«Il faut mettre en place une structure pour coordonner la lutte contre les diverses pratiques esclavagistes»
Gulnara Shaninian rapporteur spécial de l’Onu sur les formes contemporaines de l’esclavage, a effectué tout récemment une mission en Mauritanie à l’issue de laquelle elle a indiqué lors d’une conférence de presse tenue le 3 novembre
...que la législation de 2007 criminalisant l’esclavage n’est pas correctement appliquée dans les faits.«Les victimes ne sont pas incitées à dénoncer publiquement les abus subis» avait-elle annoncé. "Il existe en Mauritanie toutes les formes d’esclavage: travail des enfants, travail domestique, mariages d’enfants et trafic d’être humains", a-t-elle dit en invitant les pouvoirs publics à étoffer l’arsenal législatif existant par des lois spécifiques propres aux pratiques en matière de travail, de citoyenneté et d’immigration. M.Boubacar Ould Messaoud, président de SOS Esclaves, s’était réjoui des conclusions du rapporteur spécial des Nations unies. «Le fait qu’elle reconnaisse ces réalités est un motif de satisfaction pour nous. Cela nous aidera à convaincre les autorités de lutter contre ce problème». M. Ould Messaoud précise dans cette interview, ce qu’il attend des autorités. Entretien … Tahalil Hebdo : Comme le souhaitaient les militants des droits de l’Homme, le rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de l’esclavage, vient de séjourner en Mauritanie afin qu’enquêter sur les formes contemporaines de l’esclavage. Quelles sont les raisons qui ont poussé les organisations de droits humains et S.O.S Esclaves à faire recours à l’ONU ? Boubacar Ould Messaoud: Les militants des droits de l’homme ont certainement souhaité la visite de la rapporteuse spéciale des NU en Mauritanie pour qu’elle se rende compte sur place de la situation de l’esclavage dans notre pays, se faire une idée juste et vivante des différentes formes qu’il revêt et évaluer les solutions préconisées et ou mises en œuvre pour son éradication. Ceci relève de son mandat et les vœux des organisations comme la notre sont tout à fait légitimes. Il s’agissait également de connaitre quelles seraient aujourd’hui les conclusions d’un représentant des nations unies sur la question, le propos de Madame répare une injustice vieille de vingt cinq ans ; en 1984, le rapport d’un certain Marc Bossuiyt expert du groupe de travail sur les formes contemporaines d’esclavages affirmait, qu’en Mauritanie, le phénomène avait disparu au point de ne laisser subsister que quelques séquelles ; il venait alors de forger l’argument massue auquel recourront les différents régimes pour relativiser ou nier l’actualité et la densité de cette pratique dans l’espace mauritanien, retardant ainsi, par ce temps perdu en polémiques stériles, le travail de l’indispensable réparation. TH : Puisque le parlement avait adopté une loi criminalisant l’esclavage n’est-il pas plus judicieux de demander à l’ONU de faire pression pour que cette loi soit appliquée, plutôt que de lui demander de fournir des recommandations qui risquent de rester sans suite ? BOM. Qu’est-ce qui vous fait dire tout cela ? Si vous avez bien écouté nous avons aussi bien demandé l’application de la loi que l’élaboration et la mise en œuvre des mesures d’accompagnement de cette loi aptes à promouvoir l’émancipation effective des victimes et de leurs descendants, structurellement cibles de discriminations. L’accent sur la mise en œuvre de la norme juridique fait partie des recommandations prévisibles, de sorte que votre question manquerait d’objet, je le crains. Nous avons dit - et continuons à le clamer qu’un programme pour l’éradication des séquelles de l’esclavage - est une bonne chose si les victimes des séquelles sont connues et bien identifiées et à condition qu’il ne soit pas semblable aux programmes de « lutte contre la pauvreté » par quoi les maîtres et les anciens maitres s’enrichissaient en toute impunité. La dictature de Ould Taya recevait régulièrement des offres de bailleurs de fonds soucieux d’éradiquer le phénomène mais elle se refusa toujours à accepter le traitement ciblé et différencié au profit exclusif de la tranche de population concernée. Aujourd’hui encore les projets sont dirigés par des personnes issues de milieux esclavagistes s’ils ne sont pas tout simplement propriétaire d’esclaves ; aussi, les appellations de « triangles » ou de « rectangles » de la pauvreté ne signifient rien ; ces fonds publics profitent toujours aux notabilités traditionnelles ; la domination s’accentue d’autant sur ceux là que l’on prétend émanciper. Parallèlement aux solutions préconisées pour les séquelles – souvent d’ordre symbolique-moral, il faut mettre en place une structure pour coordonner la lutte contre les pratiques esclavagistes qui sont différentes des séquelles par le contenu, le choix des lieux, la période de traitements et surtout le suivi périodique des effets.
T H : Après le 6 août 2008, on a peu entendu les autorités aborder l’épineux sujet de l’esclavage. A S.O.S Esclaves, comment est perçu le fait qu’elles aient donné leur aval à une enquête diligentée par l’ONU sur les formes contemporaines? Un gage de bonne volonté ou de la poudre aux yeux? BOM : Effectivement le Président Med Ould Abdel Aziz n’a pour ainsi presque jamais rien dit sur cette épineuse question; après la conférence de presse du Rapporteur Spécial des NU où elle a confirmé, entre autres, combien l’esclavage est encore pratiqué dans le pays sous de multiples formes y compris traditionnelles par ascendance, le Commissaire aux Droits de l’Homme, à l’Action Humanitaire et à la Société Civile, sur la chaine Al Jazeera – bien entendu, le lendemain du départ de son illustre hôte, dira, en substance, qu’en Mauritanie seules les séquelles de l’esclavage subsistent aujourd’hui et l’Etat s’attellerait à leur éradication. Il s’exprimait en Arabe et visait ainsi la consommation locale ; son propos a sonné comme un démenti pour rassurer les esclavagistes de tous bord : « rien n’a changé - semblait-il signifier - nous sommes toujours maîtres de la situation, les Mahmoud, M’bareck, El Keir, Mabrouk, Messoud, Tarba, Tamrazguent et Imijine dépendront toujours de nous, ils ne parviendront jamais à devenir maîtres de leur destin! ». Cette duplicité ne nous surprend pas, pour autant, c’est la règle de comportement de la part des agents organiques du système de discrimination et d’impunité ; aux institutions internationales, l’on sert un peu de soupe de tolérance, de compétence universelle et de disponibilité à suivre les standards internationaux en matière de droits humains ; à peine le visiteur encombrant tourne-t-il le dos et la réalité du mépris et de l’injustice reprend le dessus, comme le naturel du cheval qui revient toujours au galop. La lutte se poursuit contre la servitude par naissance et, Dieu merci, le nombre des mauritaniens de toute race de toute ethnie engagés dans cette lutte ou la soutenant augmente tous les jours. Propos recueillis par Samba Camara
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