnite, mais dont la population est à majorité chiite: 24 morts. En mars, renfort d’un millier de soldats saoudiens.
- 15: LIBYE: Début d’une révolte populaire contre le colonel Mouammar Kadhafi, au pouvoir depuis 1969.
MARS
- 15: SYRIE: Rassemblement à Damas contre le régime de Bachar al-Assad, au pouvoir depuis 2000. Partie de Deraa (sud-ouest), la contestation, durement réprimée, s’étendra jusqu’au nord-ouest.
- 19: LIBYE: Offensive de Washington, Paris et Londres, sous mandat de l’ONU, alors que Benghazi (est), fief rebelle, est attaqué par les loyalistes. Le 20, raids de la coalition sur Tripoli. Le 31, l’Otan prend les commandes de l’opération.
AVRIL

21: SYRIE: Levée de l’état d’urgence (en vigueur depuis 1963).

JUIN
- 1: BAHREIN: Levée de l’état d’urgence après l’appel du roi Hamad Ben Issa Al-Khalifa à un dialogue national à partir du 1er juillet.
- 3: YEMEN: Attentat contre le palais présidentiel (11 morts, 124 blessés). Saleh hospitalisé à Ryad. - 12: LIBYE: Kadhafi, dont le régime a fait l’objet de sanctions internationales, rejette toujours toute idée de départ.
- 13: SYRIE: L’armée étend son opération au nord-est, envoyant ses chars près de l’Irak. La répression a fait plus de 1.200 morts au total (ONU).
- 14: LIBYE: 14 pays ont reconnu le Conseil national de transition (rébellion). De 10.000 à 15.000 personnes tuées et plus de 950.000 réfugiés (ONU).

 

Six mois après, le "printemps arabe" face à de lourdes menaces
Six mois après le début de la série de révoltes qui ont balayé les présidents tunisien et égyptien, les crises de la Libye à la Syrie, en passant par le Yémen ou Bahreïn, font peser de lourdes menaces sur l’avenir du "printemps arabe". La cascade de soulèvements, porteuse d’espoirs de démocratie d’une ampleur sans précédent dans cette partie du monde, se traduit aussi aujourd’hui par un cortège de conflits, de crises et de graves problèmes économiques. "La situation est aujourd’hui plus difficile", estime Rabab al-Mahdi, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire (AUC), six mois après l’immolation par le feu, le 17 décembre, d’un vendeur ambulant tunisien, point de départ du séisme politique des révoltes arabes. "L’idée que l’on pouvait descendre dans la rue pour renverser un régime comme cela s’est passé en Tunisie et en Egypte est mise à rude épreuve par les cas de la Libye, de la Syrie, du Yémen et de Bahreïn", estime-t-elle. Pour Antoine Basbous, de l’Observatoire des Pays Arabes (OPA) à Paris, la diversité prévaut. Malgré les slogans souvent identiques et les espoirs partagés, "il n’y a pas deux mouvements qui se ressemblent", remarque-t-il. La Tunisie, pays pionnier du "printemps arabe", qui vient de fixer au 23 octobre les premières élections de l’après-Zine el Abidine Ben Ali, semble mieux s’en sortir que l’Egypte où la transition "connaît un certain enlisement", estime-t-il. En Egypte, où beaucoup redoutent de voir les islamistes tirer parti de la situation après le départ de Hosni Moubarak, l’armée au pouvoir semble vouloir se contenter d’un "changement de façade". Dans ces deux pays, les graves difficultés économiques ayant suivi les changements de régime ont amené la communauté internationale à mobiliser des milliards de dollars d’aide. Le Yémen, dont le président Ali Abdallah Saleh est hospitalisé à Ryad après avoir été blessé dans une attaque, risque de s’enfoncer dans la "somalisation" -le chaos et la désintégration de l’Etat-, ajoute M. Basbous. Bahreïn, de son côté, a déjà connu sa "contre-révolution", après la répression de la contestation de février/mars. En Libye, Mouammar Kadhafi, qui s’accroche face à une insurrection intérieure et aux frappes militaires de l’Otan, "semble mûr pour tomber, reste à savoir quand". En Syrie, le régime engagé dans une répression massive, "est déterminé à se défendre et a encore des ressources", relève-t-il. Les risques de contagion à d’autres pays sont réels mais restent incertains. "Les effets sur le reste de la région vont dépendre du résultat obtenu dans ces pays. Mais il n’y a pas d’effet mécanique, cela dépend beaucoup de la situation intérieure", fait valoir Rabab al-Mahdi. L’Algérie peut calmer les attentes sociales de sa population grâce aux revenus de ses importantes ressources en hydrocarbures. Le Maroc table de son côté sur une politique de réformes pour répondre à la grogne. Mais en Jordanie, note Antoine Basbous, "les difficultés de la monarchie sont plus importantes, et il s’agit d’un pays entouré de voisins en crise". Malgré ces incertitudes, certains demeurent optimistes sur les acquis du "printemps arabe", qui a placé la démocratisation au sein des problématiques d’une région qui semblait vouée à rester un sanctuaire de régimes autocratiques intouchables. Pour Issandr el-Amrani, basé au Caire et responsable du blog The Arabist, "ces révoltes marquent un vrai rejet des systèmes sécuritaires dirigés par des sortes de familles régnantes au centre d’un système de plus en plus mafieux". Les soulèvements "ont traduit un vrai ancrage parmi les populations arabes de valeurs liées aux droits de l’Homme, un vrai enthousiasme pour des valeurs universelles. Ce n’était pas le cas il y a seulement dix ans", souligne-t-il. (Afp)

 

 


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