Malgré le couvre-feu, des milliers d’Egyptiens sont redescendus samedi 29 janvier dans les rues du Caire et d’Alexandrie, réclamant la démission d’Hosni Moubarak et rejetant son appel au dialogue. Dans la soirée, alors que des scènes de pillage étaient signalées dans certains quartiers de la capitale égyptienne, le porte-parole du ministère...
...de la Défense a appelé une nouvelle fois la population à respecter le couvre-feu. Mais, au cinquième jour d’un mouvement de contestation sans précédent contre le régime du raïs, au pouvoir depuis trente ans, l’appel à l’armée et l’extension du couvre-feu, pas plus que les remaniements opérés par Moubarak au sommet du pouvoir, n’ont ramené le calme.
Plusieurs milliers de personnes ont regagné samedi la place Tahrir, épicentre de la contestation dans le centre du Caire dont l’armée avait repris le contrôle la nuit précédente. Ils ont vu en chemin les stigmates des affrontements de la veille.
Des débris, des pneus incendiés, des cageots en bois calcinés jonchaient le sol. Dans la soirée, des habitants des quartiers riches de la capitale signalaient la présence de véhicules militaires déployés pour les protéger et assurer également la sécurité d’hôtels cinq étoiles.
Des témoins ont fait état de pillage et d’incendies. Une source au sein des services de sécurité a affirmé par ailleurs que des incidents avaient éclaté dans la prison d’Abou Zaabal, au nord-est du Caire, où des détenus ont tenté de s’échapper. Leur tentative a été mise en échec mais le bilan avancé par cette source est de huit morts et 123 blessés. "Mensonges et promesses creuses" Agitant des drapeaux, levant leurs bras en cadence, les manifestants de la place Tahrir ont réitéré leur appel à la démission de Moubarak. "Le peuple exige que le président soit jugé", scandaient-ils.
La nomination d’Omar Souleïmane, patron des services de renseignement, au poste de vice-président, laissé vacant par Moubarak depuis son accession au pouvoir, en 1981, pas plus que le choix d’Ahmed Chafik, ancien commandant de l’armée de l’air, pour diriger le nouveau gouvernement n’ont été salués par les manifestants.
"Nous ne voulons pas d’un changement de gouvernement, nous voulons qu’ils s’en aillent tous, Moubarak le premier", explique Saad Mohammed, un soudeur de 45 ans croisé place Tahrir. Les soldats déployés aux abords de la place, appuyés par des blindés, ont assisté à la scène mais ne sont pas intervenus.
"Tout ce qu’il a dit (ndlr, vendredi soir), ce n’était que mensonges et promesses creuses", dénonce Mahmoud Mohammed Imam, un chauffeur de taxi de 26 ans. "C’est la révolution d’un peuple qui a faim, c’est la révolution d’un peuple sans argent contre ceux qui accaparent les richesses", ajoute-t-il. Un peu plus loin, la police a ouvert le feu sur un millier de manifestants qui tentaient de prendre d’assaut le ministère de l’Intérieur, au Caire.
Selon la chaîne de télévision Al Djazira, trois manifestants auraient été tués. Mais l’information n’a pas été confirmée et, de source proche de la sécurité, on fait état de cinq manifestants blessés. Devant le ministère, les incidents se sont poursuivis. Des véhicules ont été incendié tandis que la rue était jonchée de débris et de morceaux de verre.
A Alexandrie, autre foyer de la contestation, sur la côte méditerranéenne, des milliers de manifestants ont affronté la police. Les forces de l’ordre ont répliqué à balles réelles et à coups de grenades lacrymogènes. A Suez, une centaine de personnes se sont rassemblées samedi devant la morgue de cette ville stratégique de l’est de l’Egypte située en bordure du canal, où, selon elles, se trouvent les cadavres de 12 personnes tuées la veille lors des manifestations hostiles au gouvernement.
Entré en vigueur vendredi sur décret du président Hosni Moubarak, le couvre-feu a été étendu samedi pour les villes du Caire, d’Alexandrie et de Suez, où il court désormais de 16h00 (14h00 GMT) à 08h00 (06h00 GMT).
Et l’armée égyptienne a prévenu samedi par communiqué que quiconque violerait le couvre-feu imposé pour faire face au mouvement de contestation serait en danger. Mais ils étaient encore des milliers dans les rues du Caire et d’Alexandrie quand le couvre-feu a débuté, samedi en fin d’après-midi.
Selon un décompte établi par Reuters sur la base des chiffres fournis par des sources médicales et des témoins, au moins 74 personnes sont mortes en Egypte depuis le début du mouvement de contestation, mardi dernier, dont 68 pour la seule journée de vendredi au Caire, à Suez et à Alexandrie. Les appels à des réformes politiques en Egypte et à l’arrêt de la répression des manifestations qui secouent le pays depuis mardi, se sont multipliés depuis l’annonce dans la nuit de vendredi à samedi par le président Hosni Moubarak de la formation d’un nouveau gouvernement.
Le président américain Barack Obama, après s’être entretenu dans la nuit par téléphone avec M. Moubarak pendant 30 minutes, a déclaré qu’il appelait "très clairement les autorités égyptiennes à s’abstenir d’utiliser la violence contre les manifestants pacifiques".
M. Obama a ajouté qu’il avait demandé au chef de l’Etat égyptien de "prendre des mesures concrètes pour tenir ses promesses" faites dans son allocution télévisée de la nuit annonçant des réformes démocratiques et la formation d’un nouveau gouvernement.
Le porte-parole de la diplomatie américaine Philip Crowley a réitéré samedi l’appel de Washington à la "retenue" de "toutes les parties" en Egypte, étant donné que "les manifestants (sont) encore dans les rues". Moscou a demandé au gouvernement égyptien de "garantir la paix civile" et de répondre "aux attentes de la population", dans une note diplomatique exprimant "l’espoir que les autorités égyptiennes et toute la société feront preuve de responsabilité (...) et feront tout pour stabiliser la situation".
L’Union européenne (UE) a appelé à "l’arrêt de la violence pour stopper les effusions de sang" en Egypte. Le président de l’UE, Herman Van Rompuy, a en outre réclamé "la libération de tous ceux qui ont été arrêtés ou sont assignés à résidence pour des raisons politiques" et "la mise en route du nécessaire processus de réforme".
A Berlin, le chef de la diplomatie allemande Guido Westerwelle a appelé notamment "les forces de sécurité" à renoncer à la violence contre "les manifestations pacifiques". "C’est le peuple égyptien qui décide" et "aucun pays ne peut prendre la place du peuple égyptien", a déclaré le Premier ministre français François Fillon, insistant sur le nécessaire arrêt des violences et le fait que "personne ne peut accepter qu’il y ait des morts". Le président de la Commission de l’Union africaine (UA) Jean Ping a exprimé la "préoccupation" de l’organisation continentale.
"A la suite de ce qui s’est passé en Tunisie, nous observons tout ce qui se passe ailleurs, et nous sommes préoccupés" par la situation en Egypte, a-t-il dit. Appelant M. Mubarak à engager "immédiatement" un dialogue "afin d’obtenir le plein soutien et la participation de la population", le Premier ministre japonais Naoto Kan a souhaité qu’il puisse "restaurer immédiatement la stabilité politique en Egypte", dans une déclaration en marge du Forum économique mondial de Davos (Suisse). Téhéran a affirmé que les manifestations des Egyptiens étaient "un mouvement en quête de justice" et demandé aux autorités égyptiennes d’être "à l’écoute de la voix de la nation musulmane" et de se soumettre "à ses exigences légitimes".
En revanche, le roi Abdallah d’Arabie saoudite a jugé que les manifestations représentaient des "atteintes à la sécurité et la stabilité" de l’Egypte commises par certains éléments "infiltrés" au nom de la "liberté d’expression". Le souverain saoudien a téléphoné samedi au président Moubarak pour lui exprimer sa solidarité, a annoncé l’agence officielle saoudienne SPA.
Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a lui aussi téléphoné à M. Moubarak et "affirmé sa solidarité avec l’Egypte et son engagement pour sa sécurité et sa stabilité", selon un communiqué du bureau de M. Abbas. Et le numéro un libyen Mouammar Kadhafi s’est entretenu samedi au téléphone avec M. Moubarak "pour se rassurer sur la situation en Egypte", selon l’agence officielle libyenne Jana.
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