Le pharaon est parti: Basta !   
11/02/2011

Héritiers de 5.000 ans d’histoire, les Egyptiens aiment appeler leur pays "oum el dounia", la mère du monde, et ils ont recouvré leur fierté en renversant vendredi 11 février Hosni Moubarak après des décennies de malaise social, économique et politique. L’Egypte n’a pas attendu l’arrivée au pouvoir d’Hosni Moubarak en 1981...



...pour éprouver un sentiment de déclin mais ces dernières années, elle semble s’être enfoncée dans la pauvreté, la brutalité, l’arbitraire, le mensonge et la perte de repères.
Après avoir écrasé une insurrection islamiste dans les années 1990, l’appareil sécuritaire du régime de Moubarak a étendu ses tentacules dans tous les aspects de la vie des Egyptiens.

D’après les organisations de défense des droits de l’homme, les geôles égyptiennes sont remplies de milliers de prisonniers politiques sans que personne n’en connaisse le nombre exact.
Hosni Moubarak a mis en œuvre une politique économique libérale dont a largement profité son entourage mais dont ont été exclus des millions d’Egyptiens. Les riches se sont regroupés dans des communautés fortifiées érigées dans le désert aux alentours du Caire, les pauvres se sont enfoncés dans la misère des bidonvilles de la capitale et la classe moyenne a tenté de survivre.
L’Egypte a connu l’une des premières ébauches de démocratie dans la région, même si elle était alors sous le joug colonial, puis elle a pris la tête du mouvement des non-alignés dans les années 1950-1960 avant de devenir un modèle d’Etat policier étouffant la liberté et la créativité.

 

"Relève la tête, tu es égyptien"

Ce slogan a été repris par les centaines de milliers de manifestants qui sont descendus dans les rues vendredi soir après le retrait d’Hosni Moubarak face à la vague de mécontentement populaire. Les automobilistes ont décoré leurs voitures d’autocollants "Nous aimons l’Egypte" et les drapeaux égyptiens ont fleuri dans les rassemblements. Les Egyptiens n’ont pas seulement mis à terre un dirigeant autocratique, ils ont aussi défié un appareil sécuritaire qui, dans le cadre de l’état d’urgence en vigueur depuis l’arrivée au pouvoir de Moubarak, pouvait à sa guise arrêter et maintenir en détention n’importe qui pour la moindre raison et sans limite de temps. Ils ont brisé le stéréotype d’un peuple soumis. Une barrière mentale a sauté, celle de la peur, le 25 janvier 2011, lorsque le mouvement a commencé, ou trois jours plus tard, lorsque dans tout le pays, des gens ordinaires ont affronté la police et les forces de sécurité qui tentaient de mater leur insolence. "C’est incroyable de voir cela, de voir ce peuple si opprimé faire cela après 30 ans d’injustice, de corruption et de despotisme", se réjouit George Ichak, chef de file du mouvement Kefaya à l’origine d’une agitation populaire contre Hosni Moubarak depuis 2005. "Cet homme était un despote inculte."
L’opposant Ayman Nour, qui avait osé défier Hosni Moubarak dans les urnes et en a payé le prix, a jugé qu’il s’agissait du plus grand jour de l’histoire moderne de l’Egypte. "Cette nation renaît. Ce peuple renaît et c’est une nouvelle Egypte", a-t-il déclaré à Al Djazira. Ayman Nour s’était présenté contre Hosni Moubarak en 2005. Il était arrivé deuxième, loin derrière le chef de l’Etat, ce qui n’avait pas empêché le régime de l’emprisonner pour falsification de signatures, une accusation inventée de toutes pièces selon la plupart des observateurs.

"Avec la révolution, les gens ont l’impression de s’être libérés d’un énorme poids", observe Chadi Hamid, politologue égyptien au Brookings Centre de Doha. Pour les manifestants de la place Tahrir, le village de tentes qu’ils ont installé en plein coeur du Caire est le symbole de la reprise en mains de leur destin. Les protestataires y ont créé des comités chargés de fournir sécurité, nourriture et assistance médicale.

 "Nous avons formĂ© des comitĂ©s pour nous rendre service mutuellement. Nous avons nettoyĂ© et balayĂ© la chaussĂ©e de Tahrir, nous avons soignĂ© les malades et nourri les affamĂ©s. Nous Ă©tions un Etat autosuffisant au beau milieu d’un autre en plein dysfonctionnement", a expliquĂ© Ahmed Adam, un manifestant.

Dans l’euphorie de l’instant, chaque Egyptien avait le sentiment d’avoir personnellement défié Hosni Moubarak. "Je suis égyptien, j’ai renversé Hosni", ont-ils scandé dans les rues.

 

L’armĂ©e, principale source d’inquiĂ©tudes

Les Egyptiens ont réussi à chasser Hosni Moubarak du pouvoir, il leur faut désormais s’assurer que les militaires confieront bien à terme les rênes du pays à un régime démocratique et civil. Jusqu’à présent, l’armée n’a pas exposé en détail ses projets et l’Egypte s’avance en territoire inconnu.

Quel que soit le futur gouvernement, il sera confronté à d’importants défis sociaux et économiques dans un pays sclérosé par 30 années d’un pouvoir autoritaire et corrompu. Si ce gouvernement est librement choisi par le peuple, il pourrait contribuer à libérer l’impressionnante énergie créative et la fierté nationale si manifestes dans les rues durant les 18 jours de contestation d’Hosni Moubarak. "Les Egyptiens doivent faire attention à ne pas se faire voler leur révolution", prévient Hassan Nafaa, professeur de sciences politiques à l’université du Caire. "Les choses sont désormais entre les mains de l’armée, qui est censée mettre en œuvre les exigences de la révolution et par conséquent, le peuple doit suivre attentivement la manière dont ces revendications vont être suivies", ajoute-t-il. L’armée pourrait envoyer un signal positif en limogeant le gouvernement formé à la hâte par Hosni Moubarak après le début du soulèvement populaire et le remplacer par un cabinet "qui représente le peuple, les forces d’opposition et les forces qui ont déclenché la révolution", poursuit Hassan Nafaa.

Diaa Rachouane, spécialiste de l’Egypte, s’attend à un gel de la Constitution et à une dissolution du parlement issu des élections législatives de novembre, largement considérées comme entachées de fraudes massives au profit du Parti national démocrate (PND) au pouvoir.
Il est confiant cependant dans la capacité des Egyptiens, renforcés par leur victoire contre Moubarak, à garantir l’avènement d’"une nouvelle ère de liberté". "Il n’y a plus à s’inquiéter pour le sort des Egyptiens", assure-t-il.

Le pouvoir a été confié à un Conseil suprême des forces armées, qui, selon le vice-président Omar Souleimane, dirigera le pays jusqu’à l’élection présidentielle de septembre 2011. L’armée a promis qu’il s’agirait d’un scrutin équitable.

Le chef de ce conseil militaire est pourtant un pilier de l’ancien régime: ministre de la Défense, Mohamed Hussein Tantaoui, 75 ans, est qualifié par ses détracteurs de "caniche" de Moubarak.

L’avenir d’Omar Souleimane est lui-même incertain. Cet ancien chef de services de renseignement âgé de 74 ans est contesté par les manifestants.

"Il faut sérieusement se demander dans quelle mesure Souleimane sera acceptable, étant donné son soutien à Moubarak", prévient Julien Barnes-Dacey, spécialiste du Proche-Orient à Control Risks. "Il va falloir qu’il propose très rapidement un projet de réforme complète.

" Pour l’instant, le camp démocrate est plein d’espoirs. "Nous avons attendu ce jour pendant des décennies", se réjouit Mohamed ElBaradeï, interrogé par Reuters. "Nous sommes impatients de collaborer avec l’armée pour organiser des élections libres et équitables. J’attends avec impatience une période transitoire de partage du pouvoir entre l’armée et le peuple.
Depuis le début du soulèvement, les Etats-Unis ont cherché un équilibre entre leur désir de stabilité dans ce pays arabe allié et leur soutien à des aspirations démocratiques.

"Les Egyptiens ont clairement indiqué qu’ils n’accepteraient rien d’autre qu’une authentique démocratie", a réagi vendredi soir Barack Obama. "L’armée a agi de façon patriotique et responsable en tant que gardienne de l’Etat et elle devra désormais assurer une transition crédible aux yeux du peuple égyptien", a ajouté le président américain.

Pour Robert Satloff, directeur de l’Institut politique du Proche-Orient à Washington, la hiérarchie militaire devrait "clarifier très rapidement la question de savoir si l’Egypte est toujours placée sous loi martiale ou si elle est engagée sur un véritable chemin vers la démocratie".

Barack Obama a réclamé "la levée de l’état d’urgence, une révision de la Constitution et d’autres lois permettant de garantir le caractère irréversible de ce changement, et la définition d’un trajet clair vers des élections libres et justes". Expert du Proche-Orient au Center for American Progress de Washington et proche de la Maison blanche, Brian Katulis souligne que la chute de Moubarak ne marque que le début du processus de transition.

"Officiellement aujourd’hui, si ce n’est de fait dans la rue, ceux qui dirigent l’Egypte depuis 1952 sont toujours les mêmes, issus du même cadre de l’élite militaire", précise-t-il.

Les Egyptiens paraissent toutefois déterminés à changer cet état de fait. Laïques ou islamistes, nombre d’entre eux pourraient reprendre ces mots de Kamel el Helbaoui, dignitaire des Frères musulmans installé à Londres: "Aujourd’hui, un dictateur s’efface dans le passé. Nous n’accepterons pas qu’un homme obstiné comme lui parvienne de nouveau au pouvoir." (Reuters)


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