Interview de M.Boubacar Messaoud    
11/11/2009

 Â«Il faut mettre en place une structure pour coordonner la lutte contre les diverses pratiques esclavagistes»

Gulnara Shaninian  rapporteur spĂ©cial de l’Onu sur les formes contemporaines de l’esclavage, a effectuĂ© tout rĂ©cemment une mission en Mauritanie Ă  l’issue de laquelle elle  a indiquĂ© lors d’une confĂ©rence de presse tenue le 3 novembre 



...que la lĂ©gislation de 2007 criminalisant l’esclavage  n’est pas correctement appliquĂ©e dans les faits.«Les victimes ne sont pas incitĂ©es Ă  dĂ©noncer publiquement les abus subis» avait-elle annoncĂ©. "Il existe en Mauritanie toutes les formes d’esclavage: travail des enfants, travail domestique, mariages d’enfants et trafic d’être humains", a-t-elle dit en invitant les pouvoirs publics Ă  Ă©toffer l’arsenal lĂ©gislatif existant par des lois spĂ©cifiques propres aux pratiques en matière de travail, de citoyennetĂ© et d’immigration. M.Boubacar Ould Messaoud, prĂ©sident de SOS Esclaves, s’était  rĂ©joui des conclusions du rapporteur spĂ©cial des Nations unies. «Le fait qu’elle reconnaisse ces rĂ©alitĂ©s est un motif de satisfaction pour nous. Cela nous aidera Ă  convaincre les autoritĂ©s de lutter contre ce problème». M. Ould Messaoud prĂ©cise dans cette interview, ce qu’il attend des autoritĂ©s. Entretien …
 
 
Tahalil Hebdo : Comme le souhaitaient les militants des droits de l’Homme, le rapporteur spĂ©cial des Nations unies sur les formes contemporaines de l’esclavage, vient de sĂ©journer en Mauritanie afin qu’enquĂŞter sur les formes contemporaines de l’esclavage. Quelles sont les raisons qui ont poussĂ© les organisations de droits humains et S.O.S Esclaves Ă  faire  recours Ă  l’ONU ?
Boubacar Ould Messaoud:
Les militants des droits de l’homme ont certainement souhaitĂ© la visite de la rapporteuse spĂ©ciale des NU en Mauritanie pour qu’elle se rende compte sur place de la situation de l’esclavage dans notre pays, se faire une idĂ©e  juste et vivante des diffĂ©rentes formes qu’il revĂŞt et Ă©valuer les solutions prĂ©conisĂ©es et ou mises en Ĺ“uvre pour son Ă©radication. Ceci relève de son mandat et les vĹ“ux des organisations comme la notre sont tout Ă  fait lĂ©gitimes. Il s’agissait Ă©galement de connaitre quelles seraient aujourd’hui les conclusions d’un reprĂ©sentant des nations unies sur la question, le propos de Madame rĂ©pare une injustice vieille de vingt cinq ans ; en 1984, le rapport d’un certain Marc Bossuiyt expert du groupe de travail sur les formes contemporaines d’esclavages affirmait, qu’en Mauritanie, le phĂ©nomène avait disparu au point de ne laisser subsister que quelques sĂ©quelles ; il venait alors de forger l’argument massue auquel recourront les diffĂ©rents rĂ©gimes pour relativiser ou nier l’actualitĂ© et la densitĂ© de cette pratique dans l’espace mauritanien, retardant ainsi, par ce temps perdu en polĂ©miques stĂ©riles, le travail de l’indispensable rĂ©paration.
 
TH : Puisque le parlement avait adoptĂ© une loi criminalisant l’esclavage  n’est-il pas plus judicieux de demander Ă  l’ONU de faire pression pour que cette loi soit appliquĂ©e, plutĂ´t que de lui demander de fournir des recommandations qui risquent de rester sans suite ?
BOM.
Qu’est-ce qui vous fait dire tout cela ? Si vous avez bien écouté nous avons aussi bien demandé l’application de la loi que l’élaboration et la mise en œuvre des mesures d’accompagnement de cette loi aptes à promouvoir l’émancipation effective des victimes et de leurs descendants, structurellement cibles de discriminations. L’accent sur la mise en œuvre de la norme juridique fait partie des recommandations prévisibles, de sorte que votre question manquerait d’objet, je le crains.
Nous avons dit - et continuons Ă  le clamer qu’un  programme pour l’éradication des sĂ©quelles de l’esclavage - est une bonne chose si les victimes des sĂ©quelles sont connues et bien identifiĂ©es et Ă  condition qu’il ne soit pas semblable aux programmes de « lutte contre la pauvretĂ© » par quoi les maĂ®tres et les anciens maitres s’enrichissaient en toute impunitĂ©. La dictature de Ould Taya recevait rĂ©gulièrement des offres de bailleurs de fonds soucieux d’éradiquer le phĂ©nomène mais elle se refusa toujours Ă  accepter le traitement ciblĂ© et diffĂ©renciĂ© au profit exclusif de la tranche de population concernĂ©e.
Aujourd’hui encore les projets sont dirigĂ©s par des personnes issues de milieux esclavagistes s’ils ne sont pas tout simplement propriĂ©taire d’esclaves ; aussi, les appellations de « triangles » ou de « rectangles » de la pauvretĂ© ne signifient rien ; ces fonds publics profitent toujours aux notabilitĂ©s traditionnelles ; la domination s’accentue d’autant  sur ceux lĂ  que l’on prĂ©tend Ă©manciper.
Parallèlement aux solutions prĂ©conisĂ©es pour les sĂ©quelles – souvent d’ordre symbolique-moral, il faut mettre en place une structure pour coordonner la lutte contre les pratiques esclavagistes qui sont diffĂ©rentes des sĂ©quelles par le contenu, le choix des lieux, la pĂ©riode de  traitements   et surtout le suivi pĂ©riodique des effets.


T H : Après le 6 août 2008, on a peu entendu les autorités aborder l’épineux sujet de l’esclavage. A S.O.S Esclaves, comment est perçu le fait qu’elles aient donné leur aval à une enquête diligentée par l’ONU sur les formes contemporaines? Un gage de bonne volonté ou de la poudre aux yeux?
BOM :
  Effectivement le PrĂ©sident Med Ould Abdel Aziz n’a pour ainsi presque jamais rien dit sur cette Ă©pineuse question; après la confĂ©rence de presse du Rapporteur SpĂ©cial des NU oĂą elle a confirmĂ©, entre autres, combien l’esclavage est encore pratiquĂ© dans le pays sous de multiples formes y compris traditionnelles par ascendance, le Commissaire aux Droits de l’Homme, Ă  l’Action Humanitaire et Ă  la SociĂ©tĂ© Civile, sur la chaine Al Jazeera – bien entendu, le lendemain du dĂ©part de son illustre hĂ´te, dira, en substance, qu’en Mauritanie seules les sĂ©quelles de l’esclavage subsistent aujourd’hui et l’Etat s’attellerait Ă  leur Ă©radication. Il s’exprimait en Arabe et visait ainsi la consommation locale ; son propos a sonnĂ© comme un dĂ©menti pour rassurer les esclavagistes de tous bord : « rien n’a changĂ© - semblait-il signifier - nous sommes toujours maĂ®tres de la situation, les Mahmoud,  M’bareck, El Keir, Mabrouk, Messoud, Tarba, Tamrazguent et Imijine dĂ©pendront toujours de nous, ils ne parviendront jamais Ă  devenir maĂ®tres de leur destin! ».
Cette duplicité ne nous surprend pas, pour autant, c’est la règle de comportement de la part des agents organiques du système de discrimination et d’impunité ; aux institutions internationales, l’on sert un peu de soupe de tolérance, de compétence universelle et de disponibilité à suivre les standards internationaux en matière de droits humains ; à peine le visiteur encombrant tourne-t-il le dos et la réalité du mépris et de l’injustice reprend le dessus, comme le naturel du cheval qui revient toujours au galop.
La lutte se poursuit contre la servitude par naissance et, Dieu merci, le nombre des mauritaniens de toute race de toute ethnie engagés dans cette lutte ou la soutenant augmente tous les jours.
Propos recueillis par Samba Camara


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Commentaires
hug
www.hug@yahoo.fr
2009-11-18 14:11:37

Bravo Boubacar pour cet execellent Travail

Ould KaĂŻge
b.fdef@wanadoo.fr
2009-11-18 09:49:23

Bravo, Boubacar. Si - dans ces tristes choses, et pour l’application d’un grand texte - on n’est pas précis et exigeant, rien n’avancera.

thiecs
ididia1@yahoo.fr
2009-11-14 15:50:18

un interview tres pertinent,avec des questions justes et reponses tres adequates,bravo le journal.

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