Une nouvelle lettre de Bertrand Fessard de Foucault Ă  Louis Michel   
10/07/2009

Monsieur le Commissaire, cher Monsieur le Ministre, à propos de la Mauritanie, permettez-moi de revenir vers vous – rien n’est encore acquis, même si une voie possible, celle des élections et celle de l’accès au pouvoir d’un civil de qualité. Le choc de l’accord de Dakar et du discours du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi a tellement donné cours à une prise de conscience civique...



...qu’avait aussitôt provoquée le putsch du 6 Août 2008, que les Mauritaniens se sentent libérés, et donc en situation de choisir sereinement et pour lui-même le candidat de leur choix à la succession de celui qu’ils avaient élu, déjà dans de très bonnes conditions, le 25 Mars 2007.

Ces Ă©lections ne peuvent ĂŞtre observĂ©es en la forme par l’Union europĂ©enne, faute de temps : c’est ce que vos services ont exposĂ© tout en relevant que  des experts africains et europĂ©ens de très bon niveau sont sur place ou arrivent, principalement Ă  l’appui de la Commission nationale Ă©lectorale indĂ©pendante re-composĂ©e consensuellement entre les principaux courants mauritaniens. Le problème – de maintenant – n’est d’ailleurs pas lĂ  du tout.

La question est tout simplement que dans cette ambiance libertaire, la probabilité est que les Mauritaniens circonscrivent leur choix du second tour entre deux candidats – de grande qualité, et chacun très significatifs d’une option démocratique – Ahmed Ould Daddah, chef de file de l’opposition selon les textes et arrangements de 2007, et Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée nationale. Par conséquent, le général Mohamed Ould Abdel Aziz serait éliminé.

Avantage, la querelle qui dure depuis trente ans sur la légitimité des militaires à exercer le pouvoir, serait vidée. Par les Mauritaniens eux-mêmes, toutes générations confondues.

Mais il apparaît que l’état d’esprit du général-candidat – déjà patent et observé pendant les négociations de Dakar – empire à sa propre constatation des sondages, même si ceux-ci en Mauritanie sont une première et sont très aléatoires, du désert qui se fait autour de lui dans ses déplacements à l’intérieur du pays, des défections surtout de « grands électeurs ». Déjà, la date du 18 Juillet prochain pour le premier tour n’a été ré-instituée que sous sa menace explicite d’attenter aux nouveaux ministres, ceux n’étant pas de sa tendance, s’ils refusaient de prendre un décret de régularisation. Un putsch est tout à fait envisageable soit préventivement soit le soir du premier tour à la constatation de son élimination. Il y a eu un précédent assez analogue dans la nuit du 24 au 25 Janvier 1992 quand l’homme fort du moment – le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya – défié par Ahmed Ould Daddah (déjà) fit notoirement annoncer par la radio des résultats qui n’étaient pas ceux sortant des urnes. Il y a – ailleurs – le précédent algérien de suspension des élections donnant la victoire au F I S. En Mauritanie, ce serait carrément le refus du verdict démocratique.

Ce ne sera évidemment accepté à aucun degré par les Mauritaniens.

Mais pour que l’hésitation et la pente vers une dictature non déguisée, soient vraiment résorbées, il serait expédient que le général-candidat soit mis en garde – formellement – par la communauté internationale et par les partenaires sur lesquels il a pu compter malgré les premières condamnations du 6 Août, communauté et partenaire qui ont – manifestement – fait davantage pression sur le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi que sur lui, pour aboutir aux présents arrangements.

Le seul garde-fou actuel est l’inconnue que représente le général El Ghazouani à qui il a passé les formes de la direction de la junte.

Si je vous écris ainsi, ce n’est pas par alarmisme mais selon ce que je constate sur le terrain, et ce qui m’est rapporté de beaucoup de parts.

D’autant que les conditions juridiques de la libération du Premier ministre en fonctions au moment du putsch se prêtent à des lectures inquiétantes et que le directeur de la publication du site électronique Taqadoumy – dont vos services savent qu’il importe beaucoup au débat mauritanien et à la presse internationale – est maintenu en détention contre toutes les dispositions pertinentes du Code mauritanien de procédure pénale.

Chacun des partenaires principaux de la Mauritanie s’honorera par ce rappel à l’ordre du général Mohamed Ould Abdel Aziz, qui – bien entendu – peut être discret. Quelque chose pour sauver la face du général débouté pourra s’inventer, on a bien travaillé à cela à propos du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, mais celui-ci a une conception de sa dignité et de l’honneur – de la démocratie aussi – que l’autre n’a pas.

Croyez, Monsieur le Commissaire, cher Monsieur le Ministre, en mes sentiments très déférents et très confiants.

A la haute et personnelle attention de Monsieur Louis Michel,
membre de la Commission européenne,
ancien ministre du Royaume de Belgique

                                                                  Le mercredi 8 Juillet 2009
                                                                  Bertrand Fessard de Foucault


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