Le président renversé, empêché de revenir à Nouakchott   
21/01/2009

Le président constitutionnel Sidi Ould Cheikh Abdallahi, déposé par un coup d’Etat le 6 août 2008, a tenté jeudi 22 janvier 2009 de rentrer  à Nouakchott à partir de la localité de  «Lemden» (250 kms de Nouakchott) où il avait été transféré le 13 novembre après plus de deux mois de résidence surveillée à Nouakchott.



Deux hauts gradés de la junte au pouvoir  l’avaient ramené de cette localité -contre son gré- à Nouakchott la soirée du 23 décembre, mais il était revenu -de son propre gré- la même soirée à Lemden, où il était resté depuis lors.  "Le président Sidi a décidé de rentrer à Nouakchott dans ces conditions particulièrement difficiles et graves que traverse la Mauritanie pour tenter de réunir la classe politique autour d’une proposition de sortie de crise qui doit nécessairement se traduire par la mise en échec du coup d’Etat, remettre le pays sur la voie de la légalité et lui éviter ainsi les sanctions internationales qui sont désormais inéluctables" a déclaré son porte-parole  M. Ahmed Ould Samba. Le président Ould Cheikh Abdallahi a été néanmoins empêché de rentrer à Nouakchott précisément à Ouad Naga à 50 kms de Nouakchott et a décidé de revenir à Lemden.
Certaines sources avancent que les  gendarmes de OuadNaga  l’ont empêché de rentrer à Nouakchott en cortège, qui ressemblerait selon eux, à «une manifestation motorisée»  et que le président Sidi  a refusé de se séparer de ses accompagnants. D’autres sources avancent que les gendarmes se sont comportés avec lui comme s’ils avaient affaire à un «automobiliste ordinaire» en  lui demandant de «décliner son identité» et de montrer les papiers du véhicule  qui le transportait. Le Président Ould Cheikh Abdellahi  s’en est en offusqué et a décidé de revenir à Lemden. "Le président n’a pas voulu se voir imposer la manière avec laquelle il devait entrer, si sa liberté de mouvement est totale. Il a alors refusé de se séparer de ses accompagnateurs dont des députés, des maires et des membres  de son gouvernement" a déclaré son porte- parole  M. Ahmed Ould Samba.
Le meeting que le président Sidi devait présider l’après-midi  à Nouakchott a été  maintenu ainsi que  le discours qu’il devait prononcer, qui a été finalement  lu en son nom par son porte-parole. Dans ce discours du  président Ould Cheikh Abdellahi, le principe d’élections présidentielle et législatives anticipées est accepté, mais  sous conditions.
"Si des conditions sont réunies, je travaillerai en ma qualité de président de la République pour la mise en place de conditions propices à la mise en oeuvre de propositions (de sortie de crise) que ferait la classe politique, y compris des élections législatives et présidentielles anticipées", déclare le président renversé dans ce  discours.
Le Président Ould Cheikh Abdallahi a posé comme conditions la mise à l’écart de l’armée du pouvoir "de façon définitive", la restauration des institutions légales issues des élections de 2007 impliquant le retour du président de la République dans ses fonctions et la prise en compte de la constitution comme unique référence, affirmant qu’il n’y aura "pas de salut pour la Mauritanie, pas de développement et pas de paix" si le pays revient "dans le giron des régimes militaires".

Voici le texte de ce  discours:

Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Monsieur le Président du Conseil Economique et Social,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires
Messieurs les Présidents des Partis politiques,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Messieurs les Présidents des Syndicats nationaux,
Mesdames et Messieurs les Présidents des Organisations de la Société Civile,
Mesdames et Messieurs,

Chers Compatriotes,

Merci, pour avoir organisé, malgré les obstructions que vous subissez de la part des autorités putschistes, ce grand rassemblement populaire qui témoigne de votre attachement à la légalité constitutionnelle et de votre opposition à l’injustice et à l’arbitraire.

Merci, au Front National pour la Défense de la Démocratie !

Merci, aux partis politiques, aux syndicats, aux organisations de la Société civile et aux personnalités nationales pour l’extraordinaire combativité avec laquelle ils ont fait face, depuis le premier jour, au coup d’Etat du 06 août !

Merci à vous tous, pour la lutte acharnée et persévérante en vue de restaurer la légalité et de mettre un terme à la souffrance que vit notre peuple, du fait de la persistance du coup d’état !

Merci, chers combattants pour la liberté et la dignité de la Mauritanie, et pour la préservation de son parcours démocratique.

Merci, à ceux qui résistent quotidiennement aux tentatives de séduction, à la menace et à la répression, prouvant ainsi que les mauritaniens rejettent la confiscation de leurs acquis démocratiques, quels que soient par ailleurs les sacrifices qu’ils doivent consentir !

Merci, à nos honorables militants qui ont porté au monde extérieur le message de la Mauritanie engagée à lutter pour la reconquête de sa démocratie et refusant de vivre sous le joug des régimes autoritaires !

Merci, en votre nom à tous, aux Etats, aux organismes, aux personnalités et à toutes les entités sous-régionales, régionales, continentales et internationales qui ont fermement soutenu votre combat pour restaurer la légalité et pour fermer à jamais la porte devant les complots visant la confiscation du pouvoir par la force des armes et l’usurpation du droit des peuples à choisir leurs dirigeants par les voies démocratiques !

Chère assistance,

Ayant suivi le bain de sang perpétré à Gaza, durant trois semaines par la machine de guerre israélienne, au vu et au su du monde entier, je ne peux que partager avec vous les sentiments de peine et de colère qui vous habitent ces jours-ci.

Les massacres qui se déroulent à Gaza, les destructions et les assassinats barbares des enfants, des femmes et des vieillards innocents sont indescriptibles et révulsent la conscience humaine !

J’en appelle, en votre nom, à nos frères arabes, aux dirigeants du monde, particulièrement ceux des grandes Nations et aux responsables des organisations internationales à répondre à l’appel de la conscience, à secourir les enfants de Gaza, les femmes de Gaza et les blessés de Gaza, à œuvrer de concert pour amener Israël à se retirer de Gaza et pour l’empêcher de reprendre son invasion brutale et ses bombardements sauvages contre ce territoire héroïque !

Je renouvelle, en votre nom, notre solidarité avec les nôtres à Gaza. Que les âmes de nos martyrs connaissent la paix ; que leurs familles reçoivent nos condoléances les plus attristées.

Récitons la Fatiha pour la paix des âmes de ces martyrs.

Mes Chers Concitoyens

Notre pays s’est engagé, entre 2005 et 2007, et à l’issue d’un processus de négociations laborieuses entre acteurs nationaux d’une part et la communauté internationale d’autre part, à édifier un système démocratique considéré par tous comme étant une condition nécessaire à un développement économique et social durable

Le 6 août 2008, un coup d’état militaire est venu interrompre, au mépris de tous les engagements pris vis-à-vis de nous-mêmes et vis-à-vis des autres, cette expérience, en mettant fin à un pouvoir démocratiquement élu, installé depuis à peine 15 mois.

Une période très courte, certes, mais qui nous a permis, Dieu merci, de donner de la Mauritanie une image appréciée à travers le monde entier.

Une période courte, certes, mais que nous avons utilisée avec sérieux et persévérance pour ouvrir de larges perspectives et lancer de grands chantiers d’avenir, dont un Programme d’Investissement Public d’une enveloppe de plus de quatre milliards de Dollars, un Programme d’Intervention Spécial que nous avons été le premier pays de la sous-région à réaliser pour répondre aux défis de la crise alimentaire mondiale, une campagne nationale de production agricole, à travers la poursuite de laquelle nous envisagions de parvenir à l’autosuffisance en céréales à l’horizon 2012…

Une période très courte, certes, mais qui a permis de faire de la Mauritanie une destination privilégiée des investisseurs, qui lui a ouvert les portes du Programme du Millénium Challenge (MCC) avec en perspective l’obtention sous forme de subventions de financements américains à concurrence de plusieurs centaines de millions de Dollars destinés, en priorité, à la santé et à l’éducation.

Une période très courte, certes, mais au cours de laquelle nous avons jeté les bases d’un changement politique profond. Une plus grande séparation des pouvoirs, une volonté affirmée pour opérer un changement des mœurs politiques excluant le clientélisme, l’ouverture à tous et l’implication de forces politiques jusque-là tenues à distance de la gestion de l’Etat.

Quinze mois que nous avons mis à profit pour raffermir les fondements de notre unité nationale, par l’adoption de la loi criminalisant l’esclavage et le discours que j’ai adressé au peuple le 29 juin 2007, avec les mesures d’application mises en œuvre par la suite.

Mes Chers Compatriotes,

Il ne s’agit pas pour moi de dresser un bilan des quinze mois qui ont précédé le coup d’état ; la liste aurait été plus longue, nonobstant la brièveté de la période. Il s’agit plutôt de rappeler quelques uns des objectifs que nous avons pu réaliser au cours de cette période.

Je ne peux cependant passer sous silence les difficultés, les obstacles rencontrés et les erreurs auxquels aucune œuvre humaine ne saurait prétendre échapper, surtout quand il s’agit d’une expérience qui s’est voulue fondatrice d’une ère nouvelle.

Nous avons fait face, tout le monde le sait, à un contexte mondial contraignant, matérialisé en particulier par une hausse astronomique des prix des produits alimentaires importés et la propagation d’actes relevant de l’extrémisme et du crime organisé auxquels notre pays n’a pu échapper.

Nous devions, en plus, faire face à des problèmes intérieurs résultants d’une longue accumulation de mauvaises pratiques, et l’absence d’une vision stratégique. Nous devions surtout mettre en place un nouveau système de gouvernance, avec des habitudes administratives et des comportements politiques nouveaux.

Nous avions besoin de temps et d’efforts pour dissiper le doute et l’inquiétude avec lesquels la classe politique et les centres de décision traditionnels appréhendaient un style d’exercice du pouvoir auquel ils n’étaient pas habitués.

Je me souviens, à ce sujet, de la désapprobation de certains d’entre vous, ici - et d’autres qui se trouvent aujourd’hui dans l’autre camp - pour la souplesse et la tolérance qui ont marqué notre façon de travailler durant cette période. Nous avons choisi cette voie dans le but de gouverner autrement et de consolider les bases d’un système démocratique réel, par le changement de la conduite des institutions de l’Etat et des comportements des citoyens eux-mêmes.

Mes Chers Concitoyens,

Depuis le 06 août, notre pays a dévié de son parcours démocratique et de sa marche vers le développement, et se trouve aujourd’hui en pleine crise politique, économique et diplomatique.

Six mois au cours desquels la Constitution a été suspendue, les lois ont été violées, les acquis démocratiques bafoués, les libertés publiques confisquées, les médias publics instrumentalisés pour la propagande mensongère et l’intoxication délibérée et la classe politique divisée sur des bases conjoncturelles, offrant un paysage méconnaissable, insolite !

Six mois de pratique administrative fondée sur l’utilisation des ressources de l’Etat pour l’achat des consciences et les règlements de comptes à des adversaires politiques ! Ainsi, le Premier ministre légitime Monsieur Yahya O. Ahmed El Waghf et d’autres ministres et hautes personnalités sont toujours en prison, du fait de leurs prises de positions courageuses contre le coup d’état. La justice a été instrumentalisée pour leur forger, de façon sélective et sans aucune pudeur, des chefs d’accusation créés de toutes pièces.

Six mois, au cours desquels les ambitieux programmes de développement que nous avons lancés se sont arrêtés, la situation économique du pays s’est détériorée malgré la conjoncture internationale qui, ces derniers mois, a été marquée par la chute vertigineuse des prix de l’énergie et celle des produits alimentaires !

Six mois d’usurpation du choix du peuple, de mépris de ses institutions et d’outrage à nos forces armées et de sécurité, utilisées comme paravent pour faire passer des caprices individuels et des comportements revanchards, venus d’un autre âge et sans rapport avec les valeurs d’un Etat et d’une société modernes !

Six mois d’isolement international sans précédent et de menace réelle de sanctions multiformes !

Six mois de violation des interdits, d’atteinte à l’honneur des gens et de mystification du peuple !

Six mois au cours desquels les putschistes n’ont trouvé comme promesse de remède aux problèmes du pays que la mascarade des journées de concertation, qui ont été un échec, lorsqu’il est apparu que leur objectif était de légitimer le coup d’état par l’organisation d’élections présidentielles avec des résultats connus d’avance ; exactement comme l’avaient prédit les forces nationales qui ont refusé d’y participer!

Mes Chers Concitoyens,

L’impasse actuelle et les conséquences dramatiques de la crise sur la démocratie, le développement, la cohésion sociale et la concorde nationale nous imposent tous d’évaluer les dangers qui menacent le pays.

L’appréciation que je fais de l’intérêt supérieur du pays et des responsabilités qui sont les miennes, m’impose la fermeté vis-à-vis du coup d’état militaire ; il n’y a pas de salut pour notre pays, ni de développement, ni de stabilité si nous capitulons devant la fatalité du retour anachronique aux dictatures armées !

En revanche, mon souci de conjurer ces dangers me pousse à ouvrir largement la voie à un processus national rassembleur, qui ne peut aboutir tant que l’institution militaire reste impliquée dans le jeu politique.

Je voudrais ici exprimer mon appréciation pour l’initiative de sortie de crise présentée par le Président de l’Assemblée Nationale, Monsieur Messaoud Ould Boulkheir, initiative qui prend en compte les mêmes préoccupations et vise les mêmes objectifs.

En tant que Président de la République garant de la Constitution et conformément au serment que j’ai prêté devant la Nation, il est de mon devoir d’œuvrer, dans un esprit de fermeté, de responsabilité et de tolérance, à baliser le chemin qui permet de trouver des solutions permettant de sortir de la crise que vit le pays.

Dans ce cadre, j’invite tous les acteurs politiques nationaux à entamer des concertations sérieuses pour faire échouer le coup d’état et ramener le pays à la démocratie et au développement. Pour cela il nous faut faire preuve de responsabilité et de sagesse.

En considération de tout cela, et dans le souci de ne pas prolonger la durée de la crise et d’en limiter les conséquences sur nos populations, j’invite tous les mauritaniens à s’engager ensemble sur la voie de la recherche d’une solution consensuelle, articulée autour des points suivants :

1- La mise en échec du coup d’état, par l’éloignement de l’armée de la scène politique. Celle-ci devra se consacrer à ses missions primordiales, à savoir la défense de l’intégrité territoriale, la garantie de la sécurité et l’assistance à l’application de la loi ;

2- La restauration des institutions légitimes issues des élections de 2006 et 2007 dans leurs missions constitutionnelles, à travers le rétablissement du Président de la République dans la plénitude de ses prérogatives et l’exercice par lui de ses fonctions, conformément à la Constitution ;

3- Le recours à la Constitution comme référence dans le traitement des différentes questions nationales ;

4- Une fois les trois points précédents réalisés, je m’emploierai, en ma qualité de Président de la République, à la mise en œuvre des recommandations auxquelles la classe politique sera parvenue, y compris l’organisation d’élections législatives et présidentielles anticipées.

J’œuvrerai, en concertation avec toutes les parties intéressées et conformément à la Constitution et aux lois, à la prise des dispositions nécessaires à la bonne organisation de ces élections, dans le cas où elles sont retenues comme solution consensuelle, de manière à en assurer la rigueur, l’honnêteté et la transparence. J’espère que nous aboutirons ainsi à une solution juste, qui bénéficie de l’adhésion de tous les protagonistes politiques nationaux sincèrement désireux de sortir de la crise, ainsi que de l’intérêt et de l’appui de la Communauté internationale.

J’appelle toutes les forces politiques nationales à contribuer à préparer les esprits à ce processus et à le suivre, et je demande aux organisations continentales, régionales et internationales concernées de nous appuyer dans notre démarche visant à sortir le pays de l’impasse où il se trouve.

Je ne saurai terminer cette allocution, sans vous renouveler mes remerciements, Chers combattants pour la Démocratie et sans vous inviter à poursuivre votre noble combat. Le processus démocratique que nous nous engageons à reprendre et à approfondir, exige patience, persévérance, sacrifice, détermination et refus de toute compromission. Il exige également l’acceptation de l’autre par l’ouverture à tous les patriotes sincères, quelque soient leurs opinions politiques.

Je vous remercie


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