La révolution en Tunisie et la contestation en Egypte portent atteinte à la propagande d’Al Qaïda prêchant le recours à la force pour faire tomber les régimes autocratiques arabes, en ce qu’elles montrent que le "pouvoir du peuple" peut être une meilleure arme. Le groupe djihadiste, qui dispose d’un solide ancrage en Egypte et a montré par le passé son opportunisme...
...s’emploiera assurément à exploiter les sentiments de frustration de la population si la révolte en cours ne débouche pas sur un changement de régime.
Mais, pour le moment, Al Qaïda ne dispose d’aucune réponse à la situation dont toutes les télévisions du monde témoignent: des hommes et les femmes ordinaires d’Egypte descendus dans les rues font vaciller à mains nues un système en place depuis 30 ans, qu’aucune action armée n’avait réussi à ébranler.
Une immense défaite pour Al Qaïda
Les stratèges occidentaux ne sont pas pour autant à l’aise devant cette situation, eux qui justifiaient jusque-là leur ferme soutien au Tunisien Zine ben Ali et à l’Egyptien Hosni Moubarak au motif qu’ils auraient été les plus solides remparts contre le déferlement dans la région de l’islamisme radical.
"C’est une immense défaite pour Al Qaïda dans un pays crucial pour son image. Cela a entamé sa crédibilité auprès de nombre de ses partisans potentiels. Ces gens ordinaires qui manifestent montrent la faillite de l’idéologie d’Al Qaïda", affirme Nomane Ben Otmane. Pour cet ex-cadre d’un mouvement djihadiste libyen, le suicide par le feu à la mi-décembre du marchand de fruits et légumes tunisien Mohamed Bouazizi, facteur déclencheur de la révolution tunisienne, s’est avéré plus efficace que tous les appels d’Al Qaïda au renversement des régimes arabes.
Le maintien de Moubarak, mieux pour Al Qaida
Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) s’est réjoui de la chute de Ben Ali, appelant la jeunesse tunisienne à rejoindre ses camps d’entraînement en Algérie. Mais, pour le moment, Oussama ben Laden et son adjoint égyptien Aymane al Dhaouahiri, qui dirigent "la maison mère", observent un mutisme remarqué. Selon Anna Murison, une analyste londonienne spécialiste des groupes armés islamiques, un récent message du religieux djihadiste mauritanien Abou al Moundhir al Chinguiti diffusé sur un internet donne un avant-goût de ce que pourrait être la réaction de la haute direction d’Al Qaïda.
"S’il y a des moudjahidine en Egypte, la meilleure forme de Djihad est de participer à cette révolution bénie", a-t-il écrit, tout en disant ne voir "aucun problème" si des attentats suicide viennent la renforcer. "L’argument sera probablement que les masses se sont enfin éveillées à ce qu’Al Qaïda prêchait depuis 20 ans", prédit Anna Murison en estimant que cet opportunisme a peu de chances de trouver un grand écho auprès des foules massées depuis une semaine sur la grande place Tahrir du Caire.
Mais Al Qaïda pourrait voir dans le succès éventuel du soulèvement en Egypte une occasion rêvée de s’y réorganiser, après l’échec de sa campagne de violences des années 1990, sous l’égide de Dhaouahiri, et les attentats - sans effets durables - de 2004 et 2006 contre des cibles touristiques.
Mais, surtout, si Hosni Moubarak parvient à rester au pouvoir, ou même si son régime lui survit, cela fera les affaires du réseau de Ben Laden, considère Sajjan Gohel, analyste à la Fondation Asie-Pacifique, un centre de recherche sur les questions de sécurité.
"La meilleure chose pour Al Qaïda serait que ce soulèvement exacerbe les attentes populaires avant de les décevoir", renchérit Jarret Brachman, écrivain et spécialiste américain du contre-terrorisme. "Plus Al Qaïda pourra arguer que ’le peuple’ ne s’est toujours pas fait entendre, se faisant ainsi l’avocat populiste d’une nouvelle Egypte, plus l’organisation reprendra la main." (Reuters)
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